Chine : le pays des marques automobiles
Dès que l’on aborde le marché automobile chinois, les chiffres donnent le tournis. C’est d’ailleurs bien pour cette raison que tous les constructeurs automobiles se sont lancés corps et âme dans l’Empire du Milieu avec des marques et fortunes très diverses.
Car cet eldorado pour certains s’est transformé au fur et à mesure des années en un enfer. Certains, comme Citroën, Jeep ou Renault pour ne citer que ces marques, ont d’ailleurs décidé de ne plus produire ou de réduire leurs activités industrielles, ce qui est synonyme de mort commerciale. Rappel des chiffres. En 2021, la Chine, c’était 26,3 millions de véhicules écoulés dont 21,5 millions de voitures particulières selon les données de l’association chinoise des constructeurs automobiles (CAAM).
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En 2022, il est probable que les ventes progressent si l’on s’appuie sur les chiffres d’octobre 2022. Sur cette période, il s’est vendu plus de 1,8 million de voitures, soit en un mois plus que sur toute l’année en France. À l’heure où nous mettons sous presse, les chiffres de 2022 n’ont pas encore été communiqués, mais selon toute vraisemblance, on devrait atteindre les 3 millions de véhicules particuliers.
Plus d'une tiers du marché
Dans ce marché, il existe trois types de constructeurs automobiles. Le premier, et le plus important, se constitue des joint‑ventures signées par les constructeurs non chinois avec des acteurs locaux. Le second, et c’est ce marché qui nous intéresse, c'est celui des constructeurs chinois qui commercialisent des modèles sous leur propre marque. Enfin, le troisième, très anecdotique, couvre les marques qui sont importées.
Valse des marques
Revenons aux constructeurs chinois. Si, avec 8,4 millions de voitures vendues en 2021, soit une part de pénétration de 39 %, ils restent minoritaires sur leur propre marché, leur importance ne cesse de grandir. Il y a quinze ans, ils n’écoulaient que 1,3 million de VP et de VUL.
Surtout, entre 2005 et 2021, le nombre de marques disponibles sur le marché est passé de 37 à 73 ! La raison d’une telle explosion ? « La voiture électrique », répond Jamel Taganza, consultant associé chez Inovev.
Depuis la toute fin du XXe siècle, la Chine a lancé une politique très volontariste pour le développement de cette technologie. C’est donc à cette époque que la Chine automobile a commencé sa mue. C’est également pendant cette période que certaines entreprises ont été fondées comme Geely en 1997 ou BYD en 2003, pour ne citer que les plus connues côté européen.
« Avec cette technologie, les constructeurs sont partis d’une feuille blanche, ce qui a permis la création de 41 marques en l’espace de dix ans seulement, calcule Jamel Taganza. En parallèle, 29 marques ont disparu sur la même période. » Un dynamisme inégalé au monde. Aux États‑Unis, il existe bien quelques tentatives de lancer de nouvelles marques, comme c’est le cas de Rivian, Faraday ou Fisker qui, au passage, souhaitent réitérer l’exemple de Tesla, mais rien n’existe dans les proportions chinoises.
« Des constructeurs comme Geely ou BYD se sont vraiment développés dans ces années‑là, observe Jamel Taganza. Aujourd’hui, ce sont eux qui maîtrisent la technologie et de nouveaux acteurs, des start‑up, comme Nio, apparaissent avec des ruptures technologiques, comme Tesla l’a fait il y a une dizaine d’années. D’ailleurs, les constructeurs chinois peuvent dire merci à Tesla ! Car le constructeur américain a permis l’ouverture du marché à de nouveaux arrivants. »
Start up automobile
Parmi toutes ces marques (voir tableau plus bas), peu ont néanmoins vocation à avoir une carrière à l’international. Du moins dans un premier temps. Les Aiways, Lynk & Co, Nio, Zeekr, Wey, Leapmotor et autres Seres, marques qui n’existaient pas il y a moins de cinq ans, mais qui sont aujourd’hui présentes ou qui le seront l’année prochaine sur les marchés européens, ne sont que des exceptions. « Le gouvernement chinois, qui planifie l’économie, soutient l’exportation, mais le principal défi des constructeurs chinois est déjà de fournir le marché local », tempère Jamel Taganza.
Si certaines d’entre elles affichent un certain volume de vente, comme Lynk & Co qui, avec 220516 immatriculations en Chine, a commercialisé quasiment autant de voitures que Renault en France, d’autres font de la figuration dans leur propre pays.
