Smart déjà à l’heure des choix

Depuis l’apparition de la Fortwo en 1998, la vie de la marque Smart n’aura jamais été véritablement un long fleuve tranquille. Ce fut même compliqué dès la genèse entre Nicolas Hayek, qui a imaginé le concept, et Daimler qui l’a mis en musique.
Mais malgré les turbulences, la Fortwo a trouvé sa place dans les villes européennes, principalement, et a surtout défini Smart. Tellement d’ailleurs que les multiples tentatives d’élargir la gamme (Coupé, Roadster, Forfour, etc.) n’ont finalement jamais vraiment réussi à exister, faisant de la rentabilité de la marque un sujet récurrent.
Après la coopération avec Renault, où les dernières générations de citadines partageaient beaucoup avec la Twingo, Mercedes‑Benz a choisi de s’allier à Geely pour donner un nouvel avenir à la marque. Au chinois, la définition technique et la production et à l’allemand, le style. Les deux constructeurs annoncent la création de leur coentreprise en 2019 et le premier fruit de cette union, le Smart #1, sera dévoilé en 2022, pour une commercialisation en Europe au début de l’année 2023.
En 2019, Daimler et Geely annoncent la création d'une coentreprise pour relancer Smart. ©Mercedes-Benz
Depuis, la gamme s’est étoffée avec le #3 et d’ici quelques semaines, le SUV du segment C #5. Fini les petites Smart de 2,50 ou 2,69 m, place à des modèles « normaux » de 4,27 m, 4,40 m et 4,70 m ! "Depuis 2021, notre mission est de relancer la marque Smart en construisant une gamme plus large, présente Cyril Bravard, PDG de Smart France, le tout sans perdre son ADN."
Des vents contraires
"Pour juger de la renaissance de Smart, depuis la collaboration avec Geely, il faut prendre une perspective mondiale et principalement chinoise où les ventes sont tout de même significatives malgré le contexte très concurrentiel de ce marché, prévient Karolyn Favreau, partner du cabinet OMS & Co. Les modèles actuels de Smart sont vraiment différents de ceux que nous avons connus mais sont pertinents sur le marché chinois."
En Europe et en France, les volumes sont effectivement plus mesurés. Cela étant, il faut se souvenir que Smart n’a jamais été une marque à fort volume. Et au-delà du défi déjà énorme de repositionner une marque, Smart a également vu son retour perturbé par des éléments indépendants de sa volonté. Produits en Chine, les nouveaux modèles doivent ainsi s’acquitter de 19,7 % de taxes supplémentaires pour entrer en Europe.
En France, la possibilité d’un bonus a disparu au moment du lancement du #1 et faute d’écoscore, les modèles de la marque sont pénalisés dans les car policies de l’univers BtoB, car bien qu’électriques, ils ne bénéficient pas des mêmes avantages fiscaux que ceux fabriqués en Europe.
"L’ensemble de ces éléments nous a forcément pénalisés et a ralenti notre progression, avoue Cyril Bravard, nous pensions effectivement réaliser plus de ventes."
Cyril Bravard, PDG de Smart France. ©Smart
Les ressources absorbées par les taxes européennes compliquent la mutation car cela prive la communication ou le marketing de moyens pour expliquer les changements engagés chez Smart. De plus, le constructeur ne va pas pouvoir supporter ad vitam aeternam cette charge supplémentaire et cela se traduira un jour sur les prix.
Cela étant, le président est confiant : "Nous y arriverons mais il nous faudra plus de temps." Il voit aussi des motifs de satisfaction avec des produits "à la hauteur techniquement et technologiquement, qui correspondent aux attentes des clients et du réseau".
Des modèles bien différents de ceux du passé dont le prix peut parfois surprendre les anciens clients. En effet, le #1 débute à 35 815 euros, le #3 à 39 315 euros et le #5 à 46 000 euros. Pour autant, ces tarifs n’ont rien d’extravagant sur le marché de l’électrique actuel et au regard du contenu des modèles.
Une relocalisation de la production en Europe pourrait, en partie, donner un peu d’air à la marque. Un choix qu’a fait Volvo (lui aussi dans la galaxie Geely) pour son petit SUV électrique EX30 qui est aujourd’hui partiellement produit en Belgique, dans l’usine de Gand. "C’est un sujet qui est à l’étude, sans qu’aucune décision ne soit encore prise, précise Cyril Bravard, il s’agit d’une réflexion importante, qui engage beaucoup de moyens financiers. Pour de tels investissements, la stabilité réglementaire et fiscale est aussi à prendre en compte."
Le retour de la Fortwo ?
"L’enjeu en Europe et en France est vraiment d’expliquer cette nouvelle gamme, indique Karolyn Favreau, mais surtout de ne pas perdre l’ADN fondateur de Smart qu’illustre la très novatrice Fortwo de 1998."
