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ESG, trois lettres pour guider l’automobile dans sa transition

Publié le 15 janvier 2024

Par Jean-Baptiste Kapela
12 min de lecture
Dans un contexte où l’écologie prend davantage de place dans les entreprises, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) deviennent incontournables. En pleine transition, l’automobile doit relever les défis qui en découlent.
ESG filière automobile
L’ESG comprend toute la stratégie mise en œuvre par une entreprise, ou une organisation, afin de limiter ou d’améliorer son impact sur l’environnement et la société. ©AdobeStock

Souvenez-vous. En sep­tembre 2015, l’Agence américaine de protec­tion de l’environnement (EPA) révèle un scandale qui transformera l’in­dustrie automobile à tout jamais. Entre 2009 et 2015, le groupe Volk­swagen a utilisé un logiciel dans l’objectif de réduire les émissions de NOx et de CO2 de ses moteurs thermiques dans le cadre des essais d’homologation. Si les premières condamnations tombent, l’affaire dite du "dieselgate" laisse une trace indélébile dans l’inconscient col­lectif.

 

L’automobile a l’image d’une industrie qui ne fait pas d’efforts pour préserver l’environnement, alors que la voiture est à l’origine de plus de 60 % des émissions de CO2 sur le Vieux Continent, selon une étude de l’Agence européenne pour l’environnement de 2022. Pourtant, les initiatives en faveur du verdisse­ment de l’automobile se multiplient. En premier lieu avec le virage vers l’électrique, le grand tournant du XXIe siècle pour le secteur. Da­vantage de constructeurs dans le monde entier ont ainsi établi des plans visant la neutralité carbone.

 

"Du côté des constructeurs, nous constatons que des efforts sont réali­sés, mais c’est toujours hésitant. Ils ne se verdissent pas parce qu’ils le sou­haitent vraiment, mais parce qu’il y a des contraintes réglementaires au niveau européen", constate Marie Chéron, responsable de la politique des véhicules pour l’association Transport & Environment. Des moyens déployés qui seraient en­core trop timorés pour de nombreux observateurs. Depuis deux ans, trois lettres reviennent réguliè­rement sur les lèvres des construc­teurs : ESG, abréviation d’environ­nement, social et gouvernance.

 

Apparu en 2004 lors du pacte mondial des Nations Unies vi­sant à rendre plus vertueuses les entreprises, l’ESG comprend toute la stratégie mise en œuvre par une entreprise, ou une organisation, afin de limiter ou d’améliorer son impact sur l’environnement et la société.

 

Un terme qui paraît inno­cent sur le papier, mais qui est une véritable boussole pour les inves­tisseurs, qui regardent de très près l’application des différents critères ESG que les entreprises mettent en place. "Les critères ESG sont importants pour les constructeurs puisque les financiers y prêtent déjà une attention toute particulière et qu’il s’agit d’un sujet croissant pour eux. Ils s’y intéressent, mais pour l’instant, il n’y a pas tellement d’impacts concrets. Les construc­teurs s’engagent pour passer à l’élec­trique, mais sur le scope 3 soit les émissions indirectes, en amont de la chaîne d’approvisionnement et en aval de l’usage des produits nous ne constatons pas d’effort global", insiste Marie Chéron.

 

Les constructeurs dans la moyenne de la notation ESG

 

Pour mesurer la bonne santé ESG des entreprises, il existe aujourd’hui plusieurs scores ESG, comme celui de Sustainalytics, de la société finan­cière américaine Morningstar. Cette dernière attribue un score ESG aux grandes entreprises qui correspond aux risques en matière d’environne­ment. Un score de 0 à 100, dont chaque décile représente un degré de risque. Ainsi, pour un score de 0 à 10, la socié­té constitue un risque négligeable en matière ESG. À l’inverse, au-delà de 40, elle présente un grave risque. Un score qui n’épargne pas les constructeurs.

 

Ainsi, parmi les bons élèves, on re­trouve le groupe Mercedes-Benz (19,6, low risk), Volvo (18,6) ou en­core Porsche (17,1). À l’autre bout du classement, il y a entre autres Subaru (30,4), Mazda Motor (31,5) et Aston Martin (31,9). Mais la grande majorité des constructeurs notés par Sustaina­lytics est classée "ESG medium risk" comme Stellantis (23,4), le groupe Renault (22,3), Tesla (25,2) ou encore BYD (26,8). "Sustainalytics fait partie des agences qui ont une méthode qui a fait ses preuves et qui fait foi pour beaucoup d’entreprises. C’est un nom qui a pignon sur rue et nous y accordons beaucoup de crédit. Il s’agit de l’une des principales agences dans le domaine", présente Jérôme Faton, directeur de la stratégie d’Ampere, filiale de Renault dédiée aux véhicules électriques.

 

Des défis à relever

 

Le cabinet d’audit Deloitte a pu­blié une étude en mars 2023 sur les challenges ESG que doivent relever les entreprises de la filière automobile. Il en identifie sept. Parmi eux, Deloitte met en exergue le "marathon vers le zéro émission" de carbone. Un pre­mier point qui a bien été assimilé par les marques. En effet, un grand nombre d’entre elles ont déjà établi un cap vers l’objectif de la neutralité en CO2.

