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Industrie

Laurent Favre, OPmobility : "Le contenu local est une impérieuse nécessité"

Publié le 24 octobre 2025

Par Christophe Jaussaud
9 min de lecture
À l’heure où l’Europe a entamé des discussions avec les constructeurs et équipementiers sur l’avenir de l’industrie automobile, Laurent Favre, directeur général d’OPmobility, revient sur les enjeux. Ceux-ci mêlent décarbonation, où l’hydrogène aura toute sa part, et contenu local, qui apparaît aujourd’hui impératif.
Laurent Favre, directeur général d’OPmobility. ©IAAMobility

Le Journal de l’Automobile : Dans le contexte actuel plutôt tendu pour l’industrie automobile, comment se porte OPmobility ?

Laurent Favre : Pour l’an­née 2024, le groupe OPmobility a ré­alisé un chiffre d’affaires économique de 11,65 milliards d’euros, en hausse de 2,8 % sur une base comparable, avec une marge opérationnelle de 4,2 %, en augmentation de 0,4 point. Et nous comptons poursuivre l’amé­lioration de nos principaux indicateurs financiers. Nous avons égale­ment investi plus de 500 millions d’euros en 2024.

 

Plus largement, ces dix dernières années, nous avons plus que doublé notre chiffre d’af­faires, tout en nous concentrant sur les marchés de la mobilité. Ces cinq dernières années, nous nous sommes transformés, tout en restant fidèles à nos racines. Nous comp­tons désormais 40 centres de recherche et développement et 150 sites de production dans 28 pays et em­ployons près de 39 000 personnes.

 

 

J.A. : Les constructeurs européens se sont lancés dans une réduction de leurs temps de développement. Quelles sont les conséquences pour OPmobility ?

L.F. : C’est un enjeu majeur mais nous ne subissons pas cette de­mande. Nous sommes, au contraire, proactifs car nous montrons à nos clients comment ils peuvent aller plus vite ! En travaillant depuis de nombreuses années avec Tesla, Ri­vian, BYD ou Xiaomi, pour ne ci­ter que quelques exemples, nous avons une vue très large des bonnes pratiques dans l’industrie. Nous constatons que, souvent, les nouveaux entrants ont des méthodes de développement très efficaces. Cer­tains d’entre eux descendent même à 18 mois pour un véhicule. Diviser le temps de développement par deux permet de réduire les coûts d’autant.

 

 

L’autre enjeu consiste à mettre sur le marché un véhicule avec un design qui plaît, avec des fonctionnalités qui collent aux souhaits du moment. Grâce à notre expérience en Chine, où nous sommes le numéro un dans les hayons et numéro deux dans les pare‑chocs, nous apportons de nouvelles solutions à nos clients his­toriques comme à de nouveaux en­trants. De notre côté, cette réduction est aussi essentielle car nos coûts de développement ont crû sous l’effet de la multiplicité des silhouettes, alors que les volumes globaux n’ont pas augmenté. Pour disposer de bons outils, nous avons aussi lancé des programmes en ce sens avec nos partenaires dans le PLM, avec des start‑up et avec l’École polytech­nique de Lausanne.

 

Nous restons convaincus qu’il y a une place pour l’hydrogène dans la mobilité de demain

 

J.A. : À l’occasion des discussions avec l’Union européenne, le principe d’un contenu local semble aujourd’hui faire consensus. Y êtes‑vous favo­rable ?

L.F. : Je pense même qu’il s’agit d’une impérieuse nécessité. L’ab­sence de contenu local fait peser une véritable menace sur l’industrie de production européenne. La question ne concerne plus l’arrivée de nouveaux constructeurs sur notre conti­nent, mais le fait qu’il y ait une in­dustrie de production en Europe. Et il est nécessaire de conserver en Eu­rope un savoir‑faire et des capacités de production dans certaines tech­nologies clés. Il y a plus de 30 ans déjà, les constructeurs occidentaux voulaient avoir accès au marché chinois et à l’époque, la production sur place et le contenu local faisaient partie des règles. Nous devons appliquer cette réciprocité.