Seres ou Aiways n’ont, en effet, pas dépassé, respectivement les 8169 et 2698 immatriculations en 2021. Certains mastodontes comme Changan, Geely ou Chery n’ont pas, du moins pour l’instant, communiqué sur leurs intentions d’attaquer le marché européen. En outre, ces marques avancent toutes en ordre assez dispersé.
Le groupe Great Wall Motor distribuera, par exemple, la marque Wey en France, mais pas Ora. Nio ne prévoit pas de commercialisation de ses trois modèles sur notre territoire, tandis que Seres vend des voitures thermiques en Espagne, alors que l’importateur français n’a retenu que des modèles électriques pour l’Hexagone.
Car la volonté de s’internationaliser a toujours été, du moins en façade, une stratégie de certains acteurs. À partir du milieu des années 2000, ils ont eu quelques velléités d’exister sur le marché européen, comme cela a été le cas pour Landwind ou plus tard, Qoros, qui ont présenté des modèles à Paris, Genève ou Francfort.
Marché périphérique
Mais à cette époque, il s’agissait plus de donner confiance au client chinois, en montrant que ces marques étaient présentes en Europe, que de commercialiser vraiment une gamme. Il a d’ailleurs suffi d’un crash‑test catastrophique pour Landwind pour couper court à toute commercialisation.
Quelques années plus tard, les constructeurs chinois sont revenus, mais en périphérie du marché européen, notamment en Bulgarie, voire au Maghreb, sans forcément beaucoup plus de succès. Mais aujourd’hui, le développement de l’électrique leur a permis de repartir d’une feuille blanche et d’être présents avec de fortes ambitions.
Reste que dans cette offre pléthorique, tout le monde n’aura pas sa place au soleil. Aussi bien en Chine qu’à l’international. Car le marché demeure très effrité; 42 marques couvrent, en effet, moins de 10 % des immatriculations locales.
« Avec une politique plus dure, le nombre de marques va se réduire »
Jamel Tangaza, consultant associé chez Inovev
Le Journal de l'Automobile : Pourquoi existe‑t‑il autant de marques en Chine ?
Jamel Tangaza : Les raisons sont nombreuses. La première est liée à l’organisation administrative du pays. Les provinces, voire les municipalités, disposent de leurs propres outils industriels et beaucoup d’entre elles fabriquent des véhicules. Résultat : il existe beaucoup de marques automobiles dont le périmètre de commercialisation ne dépasse pas la région où les véhicules sont produits. Ensuite, avec le développement du véhicule électrique, beaucoup de constructeurs ont mis sur le marché des marques dédiées à l’électrique. D’ailleurs, il existe des marques qui sont en fait à la fois des marques et des modèles. Enfin, beaucoup d’entrepreneurs se sont lancés dans la production de véhicules électriques, grâce au soutien de l’État chinois. Mais maintenant que les aides ont été réduites, voire arrêtées, des marques ont dû mettre la clé sous la porte. D’ailleurs, une partie non négligeable a une durée de vie assez courte.
J.A. : Quel rapport entretiennent les Chinois avec leurs marques nationales ?
J.T. : Avec le véhicule thermique, les constructeurs chinois cherchaient à nouer des partenariats avec des constructeurs non chinois afin que les clients puissent avoir confiance en leurs produits. Aujourd’hui, c’est moins le cas. Il ne faut pas oublier que la Chine s’est ouverte à l’automobile il y a seulement une vingtaine d’années. De nos jours, une partie importante de la population a accès à l’automobile grâce aux marques chinoises.
J.A. : Quelle est la réalité économique de toutes ces marques ?
J.T. : C’est très difficile de connaître la situation financière de ces entreprises, d’autant plus que certaines sont subventionnées. En Chine, la frontière entre le privé et le public est toujours très fine. Même dans le cas d’entreprises qui se revendiquent comme 100 % privées, comme Geely, il est difficile de savoir ce qu’il en est vraiment.
J.A. : Pensez‑vous que le nombre de marques va croître dans les années à venir ?
J.T. : Le marché de la voiture particulière est de 23 millions d’unités et nous pensons qu’il est loin d’avoir atteint son plafond. À court ou moyen terme, les 30 millions d’unités sont parfaitement envisageables. Mais nous estimons qu’avec la politique de l’État chinois qui durcit de façon drastique l’accès à la technologie électrique, ainsi qu’aux subventions, le nombre de marques va se réduire. En fait, il faut voir le marché chinois comme celui qui existait aux États‑Unis ou en Europe au début du XXe siècle. Il y avait de nombreuses marques qui étaient en fait des carrossiers. Combien d’entre elles ont aujourd’hui survécu au fil des décennies ?
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