Selon l’analyste, même si les produits de la marque sont aujourd’hui "plutôt dans le marché mainstream mondial tiré par la Chine", elle ne doit pas oublier ses racines européennes qui doivent se retrouver dans de futurs modèles.
L’éventuel retour d’une Fortwo, une #2 peut‑être, serait une bonne nouvelle pour les filiales européennes. "Pour beaucoup, encore aujourd’hui, Smart est un modèle, la Fortwo, et non une marque", explique Cyril Bravard. Mais donner une héritière à la Fortwo est-il possible ?
Malgré sa disparition, la Fortwo demeure le modèle emblématique de la marque Smart. ©Como Paris
"Nous y travaillons, nous regardons la faisabilité d’un tel projet. J’espère que cela pourra se faire, indique le PDG, mais aujourd’hui, aucune annonce n’a été faite en ce sens. Dans cette équation difficile à résoudre, nous devons étudier les volumes potentiels et plus généralement le business case dans son ensemble car un tel modèle nécessiterait notamment une plateforme spécifique."
Pour tenter d’accélérer les choses, la question de poursuivre dans le 100 % électrique s’est également posée. Mais l’état-major de la marque a confirmé que Smart resterait électrique en Europe. De quoi lire en creux que dans d’autres zones géographiques, la marque, forte du portefeuille des technologies de Geely, pourrait s’aventurer sur d’autres terrains.
Cyril Bravard lui-même a réfléchi, notamment, à la possibilité de l’hybride rechargeable, mais les évolutions actuelles de la fiscalité (malus au poids entre autres) et des réglementations laissent peu de chances à de tels projets. Puis, on revient là encore à la volatilité des règles.
"Avec un temps de développement de 2 à 3 ans, nous ne pouvons pas prendre un pari sur un modèle qui, le jour de sa commercialisation, se retrouverait hors marché", appuie Cyril Bravard.
La complémentarité avec Mercedes-Benz
Dans ce contexte, le réseau Smart a lui aussi évolué. Alors qu’il comptait un peu plus de 100 points de vente en 2019, il en totalise aujourd’hui 47, tous hébergés dans les showrooms Mercedes-Benz et opérant sous contrat d’agent.
"Un réseau content de la renaissance de Smart, car il faut se souvenir qu’avant l’accord avec Geely, l’avenir de la marque n’était pas très clair, se rappelle Cyril Bravard, et le réseau partage également ma frustration sur les volumes de vente."
Le réseau Smart s’appuie aujourd’hui sur 47 points de vente, tous installés dans des concessions Mercedes-Benz. ©Smart
Difficile de savoir si un corner Smart est rentable compte tenu des faibles volumes actuels, mais le président souligne que les investissements sont mesurés, "environ 50 000 euros". "La marque cherche vraiment à réduire au maximum les coûts fixes afin d’abaisser le seuil de rentabilité", ajoute le dirigeant.
Smart joue également la carte de la complémentarité avec l’offre de Mercedes‑Benz. En effet, avec l’évolution de la marque à l’étoile, où le CLA va être l’entrée de gamme une fois les Classe A et B actuelles disparues, Smart vient compléter l’offre du groupe allemand.
Au chapitre industriel, on image une rentabilité bien supérieure à celle de l’époque des Fortwo de Hambach (59). En effet, Geely ne manque pas de marques et peut maximiser les économies d’échelle. Ainsi, la plateforme sur laquelle reposent les Smart d’aujourd’hui, baptisée SEA (Sustainable Experience Architecture), est appelée à être utilisée sur 16 autres modèles de 7 marques différentes. Sous nos latitudes, le Volvo EX30 fait partie de ceux-là.
La renaissance de Smart n’est donc pas simple à l’heure où la trajectoire européenne vers le zéro émission n’est plus aussi solide et que nombre de constructeurs ont revu à la baisse leurs objectifs d’électrification. Pour autant, les ventes de véhicules électriques semblent enfin décoller en Europe, comme le soulignent les derniers chiffres de l’ACEA (UE + EFTA + UK), où les immatriculations de VE ont bondi de 27,9 % après 4 mois d’activité en 2025.
Pour renouer définitivement avec son histoire, Smart ne semble pas pouvoir faire l’impasse sur le retour de sa microcitadine fétiche et sur une relocalisation au moins partielle de sa production en Europe. Comme l'a fait Volvo avec son EX30 en Belgique.
Car dans sa volonté de protéger l’industrie automobile du continent, l’exécutif européen semble décidé à contrer les importations chinoises. BYD a choisi la Hongrie, Chery l’Espagne et gageons que d’autres acteurs chinois, comme SAIC/MG et naturellement Geely, s’implanteront sur notre continent. Smart doit réagir. À moins que le modèle économique actuel soit finalement suffisant à faire vivre la marque à l’échelle globale.
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