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Distribution

Lesaffre ou la stratégie de l'écosystème solide

Publié le 11 mars 2024

Par Gredy Raffin
12 min de lecture
Dans une métropole lilloise couverte de concessionnaires emblématiques, un groupe de taille intermédiaire résiste. Loin d’envisager de capituler, Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau, le duo à sa tête, travaillent pour une croissance méthodique.
Groupe Lesaffre
Le groupe Lesaffre a réalisé un chiffre d’affaires de 55 millions d’euros en 2023. ©Lesaffre

Sur le parking, un employé s’ac­tive. Avec un balai‑raclette fai­sant office d’outil de fortune, il déblaie la neige qui s’est amoncelée durant les dernières heures. Lille vient de vivre un épisode neigeux comme le nord de la France n’en a pas connu depuis dix ans. Les rayons du soleil se chargent de révéler progressivement les véhicules neufs et d’occasion dispo­nibles à la vente que le visiteur devine sous l’amas de flocons.

 

Pour une grande majorité, il s’agit d’utilitaires. À première vue, une di­zaine de configurations différentes sont exposées. Proposer des solutions de transport aux professionnels, telle est la principale vocation de ce point de vente Volkswagen animé par le groupe Lesaffre.

 

Inauguré en juin 2021, il héberge durablement les bureaux du duo de choc à la tête de l’entreprise, Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau. L’un assure la fonction de président, l’autre tient le rôle de directeur général. Plus qu’une collaboration, un "ma­riage", s’amusent‑ils à dire avec un brin de complicité.

 

Alexis Blondiau et Thomas Lesaffre, respectivement directeur général et président du groupe Lesaffre. ©Lesaffre

 

Les débuts dans un garage

 

Si son nom s’étale en grand sur la façade de cette concession Volkswagen Utili­taires de Fretin (59), dans la banlieue sud de Lille (59), Thomas Lesaffre est en ré­alité le deuxième de la famille à faire du commerce automobile.

 

Le groupe qu’il dirige trouve son origine dans l’inves­tissement de Denis Lesaffre, son père. Garagiste de son état, il a commencé l’aventure en 1987 à Ronchin (59), une commune voisine. Il vit alors dans les appartements au‑dessus de l’atelier mé­canique qu’il a aménagé.

 

Denis Lesaffre ouvre sa porte à toutes les voitures et le projet prend rapidement une autre am­pleur. Celui qui sera séduit par sa secré­taire se fait remarquer par la qualité de ses prestations. "À cette époque, quand quelqu’un travaillait bien, il obtenait un panneau", se remémore Thomas Le­saffre. Il tape dans l’œil de Volkswagen et Audi, qui le font entrer dans leur ré­seau de points de service. Très vite, les 250 m2 de l’atelier ne suffisent plus.

 

La famille déménage l’activité dans un autre bâtiment, à Faches‑Thumesnil (59), toujours en agglomération lilloise. Avec l’aide de sa fratrie et de camarades, Denis Lesaffre restaure une biscuiterie partie en flammes et laissée en friche. L’espace lui permet d’ajouter une activi­té, celle d’agent de marque, rattaché au groupe Auto Expo.

 

La rencontre de passionnés

 

L’entrepreneur sent qu’il y a un potentiel avec les véhicules utilitaires dans ce Lille en plein essor. Les entreprises du Centre régional de transport (CRT) ont des besoins grandissants, il recrute donc une force de prospection, Alexis Blon­diau.

 

Nous sommes en 2010 et le jeune démontre son appétence pour le métier. "J’ai découvert la vente BtoB lors de mon stage de BTS NRC chez Mercedes‑Benz, revient‑il sur ses débuts. J’ai observé et j’ai adoré cette relation forte entre le commercial et ses clients." Quand il re­joint Denis Lesaffre et Volkswagen, il sort d’une licence de commerce BtoB et apportera autour de 30 commandes de VUL par an.

 

Trois ans plus tard, l’entreprise veut franchir un palier. La maîtrise des VUL encourage à la commercialisation des véhicules de loisirs. L’ambition va plus loin. Elle se concrétise quand Thomas Lesaffre, qui a fait ses classes en passant par tous les métiers de l’agence de son père, atteint ses 18 ans.

 

Comme un cadeau d’anniversaire, il s’offre un contrat d’investissement commun avec Alexis Blondiau, de cinq ans son aîné, pour fonder Lesaffre Véhicules Utili­taires.