 

J.A. : Abordons le sujet de l’hydrogène, tout d’abord d’un point de vue stratégique. Comment analysez‑vous la trajec­toire de cette technologie ?

L.F. : Le sujet n’est pas celui de la compétition entre pile à combus­tible et batterie, mais celui de la décarbonation des mobilités qui sont très diverses en termes d’usages et de contraintes. Incontestablement, la tendance forte pour les véhicules légers est celle de l’électrification avec des batteries. Pour le transport routier lourd et les trains, ce choix peut être pertinent, mais la batte­rie ne permet pas de couvrir tout le spectre des besoins, notamment sur les longues distances ou sur les fortes charges. Cet avis est d’ailleurs partagé par de grands acteurs du poids lourd qui s’interrogent no­tamment sur les coûts d’un réseau de recharge à très forte puissance et d’acheminement de cette électricité en bord de route. Donc, nous croyons dans les solutions hydro­gène pour la mobilité lourde.

 

 

En Europe, tous les constructeurs de poids lourds ont des programmes hydrogène, qu’il s’agisse de piles à combustible ou, lors d’une phase transitoire, de moteurs thermiques fonctionnant avec de l’hydrogène. Ceux‑ci ne rejettent pas de CO2 mais il reste quand même quelques polluants locaux. En tout cas, ce mode de consommation de l'hydrogène permet d’entamer une transi­tion vers une élimination totale des émissions. Tous les constructeurs de poids lourds, Volvo, Daimler, MAN, Iveco pour ne nommer que ceux‑ci, mènent des développements et au­ront une telle offre en 2030 pour le marché européen.

 

J.A. : L’hydrogène est‑il aussi pertinent dans d’autres régions du monde ?

L.F. : L’Asie confirme son statut de région majeure dans le développe­ment de l’hydrogène. Outre les réalisations de Toyota et Hyundai, la Chine a inscrit ce vecteur d’énergie dans son plan quinquennal et main­tient que l’hydrogène fera partie des solutions de décarbonation de la mobilité. Nous constatons égale­ment avec plaisir qu’un constructeur chinois de véhicules particuliers a décidé de lancer une petite série de quelques milliers d’unités en 2028. Il travaille avec OPmobility pour le système de stockage.

 

BMW s’inscrit également dans cette vision multi­technologie incluant l’hydrogène. Aux États‑Unis, Ford et General Mo­tors ont annoncé deux programmes de pick‑up à hydrogène. Nous li­vrons actuellement quelques pièces pour les prototypes de Ford, mais ce dernier n’a pas encore dévoilé ses intentions. General Motors a confir­mé son programme mais a repoussé le démarrage en série à 2031. Nous avions un projet d’usine de réser­voirs aux États‑Unis qui est pour le moment suspendu. L’Europe apparaît moins avancée sur le sujet. Pour­tant, nous avions des conditions de départ beaucoup plus favorables que celles que nous avions pour l’élec­trique à batterie.

 

J.A. : Pour autant, vous restez très engagé dans cette technologie ?

L.F. : Notre usine de Lachelle, dans l’Oise, est la plus grande usine de réservoirs à hydrogène d’Eu­rope. Nous y fabriquons des sys­tèmes de stockage pour Alstom et Stadler, mais également pour des constructeurs de camions et de bus et pour BMW à moyen terme. Nous avons aussi une usine en Co­rée du Sud pour le Hyundai Nexo.

 

En Chine, nous avons un site, en coentreprise avec Shenergy Group, pour la production de réservoirs pour des camions et des tramways à hydrogène. De plus, nous avons établi une joint-venture, EKPO, à Dietingen en Allemagne, avec ElringKlinger, pour la fabrication de piles à combustible. Nous en avons toutefois ralenti la produc­tion car le marché européen ne se développe pas au rythme souhaité. Mais nous restons convaincus qu’il y a une place pour l’hydrogène dans la mobilité de demain.

