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Constructeurs

Smart déjà à l’heure des choix

Publié le 19 juin 2025

Par Christophe Jaussaud
9 min de lecture
Avec l’arrivée du #1 en 2023, puis des #3 et #5 ensuite, Smart a ouvert un nouveau chapitre de sa courte histoire. Mais ce retour s’avère compliqué, la marque peinant à trouver sa place, notamment dans un contexte de taxation des modèles électriques produits en Chine.
En attendant le retour d’une éventuelle Fortwo, Smart s’attaque au segment C-SUV électrique avec le #5. ©Smart

Depuis l’apparition de la Fortwo en 1998, la vie de la marque Smart n’aura jamais été véritablement un long fleuve tranquille. Ce fut même compliqué dès la genèse entre Nico­las Hayek, qui a imaginé le concept, et Daimler qui l’a mis en musique.

 

Mais malgré les turbulences, la Fortwo a trouvé sa place dans les villes européennes, principale­ment, et a surtout défini Smart. Tellement d’ailleurs que les multi­ples tentatives d’élargir la gamme (Coupé, Roadster, Forfour, etc.) n’ont finalement jamais vraiment réussi à exister, faisant de la renta­bilité de la marque un sujet récur­rent.

 

Après la coopération avec Re­nault, où les dernières générations de citadines partageaient beaucoup avec la Twingo, Mercedes‑Benz a choisi de s’allier à Geely pour don­ner un nouvel avenir à la marque. Au chinois, la définition technique et la production et à l’allemand, le style. Les deux constructeurs annoncent la création de leur coentreprise en 2019 et le premier fruit de cette union, le Smart #1, sera dévoilé en 2022, pour une commercialisation en Europe au début de l’année 2023.

 

En 2019, Daimler et Geely annoncent la création d'une coentreprise pour relancer Smart. ©Mercedes-Benz

 

Depuis, la gamme s’est étoffée avec le #3 et d’ici quelques semaines, le SUV du segment C #5. Fini les petites Smart de 2,50 ou 2,69 m, place à des modèles « normaux » de 4,27 m, 4,40 m et 4,70 m ! "Depuis 2021, notre mission est de relancer la marque Smart en construisant une gamme plus large, présente Cy­ril Bravard, PDG de Smart France, le tout sans perdre son ADN."

 

Des vents contraires

 

"Pour juger de la renaissance de Smart, depuis la collaboration avec Geely, il faut prendre une perspec­tive mondiale et principalement chinoise où les ventes sont tout de même significatives malgré le contexte très concurrentiel de ce marché, prévient Karolyn Favreau, partner du cabinet OMS & Co. Les modèles actuels de Smart sont vraiment différents de ceux que nous avons connus mais sont per­tinents sur le marché chinois."

 

 

En Europe et en France, les volumes sont effectivement plus mesurés. Cela étant, il faut se souvenir que Smart n’a jamais été une marque à fort volume. Et au-delà du défi déjà énorme de repositionner une marque, Smart a également vu son retour perturbé par des éléments indépendants de sa volonté. Pro­duits en Chine, les nouveaux mo­dèles doivent ainsi s’acquitter de 19,7 % de taxes supplémentaires pour entrer en Europe.

 

 

En France, la possibilité d’un bo­nus a disparu au moment du lance­ment du #1 et faute d’écoscore, les modèles de la marque sont péna­lisés dans les car policies de l’uni­vers BtoB, car bien qu’électriques, ils ne bénéficient pas des mêmes avantages fiscaux que ceux fabri­qués en Europe.

 

"L’ensemble de ces éléments nous a forcément pénalisés et a ralenti notre progression, avoue Cyril Bravard, nous pensions effec­tivement réaliser plus de ventes."

 

Cyril Bravard, PDG de Smart France. ©Smart

 

Les ressources absorbées par les taxes européennes compliquent la mutation car cela prive la com­munication ou le marketing de moyens pour expliquer les change­ments engagés chez Smart. De plus, le constructeur ne va pas pouvoir supporter ad vitam aeternam cette charge supplémentaire et cela se traduira un jour sur les prix.

 

Cela étant, le président est confiant : "Nous y arriverons mais il nous faudra plus de temps."  Il voit aussi des motifs de satisfaction avec des produits "à la hauteur techniquement et technologique­ment, qui correspondent aux at­tentes des clients et du réseau".

 

 

Des modèles bien différents de ceux du passé dont le prix peut parfois sur­prendre les anciens clients. En effet, le #1 débute à 35 815 eu­ros, le #3 à 39 315 euros et le #5 à 46 000 euros. Pour autant, ces ta­rifs n’ont rien d’extravagant sur le marché de l’électrique actuel et au regard du contenu des modèles.

 

Une relocalisation de la produc­tion en Europe pourrait, en partie, donner un peu d’air à la marque. Un choix qu’a fait Volvo (lui aus­si dans la galaxie Geely) pour son petit SUV électrique EX30 qui est aujourd’hui partiellement produit en Belgique, dans l’usine de Gand. "C’est un sujet qui est à l’étude, sans qu’aucune décision ne soit encore prise, précise Cyril Bravard, il s’agit d’une réflexion importante, qui en­gage beaucoup de moyens financiers. Pour de tels investissements, la stabi­lité réglementaire et fiscale est aussi à prendre en compte."

