Le châssis numérique et ses logiciels : objets de convoitise
La « deutsche qualität » ne saurait souffrir un échec retentissant. Et pour s’épargner un affront qui semble de plus en plus inéluctable, Oliver Blume applique le principe de précaution. Le successeur d’Herbert Diess à la tête du groupe Volkswagen ne cache pas son inquiétude dans le dossier concernant les logiciels intégrés aux véhicules.
Pour lui, point question d’aller plus loin dans la course à la poursuite de Tesla. Tout du moins pas maintenant. La plateforme logicielle centralisée promise pour 2026 attendra. Volkswagen va pour le moment recentrer les différentes générations de logiciels sur « ce qui a déjà été fait », limitant ainsi perte et fracas.
Repenser les logiciels embarqués ne s'avère pas aisé. Les difficultés rencontrées par le géant allemand malgré ses moyens colossaux montrent l’ampleur de la tâche. Pourtant, les logiciels constituent assurément un des piliers de l’automobile du futur.
Matthias Schmidt, analyste chez Automotive Research, soutient que la conception des logiciels par les constructeurs automobiles eux‑mêmes devient un enjeu pour s’affranchir de l’emprise des références de la Silicon Valley. Une révolution qui n’est toutefois pas sans risque pour les acteurs historiques du secteur.
Relation constructeur‑fournisseur
L’automobile l’impose, cependant, tant elle concentre de plus en plus de fonctions diverses à faire jouer de concert. Ce qui implique un développement logiciel d’une part et matériel d’autre part. Chez les ingénieurs, le terme de « châssis numérique » devient donc une norme. Il dit tout du défi. Comme il a fallu des décennies pour concevoir l’ossature métallique des voitures, il faudra désormais parvenir à un équivalent immatériel sur lequel une grande partie de l’expérience des consommateurs reposera.
En fait, le châssis numérique va changer la manière de penser les véhicules et leur cycle de vie. Du point de vue de l’assemblage, il s’agira d’employer des supercalculateurs miniaturisés. Éric Kirstetter, associé au sein du cabinet Roland Berger, décrit le schéma : « Les voitures réduiront drastiquement le nombre de processeurs embarqués. Au centre du dispositif, une puce surpuissante apportera la capacité de traitement des informations rapportées par les capteurs. Elle pourra aussi héberger les logiciels d’éditeurs tiers validés par les constructeurs. »
Une approche qui n’est pas sans conséquence sur les relations commerciales. Si les appels d’offres des constructeurs se gagnaient autrefois sur la compétitivité d’un système vendu complet, désormais, les équipementiers bataillent sur la performance du calculateur central et de son logiciel de traitement qui évoluera tout au long du cycle de vie de l’automobile. Dans la chaîne de valeur, le logiciel va donc prendre toujours plus d’importance.
Les sommes en jeu sont immenses. Lors de sa conférence annuelle dédiée aux investisseurs, en septembre dernier à New York, la direction générale de Qualcomm, un des groupes revendiquant une place dans le club des leaders du secteur, expliquait qu’autour de 2030, le marché adressable s’élèvera à 100 milliards de dollars.
"Nous estimons que nous passerons en quelques années de 200 à 3 000 euros d’équipements vendus par véhicule livré."
Akash Palkhiwala, directeur financier de Qualcomm
En ordre de grandeur, cette somme se répartira ainsi : 59 % pour les aides à la conduite, 25 % pour la digitalisation du poste de pilotage et de l’habitacle et 16 % pour la connectivité. « Nous estimons que nous passerons en quelques années de 200 à 3 000 euros d’équipements vendus par véhicule livré », glissait notamment le directeur financier de Qualcomm, Akash Palkhiwala, devant une salle très attentive au discours et aux graphiques projetés sur l’écran.
À titre d’exemple, il a révélé que le programme de licence 5G lancé en 2020 a engendré 50 signatures de contrat avec des constructeurs pour un montant de cinq dollars par véhicule produit.
Sur le modèle de la téléphonie
Tesla a bien compris l’intérêt de disposer d’un logiciel propriétaire. Volkswagen, BMW et Mercedes‑Benz en rêvent aussi. Pour rester dans la partie, Bosch s’est rapproché de Microsoft. En France, Stellantis et Renault qui font confiance à Qualcomm pour l’équipement ont respectivement noué des accords avec Amazon et Google pour ajouter l’intelligence.
En octobre dernier, le groupe Hyundai Motor jusqu’à présent très discret sur le sujet est sorti du silence. D’ici 2030, 12,83 milliards de dollars seront investis par le groupe sud‑coréen dans un nouveau centre d’envergure mondiale dédié aux logiciels, dans le siège de la R & D. Le tout afin de renforcer les capacités logicielles pour le développement de futures productions automobiles de ses marques.
Cette nouvelle ère de conception sera profitable aux constructeurs et aux consommateurs. Les cadres de Sonatus s’en disent convaincus tout du moins. La société américaine fraîchement installée en Europe souffle des idées aussi bien aux oreilles des équipementiers que des constructeurs. Elle est d’ailleurs l’un des artisans du vaste projet de Hyundai. "Une expérience qui nous a montré combien la relation entre les constructeurs et les fournisseurs évolue vers un rapport de partenariat car le logiciel peut s’adapter en fonction des besoins et l’échange doit donc être permanent", apprécie l’une des cadres de la division européenne de Sonatus.
Mais cette course rappelle une autre époque, selon un observateur. Celle où les fabricants de téléphones voulaient tous avoir leur logiciel. À la fin, le marché s’est concentré et les systèmes d’exploitation ne se comptent plus que sur les doigts d’une main. "L'automobile suivra la même voie dans un temps plus long", prophétise cet analyste. Encore faudra‑t‑il que l’orgueil des constructeurs s’efface derrière une réalité de marché. Ils ont appris à mutualiser leurs plateformes industrielles, feront‑ils aussi le choix d’accords stratégiques pour l’immatériel châssis numérique ?
Plastic Omnium se lance
Sous l’impulsion de Laurent Favre, directeur général, le groupe français s’est engagé dans la création d’une nouvelle entité baptisée OP’nSoft. Introduite à l’occasion du salon de Las Vegas, début janvier 2023, elle a pour but de développer des logiciels pour les produits et services de Plastic Omnium en vue d’avancer sur la voie de l’électrification, de la connectivité, de l’automatisation et de la mobilité partagée. "OP’nSoft va permettre à Plastic Omnium de proposer des solutions et des services intégrés uniques à ses clients, tels que la fusion software des données radar et des technologies d’éclairage. C’est une nouvelle aventure pour Plastic Omnium et un terrain de jeu passionnant pour nos équipes", a expliqué le directeur général.
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