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Constructeurs

Distribution automobile : que reste-t-il du contrat d’agent ?

Publié le 5 mai 2025

Par Catherine Leroy
11 min de lecture
Quatre ans après avoir vanté les mérites du contrat d’agent, nombreux sont les constructeurs qui ont fait marche arrière ou ne cessent de retarder le moment du passage à l’acte. Mais le contrat d’agent est-il vraiment mort ? Rien n’est moins certain.
Contrat d'agent
Les réseaux Mini, Cupra et Smart sont pour l’instant les seuls à suivre le modèle de contrat d’agent en France. ©MarieBrunel-BMWMini

En 2021, alors que le concept de vente directe de Tesla bat son plein et que le constructeur américain voit ses immatriculations s’envoler, les concurrents européens se prennent à rêver. Et si eux aussi se passaient d’un réseau de distribution qui vient amputer leurs marges ?

 

À cette époque, Carlos Tavares, homme fort du nouveau groupe Stellantis, jette un pavé dans la mare, comme le patron avait cou­tume de le faire. Ce dernier dénonce un coût de la distribution trop éle­vé à son goût en citant même une part de 30 % du coût d’un véhicule. Un chiffre largement gonflé par des coûts de logistique qui ne relèvent pas des réseaux de distribution.

 

Mais le mal est fait. Ce nouveau modèle est de fait scruté, analysé par les constructeurs, largement poussé par les cabinets de consul­tants. Et le contrat d’agent se ré­pand comme une traînée de poudre en Europe. Mercedes‑Benz, Smart, BMW, Ford, Volvo, les marques du groupe Stellantis, celles du groupe Volkswagen… annoncent ferme­ment se diriger vers ce nouveau modèle contractuel.

 

À tel point que la Commission européenne en pleine refonte de son règlement d’exemption intègre dans ses lignes directrices, en mai 2022, une expli­cation de l’encadrement juridique de cette nouvelle relation.

 

 

Les constructeurs se sentent pous­ser des ailes. Adoubé par Bruxelles, le contrat d’agent trouve un nouvel allié dans le contexte industriel de pénurie de semi-conducteurs. Les constructeurs n’arrivent pas à produire au niveau de la demande. Les prix de vente s’envolent, les négociations et les remises dispa­raissent… Le scenario était donc presque parfait.

 

Pourtant, avant cette période bénie pour les marges opérationnelles des constructeurs, le modèle traditionnel faisait largement consensus auprès de l’industrie. Ce dernier reposait aussi sur un besoin des construc­teurs de pousser du volume, tandis que la distribution avait ce rôle de tampon avec les usines.

 

Mais la crise de la Covid et celle des semi-conduc­teurs ont rebattu les cartes avec le passage d’une stratégie de volume à une stratégie de valeur. Quoi de plus facile d’imposer des prix non négo­ciables lorsque l’on produit toujours moins que la demande.

 

Pourtant, ce déséquilibre entre l’offre et la demande ne pouvait perdu­rer. C’est sans doute la plus grande erreur dans l’analyse et la conduite de la stratégie des marques au­tomobiles.

 

Et d’ailleurs, depuis 2022, la donne a considérablement changé. Le marché automobile européen n’atteint que 10,6 mil­lions d’immatriculations en 2024, contre 12,5 millions en 2019. Tous les grands pays sont tou­chés par cette baisse.

 

En France, entre 2019 et 2024, ce sont près de 500 000 voitures qui se sont évapo­rées dans les comptes.

 

La page d’une production plus faible que la demande est donc bel et bien tournée. Et la vente au détail de voitures neuves fonctionne à un rythme différent de celui de l’environnement industriel. Dès lors, l’équilibre financier inhérent au contrat d’agent devient irréalisable.

 

Les conditions du portage des stocks ne sont plus réunies

 

Deux écueils émergent à la mise en place de ce nouveau contrat. Le portage des stocks, condition sine qua non à la légalité du contrat d’agent, est insurmontable financièrement pour un constructeur généraliste.

 

C’est sans aucun doute le sujet essentiel qui rebat au­jourd’hui les cartes du modèle de distribution, dans un contexte où les constructeurs tournent la page des profits et des marges com­prises entre 8 et 12 %.

 

Jean-Philippe Imparato, directeur de Stellantis Europe, résumait très concrètement cette situation à la fin de l’année 2024. "Le contrat d’agent, aujourd’hui, est plus un problème pour le constructeur que pour les ré­seaux de distribution. Quand l’argent vaut zéro, les réseaux estiment que ce contrat n’est pas utile. Quand les taux de refinancement sont élevés, ils sont heureux de ne pas porter le stock", expliquait-il alors au Journal de l’Automobile.

