Plateformes : les bases du changement
L'automobile a bientôt 140 ans et nous pouvons considérer que les plateformes sont au moins aussi âgées. Mais avec l’arrivée de la fabrication en grande série, le châssis, l’ancêtre de la plateforme actuelle, a pris une autre dimension.
Il a été optimisé pour coller aux évolutions de l’outil industriel mais aussi et surtout pour être partagé et ainsi générer des économies d’échelle. Les exemples sont nombreux, mais la plateforme modulaire MQB du groupe Volkswagen illustre parfaitement cela dans une époque récente.
Depuis 2012, elle a servi de base à plus de 45 millions de véhicules et la série est toujours en cours. Avec l’arrivée de l’électrique et sa montée en puissance promise, l’histoire se répète et la plateforme se retrouve au cœur de cette révolution.
Vrai démarrage en 2025
Mais pour l’heure, les plateformes dédiées aux modèles 100 % électriques sont, logiquement, très loin d’être majoritaires. Les constructeurs se préparent à la bascule. En effet, Maxime Copin, directeur dans l’équipe automobile du cabinet Roland Berger Paris, estime qu’il y aura "une vague d’applications à partir de 2025 et que les constructeurs retrouveront un rythme de croisière à l’horizon 2030".
Pour revenir sur quelques chiffres, la plateforme électrique qui devrait être la plus utilisée en 2023, selon les données de S & P Global, est la BSP de BYD avec près de 960 000 unités. Un chiffre qui représente environ 33 % de la production du constructeur chinois. Arrive ensuite la MEB du groupe Volkswagen avec 760 000 unités et 9 % de la production totale du groupe pour l’année.
Hyundai‑Kia monte sur le podium avec 320 000 unités de son E‑GMP qui représentera 6,5 % de sa production. Viennent ensuite Saic avec son E+ (210 000 unités, 35 % de sa production) et l’Alliance Renault‑Nissan avec 100 000 unités de sa CMF‑EV (2,2 % de sa production totale).
VW vise une seule plateforme
Dans ce contexte électrique, le groupe Volkswagen va élargir ses possibilités. En effet, en plus de la MEB (1,1 million d’exemplaires depuis 2020) qui sert notamment de base aujourd’hui aux VW ID.4, Audi Q4 e‑tron, Cupra Born et autres Skoda Enyaq, le constructeur lancera en 2025 la MEB+ (Modular Electric Drive Matrix).
Une nouvelle base qui permettra au groupe de proposer plus d’autonomie (+ 10 %), des temps de recharge plus rapides, mais surtout un prix inférieur à 25 000 euros. Il s’agira donc de l’architecture des futures VW ID.2, Cupra Raval et d’une autre variante chez Skoda.
Mais le gros morceau de l’année 2024, pour le groupe allemand, est la plateforme PPE (Premium Platform Electric) développée par Audi et Porsche. Dévoilée lors de l’IAA de Munich en même temps que sa première application, l’Audi Q6 e‑tron, cette nouvelle base marque une étape notamment en adoptant le 800 V.
Cela étant, le groupe Volkswagen voit plus loin et annonce déjà la suite avec une plateforme unique. Baptisée SSP (Scalable Systems Platform), elle porte d’ambitieux objectifs d’économies d’échelle puisque le groupe avance la production de plus de 40 millions de véhicules et une réduction des coûts de développement de 30 % par rapport à la MEB. De quoi retrouver un niveau de marge comparable à celui des modèles thermiques.
STLA Medium : deux millions d’unités par an
Dans cette quête d’efficience et de maîtrise de la chaîne de valeur, BMW n’a pas manqué, non plus, le rendez‑vous munichois. En effet, avec son concept Neue Klasse, qui illustre les modèles de série à partir de 2025, le constructeur nous a renseignés sur son avenir.
"Nous avons réalisé le plus gros investissement de l’histoire de l’entreprise", indique Frank Weber, en charge du développement chez BMW AG. Selon lui, cette génération de BMW électriques aura "30 % d’autonomie en plus, une recharge 30 % plus rapide, 25 % d’efficience en plus".
