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Distribution

Distribution automobile : un modèle à reconstruire

Publié le 19 novembre 2025

Par Catherine Leroy
8 min de lecture
Volumes en recul, marges qui se fragilisent, le marché automobile s'enlise dans la crise. Confrontés à des rentabilités au plus bas, les réseaux de distribution doivent réinventer leur modèle : rationaliser l’immobilier, optimiser les frais de structure, miser sur le VO, l’après-vente et l’intelligence artificielle. Une transformation devenue vitale.
crise distribution automobile
Confrontés à des rentabilités au plus bas, les réseaux de distribution doivent réinventer leur modèle. ©stock-adobe.com

Le constat est sans appel : la distribution automobile traverse une crise struc­turelle. Les volumes de vente de véhicules neufs ne reviendront pas à leur niveau d’avant‑Covid et les marges, déjà fragilisées par la transition électrique, s’effritent. "La distribution, franchement, c’est compliqué", résume un profes­sionnel du secteur automobile.

 

Et pour cause, les immatriculations de certaines marques ont chuté jusqu’à parfois de plus de 30 % en l’espace de 5 ans. Quelques-unes tirent encore leur épingle du jeu comme BMW, Mercedes-Benz ou Toyota, mais la majorité des réseaux souffrent.

 

 

Chez Stellantis, Ford ou même Renault, la situation est tendue, même si le redressement de certains indicateurs temporise l’urgence. "Mais pour combien de temps ?", s’interroge ce patron de groupe, qui évoque notamment le groupe Renault "d’une fragilité incroyable" dans un marché européen dominé par des géants mondiaux.

 

"Il y a quatre ans, j’attendais presque le contrat d’agent avec gourmandise", se souvient ce dirigeant. "Son abandon par les constructeurs a permis de prouver que nous étions incontournables, ce qui était rassurant. Mais aujourd’hui, force est de constater que les politiques des constructeurs n’ont pas changé. Les concessionnaires ont pris conscience qu’ils ne sont pas là pour les aider, un peu comme Trump avec les Européens. Nous aussi, distributeurs, nous devons prendre en main notre destin", fait ce constat un professionnel, un peu amer.

 

Quand une marque perd 30 à 40 % de volume, c’est tout le modèle économique qui bascule Christian Andreani

 

Cette rupture de solidarité est d’autant plus brutale qu’elle succède à des années de pression financière. Le réseau Stellantis se souvient encore des injonctions du constructeur il n’y a pas si longtemps : "Si vous n’adaptez pas vos frais de structure à 4 %, vous êtes morts." Une logique darwinienne, assumée, où seuls les 25 % de concessionnaires les plus performants sont assurés de survivre.

 

En 2025, après cinq années de contraction du marché, d’engagements de reprise complètement hors marché et sans doute parfois aussi de gestion financière trop optimiste, les groupes de distribution doivent affronter une difficile réalité.

 

Repenser l'immobilier

 

"Quand une marque perd 30 à 40 % de volume, c’est tout le modèle économique qui bascule", analyse Christian Andreani, ex-distributeur et cofondateur du cabinet de conseil Othra. Face à ce constat, les réseaux n’ont pas d’autres choix que de repenser leur modèle avec, comme première ligne de front, le patrimoine immobilier. Trop grand, trop coûteux, parfois sous-utilisé, la reconversion des sites est inévitable.

 

 

Regrouper les marques sur un même emplacement est essentiel. L’arrivée des marques chinoises apporte cette respiration. Même si les marges laissées aux réseaux ne sont pas très importantes, leur mise en place dans des mètres carrés inoccupés des anciennes cathédrales offre une réelle bouffée d’air frais. Le but étant de réduire le poids des loyers dans l’exploitation avec un objectif : repasser sous la barre de 1 % du chiffre d’affaires.

 

Un groupe nordiste estime même que le poids des loyers pour une marque généraliste ne doit pas dépasser le ratio de 0,6 voire 0,7 sur le chiffre d’affaires. Le rapport peut monter jusqu’à 1,2 ou 1,3 % pour les marques premium. Dans d’autres cas, la cession de surfaces est indispensable. "Vendre ma réserve foncière m’a permis un apport de trésorerie bienvenu", concède un directeur général de groupe. Les concessions, souvent situées dans des zones commerciales attractives, peuvent parfois accueillir d’autres commerces.

 

Réduire les frais de structure

 

Deuxième levier essentiel : la maîtrise des frais de structure qui, selon les professionnels, doivent se situer entre 4 et 4,5 % du chiffre d’affaires pour une exploitation soutenable. "Tout l’enjeu, explique Christian Andreani, est de transformer des coûts fixes en coûts variables."