 

Cer­taines entreprises, comme Nissan, voient l’échéance de cette ambition en 2030, tandis que d’autres, comme Stellantis, voient ce cap sur un plus long terme, en 2038. Et si l’on regarde du côté des équipementiers, comme Valeo, l’échéance est encore plus éloignée, visant 2050. Les ambitions diffèrent, mais l’essentiel est là, les en­treprises ont intégré l’importance de la neutralité carbone.

 

Le développement de l’économie cir­culaire constitue un autre axe soule­vé par le cabinet Deloitte. Là encore, les investissements en la matière sont conséquents pour les constructeurs. À l’image de Renault, avec sa Refactory de Flins (78) et son entité The Future Is Neutral, prévue pour reconditionner 35 000 véhicules par an, lancée en 2021 ou, plus récemment, de Stellantis, avec l’inauguration de son premier site spécialisé dans l’économie circulaire de 73 000 m² près de Turin (Italie), ayant nécessité 40 millions d’euros d’inves­tissements.

 

"Nous industrialisons la récupération et la réutilisation durable des matériaux. Nous sommes convain­cus que notre engagement en faveur des activités de remanufacture, de répara­tion, de réemploi et de recyclage aura un impact positif sur notre planète, tout en apportant de la valeur financière pour Stellantis", avait souligné Carlos Tavares, directeur général du groupe automobile, lors de l’inauguration le 23 novembre 2023.

 

D’autres points de vigilance s’ajoutent comme l’intérêt pour les constructeurs d’avoir une supply chain responsable, aussi bien en termes d’environnement que de droit humain ; des finances plus durables ; l’intégration du déve­loppement durable dans la structure et la stratégie de gouvernance des entreprises et, pour finir, le renforce­ment de la digitalisation pour accélérer leur démarche écologique et sociale. Pour chacun des "challenges" mis en exergue, le cabinet d’audit constate que beaucoup de ces points ont ainsi bien été assimilés par les constructeurs et la filière automobile au sens large. Néan­moins, est-ce suffisant ?

 

Pour Transport & Environment, ce n’est pas le cas. D’après l’association, dans un rapport datant de 2022, "les émissions mondiales des constructeurs sont en moyenne 50 % plus élevées que ce qu’ils déclarent" et 98 % des rejets d’un constructeur proviennent du scope 3. Les fabricants chercheraient ainsi à obtenir les chiffres les plus bas possibles en jouant avec la taille moyenne des véhicules, les lieux et la durée de vie. "Toyota, par exemple, base la moyenne des émissions de ses véhicules sur une durée de vie peu cré­dible de 100 000 km", présente le rap­port. L’association explique, d’autre part, qu’il est "presque aussi intensif en carbone d’investir dans les socié­tés automobiles que de le faire dans l’industrie pétrolière".

 

Elle estime, par ailleurs, que les notations ESG ne sont pas suffisamment fiables pour mesurer l’impact climatique réel des entreprises. "Les émissions de CO2 représentent moins de 1 % de la nota­tion ESG de S & P et de MSCI, deux des principaux indices ESG au monde." Transport & Environment deman­dait que les notations soient revues par l’Union européenne. Mais depuis 2023, l’Union européenne impose aux institutions financières de publier leurs émissions de CO2 liées au scope 3.

 

L’électrification apporte son lot de défis pour le respect des critères ESG. ©AdobeStock

 

Éviter le piège de l’électrique

 

Quid de l’électrique ? La motorisation est devenue incontournable en ce qui concerne la décarbonation de l’au­tomobile. Pour autant, est-ce réellement pris en compte dans les notations ESG des constructeurs ? Oui, en revanche, il ne faut pas perdre de vue la question du scope 3. Le 13 novembre 2023, les médias allemands WDR et Süddeutsche Zeitung ont épinglé l’un des fournisseurs marocains de BMW et Renault, Managem, pour le rejet d’arsenic dans l’environnement.

 

Dans l’attente des résultats de l’enquête in­terne menée par le constructeur bava­rois, cette information montre qu’il y a encore des lacunes concernant l’amont de la production, dues à la sécurisation des approvisionnements en matières rares comme le cobalt ou le lithium.

 

En effet, pour le cas du lithium, les mines requièrent d’importantes quantités d’eau dans des zones qui en sont parfois dépourvues, sans comp­ter l’usage intensif de matières toxiques pour son extraction. D’autre part, en ce qui concerne les pays dans lesquels le lithium, le cobalt ou encore le nickel sont exploités, les règles de sécurité ne sont pas les mêmes que dans les pays européens.

 

Afin de se prémunir et d’éviter les mauvaises surprises comme dans le cas de BMW et Renault, les construc­teurs signent des contrats avec des clauses sur le respect de l’environne­ment et sur les conditions de travail.