 

Pour que l'Europe reste une force industrielle qui compte dans le monde, il faut que les technologies clés y soient développées et produites

 

J.A. : Les récentes annonces de Stellantis, stoppant son offre de VUL hydrogène et la liquidation de Hyvia ne sont‑elles pas de mauvais signaux pour le développement de l’hydrogène ?

L.F. : La décision de Stellantis a des conséquences, même pour nous, mais l’arrêt de son programme ne fait pas disparaître le marché de l’hydrogène pour autant. En aucun cas, nous allons ralentir sur cette technologie et nous continuerons d’accompagner ceux qui vont de l’avant. Et il y en a. Grâce à notre présence mondiale et notre large porte­feuille de clients, nous apprécions bien les tendances fortes. L’hydro­gène en fait partie. Il est vrai qu’au­jourd’hui, il n’avance pas aussi vite qu’initialement anticipé. Mais nous préparons la mobilité de demain avec une vision de long terme.

 

J.A. : Comment évoluent les relations entre les équipementiers et les constructeurs à l’aune des défis actuels ?

L.F. : Nous sommes, peut‑être plus que jamais, interdépendants. Les équipementiers fournissent de nombreuses technologies aux constructeurs, parfois jusqu’à 70 % des pièces constituant un véhicule. Elles représentent donc une partie importante des coûts et cela peut, quelquefois, être une source de ten­sions, comme par exemple dans la gestion de la supply chain et dans le partage des marges au regard des prix.

 

Mais les relations sont au­jourd’hui d’une autre nature car les constructeurs ont davantage besoin de partenaires que de simples four­nisseurs. Des partenaires avec une assise mondiale, capables de leur proposer, au‑delà des technologies, des moyens d’améliorer leur compé­titivité. Je rappelle encore ici notre rôle dans la réduction des temps de développement où nous créons des liens plus forts dès les phases de prédéveloppement des véhicules.

 

 

J.A. : Les normes sont de plus en plus nom­breuses. Comment gérez‑vous cet impératif réglementaire ?

L.F. : Les réglementations sont effectivement de plus en plus nom­breuses et complexes. Bien souvent, elles guident même le marché. Mais elles sont de plus en plus régiona­lisées car chaque grande zone géographique a sa propre stratégie. Les impératifs en termes de motorisa­tions, par exemple, ne sont pas les mêmes en Europe, aux États‑Unis, en Chine ou en Inde. Cela nous oblige à constamment nous adapter et à renforcer notre prisme régional.

 

 

Dans ce contexte, l’Europe impose des normes plus contraignantes. Concernant la recyclabilité, d’une part, et l’utilisation de matières re­cyclées, d’autre part, les objectifs 2030 et 2035 sont ambitieux en Europe. C’est à la fois vertueux et coûteux, avec un risque de renché­rissement de la mobilité.

 

J.A. : On prête souvent à l’industrie au­tomobile d’être peu séduisante pour les jeunes talents. Arrivez‑vous à en attirer suffisamment dans votre en­treprise ?

L.F. : Si l’industrie automobile souffre d’un déficit d’attractivité, ce n’est pas le cas chez OPmobility. Nous travaillons étroitement avec certaines écoles d’ingénieurs en France et à l’étranger. En revanche, il y a des tensions plus marquées concernant certains métiers dans les usines, notamment ceux de la maintenance.

 

Globalement mieux rémunérés que les emplois de ser­vice, les emplois industriels sont majeurs et générateurs de richesses dans de nombreuses filières. Nous souhaitons qu’il y ait une industrie de production forte en Europe. Pour que celle‑ci reste une force indus­trielle qui compte dans le monde, il faut que les technologies clés y soient développées et produites.

 

(Avec Bertrand Gay)

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