 

Les exemples sont multiples : externaliser l’entretien des bâtiments, faire appel à des prestataires marketing ponctuels, mutualiser les fonctions de vente à distance ou d’administration commerciale, voire concentrer toutes les fonctions de support dans un centre de services partagé à l’échelle du groupe. "L’idée n’est pas de détruire des emplois mais de rendre l’organisation plus souple", poursuit Christian Andreani qui plaide pour un pilotage budgétaire trimestriel, partagé avec les cadres et chefs de service. Une transparence avec les équipes qui permet de mieux traverser la tempête.

 

Dans le groupe Vulcain, dirigé par Jean-Pierre Rinaudo, la baisse des frais fixes va de pair avec une modification de l’équation. "L’activité pièces et après-vente doit permettre de couvrir 80 % de mes frais généraux et les 20 % restants doivent l’être par l’activité VO. Je dois me libérer, financièrement, de l’activité VN. Ce qui induit d’être excellent sur ces trois autres secteurs. Mais bien sûr, je dois en parallèle baisser les frais fixes, mes stocks VN et mes surfaces de vente. En réalité, je fais en sorte que l’activité de vente de voitures neuves ne soit que du bonus."

 

Une position un peu extrême qui n’est pas partagée entièrement par d’autres dirigeants. Mais la stratégie est bien là. Tous reconnaissent que les activités VO et après-vente doivent devenir de plus en plus importantes. Après un mouvement où les groupes de distribution ont confié beaucoup d’occasions à des enchéristes, certains entament un mouvement inverse. "Ces intermédiaires captent entre 500 et 800 euros par véhicule. Faites le calcul : 1 000 VO confiés, c’est jusqu’à 800 000 euros de marge perdue", fait remarquer ce professionnel.

 

Or, un VO génère de l’après-vente, du financement, des garanties, des activités sources de rentabilité et de fidélisation du client.

 

Diversifier pour retrouver de la marge

 

Si le VO reste un pilier central de la distribution, développer l’atelier et la vente de pièces est primordial. Le parc automobile français continue de vieillir et rester dans l’attente des entretiens des modèles jusqu’à 5 ans ne doit pas être vécu comme une fatalité selon les professionnels interrogés. Les ateliers de marque tournent souvent à 60 % de leur capacité.

 

Adopter une franchise de centre auto ou créer une carrosserie en marque blanche moderne permet de maximiser l’utilisation des équipements et du personnel. Tout comme réfléchir à la mise en place d’une filière pour s’approvisionner en pièces d’occasion.

 

À côté de ce fondamental de l’après-vente, toute source de diversification est bonne à prendre. Scooter, moto, vélo, camping-car sont autant de segments porteurs où le savoir-faire commercial, la relation client, le financement et l’entretien se transposent naturellement. "Ce sont des métiers différents, mais pas étrangers au nôtre, explique Christian Andreani. Et surtout, cela redonne du trafic dans les points de vente."

 

Enfin, améliorer la productivité, notamment grâce à l’intelligence artificielle, n’est pas encore suffisamment pris en compte. "En France, seules 14 % des entreprises utilisent l’intelligence artificielle, contre 70 % aux États-Unis", souligne le cofondateur du cabinet Othra. Or, les applications sont multiples : automatisation des tâches administratives et comptables, prédiction des flux à l’atelier, pricing dynamique du VO, gestion intelligente des stocks, relation client personnalisée, agent conversationnel…

 

La cession, oui mais...

 

Malgré tout, certains pensent sérieusement à jeter l’éponge face à un métier qu’ils ne reconnaissent plus. Et si la concentration dans la distribution automobile semble faire une pause en cette fin d’année 2025, c’est surtout parce que certains fonds de commerce ont été complètement détruits. "Certains distributeurs doivent aujourd’hui payer un repreneur pour céder leur affaire, tant les engagements hors bilan ont ruiné la rentabilité", avoue Christian Andreani.

 

En cause, les engagements de reprise sur certaines marques qui font perdre parfois jusqu’à 5 000 euros par voiture à rentrer dans les trois ans à venir. Avec le leasing social, par exemple, certaines affaires attendent fébrilement le retour de 500 voitures… de quoi donner des sueurs froides aux distributeurs.

 

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Les 7 leviers d'action

 

  1. Rationaliser l’immobilier Réduire les surfaces, regrouper les sites, convertir les mètres carrés en actifs productifs.
  2. Centraliser les back‑offices Créer un centre de services partagé pour mutualiser la comptabilité, les RH et le marketing.
  3. Adapter la masse salariale Piloter les budgets au trimestre, ajuster sans détruire la motivation des équipes.
  4. Refinancer et alléger la dette Négocier des échéances plus longues et libérer du capital immobilisé.
  5. Diversifier les activités Développer le VO, les centres‑auto, la carrosserie blanche, les nouvelles mobilités, les marques chinoises.
  6. Variabiliser les coûts – Transformer les charges fixes en dépenses variables, externaliser les fonctions non stratégiques.
  7. Digitaliser et intégrer l’intelligence artificielle – Automatiser la gestion, anticiper la demande, optimiser la rentabilité et améliorer le confort.
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