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Constructeurs

La décennie Carlos Tavares : chronique d'une ascension fulgurante

Publié le 19 juin 2024

Par Nabil Bourassi
6 min de lecture
L’arrivée de Carlos Tavares chez PSA en 2014 a signé le départ d’une aventure industrielle spectaculaire, en faisant d’une entreprise au bord de la faillite un géant mondial de l’automobile. Ce succès réside dans une formule qui allie performance et obsession de la frugalité.
Carlos Tavares, DG de Stellantis, est l’architecte d’un groupe automobile mondial et dont la rentabilité caresse les sommets.

C’est un tournant in­dustriel dans l’his­toire économique ré­cente de la France. Le redressement spec­taculaire du groupe PSA en 2014 a remis la France dans le concert des puissances automobiles au moins à l’échelle européenne… Dix ans plus tard, ce tournant a pris une dimen­sion planétaire avec la création de Stellantis. Un chantier titanesque dont le nom de l’architecte est deve­nu une véritable référence auprès des marchés financiers : Carlos Tavares.

 

C’est peu de dire que le sauvetage de PSA était une gageure. Moins de deux ans auparavant, l’État fran­çais, aidé du constructeur automo­bile chinois Dongfeng, renflouait les caisses d’un groupe aux abois, au bord de la faillite. Si Philippe Varin, le PDG de l’époque, avait largement commencé le travail de restructuration de l’entreprise (cessions non stratégiques, plan d’économies, fermeture de l’usine d’Aulnay‑sous‑Bois, en Seine-Saint-Denis…), l’arrivée de Carlos Tavares a été un nouvel accélérateur dans la rationalisation des coûts.

 

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Le "psychopathe de la performance"

 

L’ancien numéro deux de Renault, plus ou moins limogé après avoir exprimé publiquement ses ambi­tions face au tout‑puissant Carlos Ghosn, se présentait alors volontiers comme "un psychopathe de la per­formance". Compactage des usines, réorganisation des lignes de produc­tion, cession du foncier… Carlos Ta­vares fait baisser le point mort (seuil en dessous duquel l’entreprise de­vient profitable) de trois à deux millions de voitures en moins de deux ans dans le cadre du plan Back in the Race.

 

Dans le même temps, il réorga­nise les marques pour redonner de la cohérence et n’a qu’un mot à la bouche : le pricing power. Finie la compétition interne entre Peugeot et Citroën. La marque au lion se voit confier un cahier des charges de montée en gamme en visant le benchmark Volkswagen. De leur côté, les chevrons se recentrent sur une gamme plus populaire et généraliste pour contrer un Ford, un Renault ou un Skoda. Pour plus de cohérence, Carlos Tavares exfiltre de Citroën sa ligne de modèles haut de gamme DS pour en faire une marque à part entière et dont l’ambition est de se focaliser sur le premium.

 

La suite de l’histoire est grisante pour le patron de choc. Les profits de PSA s’envolent, notamment por­tés par le succès de Peugeot et de son fameux 3008 dont on dit que la marge bénéficiaire est astronomique. Les courtiers évoquent une marge de 12 % environ. Le renouvellement de la gamme amplifie le phénomène et Peugeot devient la vache à lait de PSA. Même le facelift du 2008, qui reprend les codes du 3008, permet de booster ses ventes après un pre­mier mandat en demi‑teinte. Ce suc­cès permet d’occulter les difficultés de Citroën et DS. Pour la marque aux chevrons, les résultats sont plus contrastés, mais son repositionne­ment est bien compris par les clients. Quant à DS, la belle percée du DS 7 ne transforme pas l’essai sur le reste de la gamme.

 

Échec à l’international

 

Autre grief : Carlos Tavares bute sur l’internationalisation. Sa stratégie de voitures mondiales ne convainc pas les pays émergents. Les ventes plafonnent en Amérique latine et s’effondrent en Chine. Même en Europe, les performances de PSA restent cantonnées à son périmètre historique : France, Espagne, Ita­lie… Le coup de massue viendra du nouvel embargo sur l’Iran en 2018 qui prive PSA de 400 000 immatriculations par an.

 

Opportuniste, Carlos Tavares s’empare d’Opel, dernier vestige européen de l’américain General Motors. Le rachat d’une marque allemande par un groupe français suscite la sidération en Allemagne (qui feint d’oublier qu’Opel était à capitaux américains depuis 1927…). Cette opération permet à PSA "d’acheter" des parts de marché au Royaume‑Uni (avec la marque Vauxhall), mais surtout de s’im­planter sur le très chauvin marché allemand. Mais cette opération fait dire aux investisseurs que Carlos Tavares ne parvient pas à créer de la croissance organique et cela le contraint donc à des opérations de rachat. D’ailleurs, c'est le schéma qui a, plus tard, justifié la prise de contrôle du chinois Leapmotor, puisque Stel­lantis n’est pas parvenu à percer en Chine avec ses propres marques.

 

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Sauf que le contexte macroéco­nomique et réglementaire se tend et Carlos Tavares comprend que pour survivre, il faut devancer une consolidation qu’il considère comme inéluctable. La fusion en 2021 avec Fiat Chrysler, qui va créer Stellantis, le propulse au 4e rang mondial avec plus de six millions de voitures vendues et un chiffre d’af­faires de 190 milliards d’euros. Ce nouveau mastodonte fait de lui l’un des patrons les plus puissants de la planète automobile.

 

Des profits mirobolants et saignée des effectifs

 

Le colosse est immédiatement sou­mis aux méthodes tavaresques et dégage, dès la première année, des profits époustouflants. Plus de treize milliards d’euros de bénéfices nets dès la première année et plus de 18 milliards en 2023. Mais les usines italiennes souffrent d’un im­portant retard de productivité et de surcapacité. Le patron portugais ne se laisse pas impressionner par les pressions du gouvernement italien qui voit d’un mauvais œil les res­tructurations en cours sur les sites de la péninsule. Celui qui avait pro­mis de ne fermer aucun site ne s’in­terdit pourtant pas de réduire les ef­fectifs à travers des plans de départs volontaires généreux. En quatre ans, Stellantis s’est séparé de près de 37 000 employés dans le monde.

 

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Mais Carlos Tavares estime n’être qu’à la moitié du chemin. Selon lui, le péril est encore à venir avec l’offensive des marques chinoises, les échéances réglementaires et la hausse des coûts du carburant. Selon lui, l’inexorable marche du monde sera "darwinienne". Il estime d’ailleurs qu’il ne restera que cinq constructeurs mondiaux d’ici 2035, dont il fera partie… Il avait d’ail­leurs suscité la stupéfaction en mars en déclarant à Bloomberg être prêt à une nouvelle mégafusion en citant Ford, General Motors ou… Renault. Un scénario rapidement exclu, no­tamment par son principal action­naire, John Elkann. Reste désormais à élucider la question que tout le monde se pose : rempilera‑t‑il pour un nouveau mandat après 2026 ?

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