 

Prêt à voler de ses propres ailes, il ne sollicite son père que pour une part minime de capital. Le prix des conseils avisés d’un homme d’expérience. Tho­mas Lesaffre réalise un rêve. "Je suis passionné d’automobile. Ma sœur et moi, nous n’avions pas de nourrice, nous passions notre temps dans l’agence et nous faisions même nos siestes dans les coffres des voitures exposées", rigole‑t‑il encore de cette période qui l’a forgé.

 

À partir de là, il fera tout comme les grands. Brique par brique, avec son associé, il a érigé son entreprise.

 

De re­tour du salon de Genève, il signe avec ABT en 2017 pour commercialiser une gamme de boîtiers améliorant la performance des Volkswagen et Audi.

 

Il en fait autant avec Brabus, Techart et Novitec pour lancer Lesaffre Performances, une enseigne tournée vers la personnali­sation et le dépôt‑vente. "Nous avons des clients professionnels qui veulent trouver ou revendre leur jouet, nous pouvons les accompagner", explique le président.

 

Lesaffre Performances est née de l'envie partagée de Thomas Lesaffre et d'Alexis Blondiau d'avoir une marque dédiée à leur passion commune : le sport automobile. ©Lesaffre

 

Dans un monde de la distri­bution très codifié, Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau s’évertuent à équilibrer l’insouciance de la jeunesse et la pru­dence des vieux briscards.

 

Et c’est un fait divers qui leur donne la prochaine impulsion : l’incendie dans l’entrepôt d’un transporteur régional un soir de novembre 2017. Volant à son secours pour sauver les camions des flammes, Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau ob­tiennent la préférence de Michel D’Hae­nens quand celui‑ci décide quelque temps plus tard de partir à la retraite.

 

Il avait pourtant des offres plus impor­tantes, mais il cède son terrain aux deux jeunes entrepreneurs qui ont la culture du service dans les veines. "Un coup de pouce à nos débuts qui nous marquera à jamais", s’accordent‑ils à dire. Sur les cendres de l’entrepôt, ils érigent donc, en 2021, la concession VUL de Fretin. Celle‑là même qui est couverte de neige en ce mois de janvier.

 

Et il était dit que 2021 marquerait un tournant pour la paire. Quand Volk­swagen Group France dénonce ses agents, le site de Faches‑Thumesnil perd son panneau et son approvision­nement en voitures neuves.

 

Il faut agir comme les illustres concessionnaires. La solution vient du nord de la région, où le Garage Delattre à Saint‑Omer (62) est mis en vente. Sans plus at­tendre, le président et son directeur général sautent sur l’opportunité de devenir un distributeur officiel et de traiter en direct avec Volkswagen. "Il était alors temps de créer une entité juridique, le groupe Lesaffre, pour fédérer nos activités", explique le président comme une amorce de la suite du récit.

 

Certification Tesla

 

VGRF, Valauto, Autosphere, Zodo, Lempereur… la métropole lilloise re­gorge d’opérateurs aux moyens colos­saux. Avec une centaine d’employés à son service, le groupe Lesaffre ne pèse pas lourd en comparaison.

 

Mais les deux hommes sont impliqués : Alexis Blondiau a rejoint le conseil des concessionnaires Volkswagen, tandis que Thomas Lesaffre ne cache jamais ses velléités d’expansion à son construc­teur. Il attend "des opportunités du côté des concessions".

 

Patienter, mais ne pas rester immobile. Et à l’instar des pa­trons de groupes les plus modernes, les dirigeants cherchent à structurer un écosystème de services.

 

Dans cette veine, ils ont bouclé le rachat de la carrosserie Rouzé à Lille, au cousin de Denis Lesaffre. Affiliée à Five Star, elle vient d’être modernisée, moyennant un budget de près de 200 000 euros.

 

La carrosserie Rouzé a reçu l’agrément Tesla en janvier 2024. ©Lesaffre

 

Le duo l’a mise aux normes pour obtenir l’agré­ment de Tesla à partir de 2024. "Nous ne serons que deux dans ce cas dans la région, se félicite le président. Selon nos prévisions, en ne fonctionnant qu’avec les agréments de Tesla et des assureurs, nous recevrons 1 800 véhicules par an. La carrosserie affichera un taux de rem­plissage de 120 à 130 %."

 

À ceci, s’ajoute un autre métier autrement lucratif. Le groupe Lesaffre devient le second centre de réparation de batteries de VE certi­fié par Volkswagen dans la métropole. "Qu’importe si nous ne sommes pas les vendeurs, nous serons les réparateurs", imaginent‑ils l’avenir à long terme.