 

 

Une situation qui prévaut bien sûr également pour les constructeurs automobiles. Porter des stocks de plusieurs centaines de millions d’euros n’a pas le même impact quand les taux de refinancement s’affichent à 3 % que lorsqu’ils étaient proches de 0 au moment où cette stratégie du contrat d’agent a été décidée.

 

Un savoir-faire des distributeurs inégalable

 

Enfin, un second obstacle s’est avéré infranchissable pour de nombreuses marques. Les systèmes informatiques ne peuvent suppléer le travail réalisé par les services comptables et administratifs dans les points de vente des concessionnaires.

 

Louis-Carl Vignon, président de Ford France, résumait très bien la situation, en avril 2024, lorsque la décision d’abandonner le système de contrat d’agent a été annoncée. "Nous avions lancé aux Pays-Bas ce test de contrat d’agent pour mieux connaître les implications en termes d’interface client, de facturation… Nous nous sommes aperçus qu’il y avait de réelles complexités même s’il existe des opportunités. Mais pour un constructeur, transférer un contrat à l’autre revient à passer de la facturation d’une centaine de concessions à près de 90 000 clients ! Ce qui n’est pas simple."

 

 

Pour BMW, selon le constructeur en France, c’est également ce "souci" de facturation au client final qui est à l’origine du développement plus tardif pour le réseau.

 

Le groupe Volkswagen a rencontré ces mêmes difficultés. "Nous avons découvert ce que faisaient presque naturellement tous les comptables et secrétaires commerciales de nos partenaires. Nous avons compris que le réseau servait d’amortisseur entre nos clients et nous et qu’ils étaient plus à même de répondre à leurs besoins", poursuit Xavier Chardon, président du groupe en France.

 

Mieux vaut tard que jamais, les échecs successifs des constructeurs ont permis de découvrir un véritable savoir-faire de la distribution automobile. À tel point que ces derniers ne tarissent plus d’éloges sur les concessionnaires.

 

En mars dernier, Volkswagen, lors de son événement Brand Expérience 2025 qui a réuni près de 11 000 distributeurs européens, a tout bonnement tourné sa veste et a rappelé à quel point ces derniers étaient le centre de ses préoccupations.

 

 

"La force de Volkswagen repose sur trois éléments : une offre de produits attractive, une marque capable de faire naître des émotions et un réseau de distribution à la fiabilité sans faille, en contact direct avec nos clients, a souligné Martin Sander, membre du directoire de Volkswagen en charge des ventes, du marketing et de l’après-vente. Les réseaux de distribution sont en contact permanent avec les clients, à la fois dans les espaces d’exposition et sur les supports numériques. À ce titre, ils jouent un rôle crucial."

 

Le distributeur, un agent qui ne porte pas ce nom

 

Pour autant, le contrat d’agent n’est pas mort. Comme l’explique maître Patrice Mihailov, le repli contraint exercé par l’industrie n’est peut-être que l’arbre qui cache la forêt.

 

La baisse des volumes de vente de véhicules neufs pourrait remettre économiquement sur pied ce type de relations. Et surtout, le contrat d’agent, sans en prononcer le nom, est déjà en marche sur les services, comme le financement, la vente de pièces ou même l’après-vente.

 

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Le mot de… 

Patrice Mihailov, avocat spécialisé dans le droit de la concurrence

 

J.A. : Comment expliquez-vous les marches arrière opérées par de nombreux constructeurs sur le contrat d’agent ?

P. M. : S’il fonctionne pour la commerciali­sation de marques spécialisées, c’est beaucoup plus dur pour les géné­ralistes, en raison notamment des volumes. Le portage des stocks est trop coûteux.

 

Ensuite, la gestion logis­tique et administrative de la vente nécessite des structures et des com­pétences que le constructeur n’a pas.

 

La difficulté réside dans le remplace­ment des assistants commerciaux par de l’IT, qui peine à prendre en charge la facturation, l’acheminement, la livraison, l’immatriculation et tous les imprévus qui peuvent compliquer la commercialisation.

 

J.A. : Cela veut-il dire que le contrat d’agent n’a été qu’un épisode éphémère dans la relation juridique entre un construc­teur et son réseau ?

P. M. : Non. En premier lieu, on s’achemine vers une réduction structurelle des volumes, plus compatible avec le contrat d’agent.

 

En second lieu et surtout, le contrat d’agent pour les véhicules neufs est indispensable à la cohérence du nouveau modèle économique des constructeurs et à son étanchéité. Il s’inscrit dans une perspective de contrôle global du client.