 

"L’idée, c’est de conforter les objectifs sur l’électrification, mais il faut que l’empreinte environnementale liée à la production baisse de manière dras­tique, présente Marie Chéron. Nous sommes très intéressés par l’initiative de la France qui conditionne le bonus écologique à un score environnemental. En effet, ce dernier, selon la méthode de l’Ademe, permet de mesurer l’empreinte carbone à la production en regardant les matériaux, y compris dans les batte­ries, mais aussi, toutes les informations sur la recyclabilité et l’utilisation de matériaux biosourcés, sans pour au­tant que ces derniers soient quantifiés dans le score environnemental. Ce qui est regrettable, en revanche, c’est qu’il n’est pas à l’initiative des constructeurs, mais de la France."

 

Afin d’être cohérents avec leurs critères ESG, les constructeurs doivent rester vigilants sur l’extraction des matières rares. ©AdobeStock-freedom_wanted

 

Vers des constructeurs "ESG native" ?

 

Mais ce n’est pas le seul point de vi­gilance perçu par Marie Chéron. "Pour éviter les problématiques liées à l’extraction minière, il faut moins les exploiter, ce qui sous-entend de pro­duire des véhicules plus légers. Nous commençons à voir des annonces pour des véhicules plus légers et moins chers, mais nous n’avons pas encore les éléments pour réduire considéra­blement l’empreinte carbone", ex­plique la responsable de la politique des véhicules chez T & E.

 

En ce sens, la création d’Ampere est intéressante. En effet, le 15 novembre dernier, la filiale de Renault pour les véhicules électriques présentait, en parallèle de sa Twingo électrique à moins de 20 000 euros, ses ambitions. Ampere se définit comme "ESG native". "Am­pere a vraiment été pensé sous le prisme des critères ESG. En tant que pure player de l’électrique et du software, nous sommes confrontés de plein fouet à des enjeux ESG qui sont beaucoup plus spécifiques que ceux d’un construc­teur classique. Les véhicules électriques n’ont bien évidemment pas d’émissions au niveau de l’échappement, mais l’empreinte carbone en ce qui concerne la supply chain et la production est plus importante. Et puis, nous avons aus­si l’enjeu du recyclage de la batterie. Le reste du groupe Renault n’a pas les mêmes défis", soulève Jérôme Faton.

 

La filiale du groupe Renault accorde donc une grande importance à l’approvisionnement en matières premières et travaille donc avec un nombre limité de quatre fournisseurs. La plupart d’entre eux sont en Europe comme Terrafame, extracteur finlandais de nickel, Vul­can, extracteur allemand et Arverne, start-up alsacienne, pour l’extraction de lithium et Managem, pour le cobalt, l’entreprise accusée par les médias al­lemands de rejeter de l’arsenic. "Notre contrat avec eux n’a pas encore démar­ré, puisqu’il commence en 2025. Mais nous avons pris un certain nombre de mesures pour réagir à ce qui s’est passé. Managem s’est engagé contractuelle­ment à rejoindre un programme IRMA (Initiative for Responsible Mining Assu­rance), la principale norme incontour­nable dans le domaine minier pour le respect des normes sociales et environnementales."

 

Avec des objectifs ambitieux tels que le zéro émission net d’Electri­City, son pôle de production dans les Hauts‑de‑France, pour 2025 et de son entité pour 2035. La filiale du groupe met d’ailleurs en avant son score Sustainalytics de 12,8. "Nous avons obte­nu un très bon score avec Sustainalytics, en sortant numéro un dans l’auto­mobile avec une avance assez nette de 4 points par rapport à nos pairs. Struc­turellement, avec ElectriCity, Ampere bénéficie de l’électricité bas carbone française (nucléaire). Ce score s’explique aussi par le fait que nos usines sont au cœur de l’Europe et que nous faisons du local to local et nos clients sont à proxi­mité, ce qui nous permet d’avoir des circuits logistiques assez courts. Sans compter tout le travail sur les énergies renouvelables que nous réalisons", pré­cise le directeur de la stratégie d’Am­pere.

 

La recette semble simple, mais charge aux constructeurs de relever les défis environnementaux sans perdre en rentabilité.

 

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Une présence en demi-teinte de la filière auto dans le CAC 40 ESG

À noter qu’en mars 2021, Euronext, la principale place boursière européenne, a lancé le CAC 40 ESG, qui réunit les 40 en­treprises les plus vertueuses. Un nouvel in­dice boursier qui exclut certains groupes du CAC 40 classique comme Thales, Arce­lorMittal ou encore… Stellantis. Afin d’être dans le classement, un conseil scienti­fique, conduit par Euronext, examine les entreprises, avec une méthodologie basée sur le label ISR (investissement sociale­ment responsable). Dans ce classement, peu de sociétés issues de la filière auto­mobile sont présentes. Le CAC 40 ESG intègre donc des équipementiers comme Forvia, Valeo ou Michelin. À noter qu’en 2021, Renault avait été évincé du nouvel indice boursier, avant de le réintégrer en juin 2023. Stellantis, pour sa part, en a été exclu en 2022.

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