Naturellement, les logiciels et la durabilité font partie du projet. Avec le concept CLA et sa nouvelle architecture MMA (Mercedes‑Benz Modular Architecture), Mercedes n’est pas en reste. Avec cette plateforme en 800 V, qui sera la base des futurs GLA, GLB, CLA et CLA Shooting Brake, le constructeur avance une autonomie pouvant atteindre 750 km et une recharge rapide (250 kW) permettant de récupérer 400 km en 15 min.
En 2021, Stellantis annonçait l’arrivée de quatre plateformes dédiées à l’électrique : les STLA Small, Medium, Large et Frame. Deux ans plus tard, nous avons découvert la première, la STLA Medium, qui sera inaugurée par le Peugeot e‑3008. Nous avons eu la surprise de voir qu’elle serait finalement aussi compatible avec des propulsions thermiques puisque le nouveau 3008 aura aussi une vie en PHEV et hybridation légère 48 V.
Cela étant, le constructeur affirme qu’il s’agit d’une architecture avant tout optimisée pour l’électrique avec une autonomie annoncée de 700 km avec le pack Performance et 500 km dans une configuration standard. Un choix primordial pour Stellantis car cette plateforme va servir de base aux modèles des segments C et D, segments qui pèsent plus de 35 millions d’unités, soit près de la moitié du marché mondial.
Stellantis espère pour elle une production annuelle de deux millions d’unités. Mais le groupe a fait des choix, la STLA Medium est en 400 V, alors que le 800 V devrait rapidement devenir la règle. Ainsi, la recharge rapide demandera 27 min pour passer de 20 à 80 % pour les modèles reposant sur la STLA Medium, quand les architectures en 800 V sont plus proches des 15 min.
La prise de pouvoir des logiciels
Maxime Copin note deux approches dans les stratégies déployées : "Certains constructeurs ont opté pour des développements avec une grande flexibilité qui évitera sans doute des modifications majeures plus tard. À l’inverse, d’autres, pour des questions de coûts immédiats, on fait le choix d’architectures moins évolutives qui demanderont sans doute des investissements pour les futures adaptations ou en réduiront la durée de vie."
Mais surtout, le spécialiste de Roland Berger ne manque pas de souligner qu’une plateforme actuelle ne peut être réduite aux matériaux qui la composent. "La notion de plateforme a largement évolué, explique‑t‑il, il est impossible de parler du sujet aujourd’hui sans prendre en compte le software. Ce que l’on appelle le châssis numérique est indissociable de la plateforme."
D’ailleurs, ce châssis numérique (le SDV‑Software Defined Vehicle) capte plus d’investissements que la plateforme en tant que telle.
Tous les constructeurs sont sur le pont, soit en interne, soit avec des partenaires. Le groupe Volkswagen et sa filiale Cariad ne sont pas en avance et la première application devrait être visible sur l’Audi Q6 e‑tron.
Stellantis regroupe cet univers sous les vocables STLA Brain, STLA SmartCockpit et STLA AutoDrive avec de nombreux partenariats. Pour sa nouvelle architecture MMA, Mercedes‑Benz annonce le MB.OS. qui promet "un niveau d’individualisation, d’interaction transparente et d’infodivertissement inédit dans ce segment".
"Le châssis numérique, avec les mises à jour à distance, par exemple, peut venir influencer directement la performance du véhicule et son autonomie", appuie Maxime Copin. C’est aussi un moyen indispensable dans notre monde numérique de définir la personnalité d’une marque.
Revoir la chaîne de valeur
Ces plateformes sont finalement le témoin de cette automobile nouvelle dont toutes les conséquences sont encore loin d’être connues.
"Avec elles, les constructeurs optimisent tant l’efficience du modèle que leur outil industriel et leur structure de coûts pour retrouver plus de compétitivité, explique Maxime Copin. La redéfinition de ces architectures a amené les constructeurs à se questionner sur la chaîne de valeur, poussant beaucoup d’entre eux à réintégrer nombre de composants comme les moteurs électriques ou l’électronique de puissance."
On pense ici, par exemple, à Stellantis et Nidec Leroy‑Somer qui ont créé Emotors ou encore à Renault qui fabrique un moteur électrique avec Valeo ou de l’électronique de puissance avec Vitesco. La révolution ne fait que commencer.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.