 

Dès qu’il met le pied dans l’éco­système du constructeur et qu’il entre dans sa base de données, le client ne doit être exposé à aucune sollicitation concurrente, même venant du conces­sionnaire.

 

Et ça vaut pour le véhicule neuf, comme pour l’ensemble des ser­vices que peut rechercher le client. Le véhicule neuf, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

 

J.A. : Le concessionnaire est‑il également un agent sur ses autres activités ?

P. M. : Le contrat d’agent, c’est un mandat, c’est-à-dire un contrat par lequel le mandataire s’engage à réaliser un acte juridique – vente, présentation de contrat – au nom et pour le compte de son mandant.

 

Force est de consta­ter que le concessionnaire est déjà le mandataire du constructeur, son agent, pour la commercialisation du crédit et de la location (crédit clas­sique, LOA, LLD), mais aussi pour la commercialisation des contrats d’en­tretien/réparation, de même que les contrats d’assurance et d’assistance.

 

En somme, toute l’activité de la concession est en train d’entrer dans le contrat d’agence. C’est même déjà fait pour l’essentiel. Et à terme, le VO éga­lement, qui est désormais entrepris sous label du constructeur selon un régime proche de la franchise et qui basculera aussi dans l’agence avec la généralisation de la location.

 

Dans ce schéma, en effet, le constructeur peut rester propriétaire du véhicule de sa sortie de chaîne jusqu’à son recyclage, sa commercialisation en occasion pre­nant la forme d’un nouveau cycle de location.

 

J.A. : Quelles conséquences ? Il ne semble pas que ces changements aient sus­cité une levée de boucliers.

P. M. : C’est une révolution invisible. Les structures ne changent pratiquement pas : les constructeurs continuent de construire et les concessionnaires de commercialiser et réparer. La révolu­tion est avant tout juridique et finan­cière.

 

Pour la distribution, deux consé­quences essentiellement : moins de ventes, moins de revenus et, à terme, moins de distributeurs et de répara­teurs. Étant observé que le déploie­ment de ce modèle, qui verrouille l’ac­cès aux données, tend à compromettre le développement de tout modèle alternatif.

 

Pour les consommateurs, c’est l’assurance d’une augmentation des coûts d’acquisition et d’usage de la voiture. Bref, c’est la fin de l’accès universel à cette forme de mobilité.

 

 

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Le "stop and wait" des constructeurs sur le contrat d’agent

 

  • Smart. Smart a déployé un contrat d’agent "non genuine" depuis janvier 2024. Les agents Smart sont rémunérés par une commission fixe, sans notion de volume.
  • Mercedes-Benz. Lancé en Allemagne en 2023, le contrat d’agent était prévu en 2025 en France. Mais il serait repoussé au moins en 2026, la marque ne donnant pas d’informations sur ce sujet.
  • Mini. Depuis le 1er octobre 2024, les distributeurs Mini sont sous contrat d’agent direct en France après une mise en place en Italie, Suède, Pologne, Norvège et Finlande. Un premier bilan doit être effectué d’ici quelques mois.
  • BMW. Initialement prévu en 2026, le déploiement pour le réseau BMW est reporté. Aucune date n’est aujourd’hui avancée, même si le constructeur assure qu’il ne s’agit que d’un report.
  • Volkswagen, Audi, Skoda, Seat. Le groupe Volkswagen a définitivement abandonné le contrat d’agent en France, Espagne et Pologne. Dans un an, l’Allemagne et l’Autriche suivront le même mouvement. Seules les ventes BtoB gardent un modèle de Fleet Agency.
  • Cupra. Si la page du contrat d’agent est tournée pour les marques du groupe Volkswagen, il est bel et bien confirmé pour Cupra.
  • Ford. Le constructeur a annoncé l’abandon du contrat d’agent en avril 2024.
  • Les marques du groupe Stellantis. Jusqu’à l’arrivée de Jean-Philippe Imparato à la tête de Stellantis Europe, le mot d’ordre était d’attendre l’amélioration des process dans les pays où le contrat New Retailer avait été instauré comme en Belgique, Autriche, Pays-Bas et Luxembourg. Après des mois de luttes acharnées avec les distributeurs et malgré les retours désormais positifs des agents belges, le groupe automobile annonce la suspension du déploiement dans les autres pays européens. Jean-Philippe Imparato, lors du Mondial de l’automobile en octobre 2024, a déclaré ne plus vouloir imposer le contrat d’agent. Pour autant, aucune annonce officielle n’a encore été faite sur une application future.
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