 

Et Thomas Lesaffre de partager une expé­rience récente : "Nous avons voyagé en Norvège avec Xavier Chardon (président de Volkswagen Group France, NDLR) et nous avons pu visiter des concessions. Il était frappant de voir que les distribu­teurs n’avaient pas anticipé les pertes de chiffre d’affaires liées à l’électrification des ventes. Nous sommes revenus bien décidés à ne pas tomber dans le piège."

 

Maxus dans le sillage de MG Motor

 

En 2022, le groupe a totalisé 45 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit un montant deux fois supérieur à celui de l’année précédente.

 

 

Il a encore progressé par la suite pour s’établir à 55 millions d’euros en 2023. Une année que les deux dirigeants avaient placée sous le signe de la consolidation. C’était sans compter sur l’essor de MG Motor, marque lancée à Faches‑Thumesnil, en décembre 2022, en compensation de la perte du panneau d’agent VW.

 

Les équipes commerciales ont terminé avec plus de 160 commandes quand le contrat annuel était à 130 VN. C’était sans compter aussi sur le succès de Lesaffre Rent, l’entité dédiée à la location de VUL.

 

D’abord mise en place pour pal­lier les retards de livraison en 2021, la structure anime désormais un parc de 50 véhicules avec des contrats de loca­tion moyenne ou longue durée. D’autres utilitaires vont s’ajouter pour pousser la location courte durée et disposer ainsi d’une formule complète pour les professionnels.

 

Il y aura probablement des exemplaires de Maxus. En effet, le groupe Lesaffre compte parmi les neuf premiers concessionnaires de France de la marque chinoise.

 

Les codirigeants viennent de signer un accord de distri­bution dans le département du Nord et la marque Maxus sera installée, sous l’entité juridique LVU (pour Lesaffre Véhicules Utilitaires), en lieu et place de Lesaffre Performances à Fretin, dans un showroom d’une centaine de mètres carrés.

 

Convaincus par le profession­nalisme de la filiale, mais aussi par la qualité des produits de la gamme chinoise et leur complémentarité avec Volkswagen Véhicules Utilitaires, ils ont déjà entamé les négociations pour étendre la coopération au dépar­tement du Pas‑de‑Calais.

 

Ce nouvel apport pourrait permettre au groupe de passer la barre des 1 000 immatricu­lations de VN, dès cette année, contre un cumul de 325 voitures et 332 utilitaires neufs de Volkswagen, en plus des 169 voitures siglées MG Motor, en 2023.

 

Se préparer à l’avenir

 

Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau ne perdent pas de vue pour autant les mutations qui se profilent. Ils fédèrent donc les équipes autour d’un pro­jet de modernisation en profondeur. "Volkswagen ne fera pas demi‑tour sur les concepts de distribution. Je ne critique pas ce modèle qui présente ses avantages pour les membres du réseau. Cependant, le personnel comme nos entreprises, d’une manière générale, doivent être préparés à ces modèles économiques", pose le directeur, en tant que membre actif du conseil.

 

Cela leur a réussi jusqu’à présent et les deux hommes continueront d’avancer leurs pions en fonction des opportunités créées ou amenées sur la table. Ils savent bien que leur génération est bien moins dense en population que la précédente. Cela va engendrer des appels d’air à l’ombre des géants.

 

Après les uti­litaires, les voitures et les véhicules de loisirs, Thomas Lesaffre et Alexis Blon­diau se verraient bien exploiter d’autres activités : les engins urbains à deux ou quatre roues et les poids lourds. "Pour nous, l’important sera de conserver cet esprit familial bienveillant. Ainsi, nous pourrons devenir des acteurs in­contournables de la mobilité dans les Hauts‑de‑France", partagent‑ils en conclusion leur vision à long terme.

 


 

Avec leurs pairs sur les bornes

 

La création de Born 4 Charging résulte du rapprochement entre les groupes Verbaere, Lesaffre et AT2I. ©Born4Charging-LinkedIn

 

 

Il y a de grands groupes avec lesquels Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau collaborent. Par le biais du groupement des concessionnaires Volkswagen, ils font la connaissance d’Édouard Coquillat et de Jean‑Charles Verbaere. L’un vient de lancer sa marque de bornes, Wellborne. L’autre rencontre les mêmes problématiques qu’eux pour équiper des clients, dans le nord de la France. Se crée alors Born for Charging, une coentreprise entre Thomas Lesaffre et Jean‑Charles Verbaere à laquelle s’associe AT2I, une société lilloise d’ingénierie civile. Ensemble, ils commercialisent et déploient les solutions de Wellborne sur leurs territoires respectifs. Après un semestre d’apprentissage, le directeur général du groupe lillois se dit prêt à accélérer.

 

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