 

Le retour de la Fortwo ?

 

"L’enjeu en Europe et en France est vraiment d’expliquer cette nouvelle gamme, indique Karolyn Favreau, mais surtout de ne pas perdre l’ADN fondateur de Smart qu’illustre la très novatrice Fortwo de 1998."

 

Selon l’analyste, même si les pro­duits de la marque sont aujourd’hui "plutôt dans le marché mainstream mondial tiré par la Chine", elle ne doit pas oublier ses racines euro­péennes qui doivent se retrouver dans de futurs modèles.

 

L’éven­tuel retour d’une Fortwo, une #2 peut‑être, serait une bonne nouvelle pour les filiales européennes. "Pour beaucoup, encore aujourd’hui, Smart est un modèle, la Fortwo, et non une marque", explique Cyril Bravard. Mais donner une héritière à la Fortwo est-il possible ?

 

Malgré sa disparition, la Fortwo demeure le modèle emblématique de la marque Smart. ©Como Paris

 

"Nous y travaillons, nous regar­dons la faisabilité d’un tel projet. J’espère que cela pourra se faire, indique le PDG, mais aujourd’hui, aucune annonce n’a été faite en ce sens. Dans cette équation difficile à résoudre, nous devons étudier les volumes potentiels et plus géné­ralement le business case dans son ensemble car un tel modèle néces­siterait notamment une plateforme spécifique."

 

Pour tenter d’accélérer les choses, la question de pour­suivre dans le 100 % électrique s’est également posée. Mais l’état-major de la marque a confirmé que Smart resterait élec­trique en Europe. De quoi lire en creux que dans d’autres zones géo­graphiques, la marque, forte du portefeuille des technologies de Geely, pourrait s’aventurer sur d’autres terrains.

 

Cyril Bravard lui-même a réfléchi, notam­ment, à la possibilité de l’hybride rechargeable, mais les évolutions actuelles de la fiscalité (malus au poids entre autres) et des régle­mentations laissent peu de chances à de tels projets. Puis, on revient là encore à la volatilité des règles.

"Avec un temps de développement de 2 à 3 ans, nous ne pouvons pas prendre un pari sur un modèle qui, le jour de sa commercialisation, se retrouverait hors marché", appuie Cyril Bravard.

 

La complémentarité avec Mercedes-Benz

 

Dans ce contexte, le réseau Smart a lui aussi évolué. Alors qu’il comp­tait un peu plus de 100 points de vente en 2019, il en totalise au­jourd’hui 47, tous hébergés dans les showrooms Mercedes-Benz et opérant sous contrat d’agent.

 

"Un réseau content de la renais­sance de Smart, car il faut se sou­venir qu’avant l’accord avec Geely, l’avenir de la marque n’était pas très clair, se rappelle Cyril Bra­vard, et le réseau partage égale­ment ma frustration sur les vo­lumes de vente."

 

Le réseau Smart s’appuie aujourd’hui sur 47 points de vente, tous installés dans des concessions Mercedes-Benz. ©Smart

 

Difficile de savoir si un corner Smart est rentable compte tenu des faibles volumes actuels, mais le président sou­ligne que les investissements sont mesurés, "environ 50 000 euros". "La marque cherche vraiment à réduire au maximum les coûts fixes afin d’abaisser le seuil de rentabili­té", ajoute le dirigeant.

 

 

Smart joue également la carte de la complé­mentarité avec l’offre de Merce­des‑Benz. En effet, avec l’évolution de la marque à l’étoile, où le CLA va être l’entrée de gamme une fois les Classe A et B actuelles dispa­rues, Smart vient compléter l’offre du groupe allemand.

 

Au chapitre industriel, on image une rentabilité bien supérieure à celle de l’époque des Fortwo de Hambach (59). En effet, Geely ne manque pas de marques et peut maximiser les économies d’échelle. Ainsi, la plateforme sur laquelle reposent les Smart d’au­jourd’hui, baptisée SEA (Sustai­nable Experience Architecture), est appelée à être utilisée sur 16 autres modèles de 7 marques différentes. Sous nos latitudes, le Volvo EX30 fait partie de ceux-là.

 

La renaissance de Smart n’est donc pas simple à l’heure où la trajectoire européenne vers le zéro émission n’est plus aussi solide et que nombre de constructeurs ont revu à la baisse leurs objectifs d’électrification. Pour autant, les ventes de véhicules électriques semblent enfin décoller en Europe, comme le soulignent les derniers chiffres de l’ACEA (UE + EFTA + UK), où les immatricu­lations de VE ont bondi de 27,9 % après 4 mois d’activité en 2025.

 

Pour renouer définitivement avec son histoire, Smart ne semble pas pouvoir faire l’impasse sur le retour de sa microcitadine fétiche et sur une relocalisation au moins par­tielle de sa production en Europe. Comme l'a fait Volvo avec son EX30 en Belgique.

 

Car dans sa volonté de protéger l’industrie automobile du conti­nent, l’exécutif européen semble décidé à contrer les importations chinoises. BYD a choisi la Hongrie, Chery l’Espagne et gageons que d’autres acteurs chinois, comme SAIC/MG et naturellement Geely, s’implanteront sur notre continent. Smart doit réagir. À moins que le modèle économique actuel soit finalement suffisant à faire vivre la marque à l’échelle globale.

 

 

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