Lesaffre ou la stratégie de l'écosystème solide
Sur le parking, un employé s’active. Avec un balai‑raclette faisant office d’outil de fortune, il déblaie la neige qui s’est amoncelée durant les dernières heures. Lille vient de vivre un épisode neigeux comme le nord de la France n’en a pas connu depuis dix ans. Les rayons du soleil se chargent de révéler progressivement les véhicules neufs et d’occasion disponibles à la vente que le visiteur devine sous l’amas de flocons.
Pour une grande majorité, il s’agit d’utilitaires. À première vue, une dizaine de configurations différentes sont exposées. Proposer des solutions de transport aux professionnels, telle est la principale vocation de ce point de vente Volkswagen animé par le groupe Lesaffre.
Inauguré en juin 2021, il héberge durablement les bureaux du duo de choc à la tête de l’entreprise, Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau. L’un assure la fonction de président, l’autre tient le rôle de directeur général. Plus qu’une collaboration, un "mariage", s’amusent‑ils à dire avec un brin de complicité.
Les débuts dans un garage
Si son nom s’étale en grand sur la façade de cette concession Volkswagen Utilitaires de Fretin (59), dans la banlieue sud de Lille (59), Thomas Lesaffre est en réalité le deuxième de la famille à faire du commerce automobile.
Le groupe qu’il dirige trouve son origine dans l’investissement de Denis Lesaffre, son père. Garagiste de son état, il a commencé l’aventure en 1987 à Ronchin (59), une commune voisine. Il vit alors dans les appartements au‑dessus de l’atelier mécanique qu’il a aménagé.
Denis Lesaffre ouvre sa porte à toutes les voitures et le projet prend rapidement une autre ampleur. Celui qui sera séduit par sa secrétaire se fait remarquer par la qualité de ses prestations. "À cette époque, quand quelqu’un travaillait bien, il obtenait un panneau", se remémore Thomas Lesaffre. Il tape dans l’œil de Volkswagen et Audi, qui le font entrer dans leur réseau de points de service. Très vite, les 250 m2 de l’atelier ne suffisent plus.
La famille déménage l’activité dans un autre bâtiment, à Faches‑Thumesnil (59), toujours en agglomération lilloise. Avec l’aide de sa fratrie et de camarades, Denis Lesaffre restaure une biscuiterie partie en flammes et laissée en friche. L’espace lui permet d’ajouter une activité, celle d’agent de marque, rattaché au groupe Auto Expo.
La rencontre de passionnés
L’entrepreneur sent qu’il y a un potentiel avec les véhicules utilitaires dans ce Lille en plein essor. Les entreprises du Centre régional de transport (CRT) ont des besoins grandissants, il recrute donc une force de prospection, Alexis Blondiau.
Nous sommes en 2010 et le jeune démontre son appétence pour le métier. "J’ai découvert la vente BtoB lors de mon stage de BTS NRC chez Mercedes‑Benz, revient‑il sur ses débuts. J’ai observé et j’ai adoré cette relation forte entre le commercial et ses clients." Quand il rejoint Denis Lesaffre et Volkswagen, il sort d’une licence de commerce BtoB et apportera autour de 30 commandes de VUL par an.
Trois ans plus tard, l’entreprise veut franchir un palier. La maîtrise des VUL encourage à la commercialisation des véhicules de loisirs. L’ambition va plus loin. Elle se concrétise quand Thomas Lesaffre, qui a fait ses classes en passant par tous les métiers de l’agence de son père, atteint ses 18 ans.
Comme un cadeau d’anniversaire, il s’offre un contrat d’investissement commun avec Alexis Blondiau, de cinq ans son aîné, pour fonder Lesaffre Véhicules Utilitaires.
Prêt à voler de ses propres ailes, il ne sollicite son père que pour une part minime de capital. Le prix des conseils avisés d’un homme d’expérience. Thomas Lesaffre réalise un rêve. "Je suis passionné d’automobile. Ma sœur et moi, nous n’avions pas de nourrice, nous passions notre temps dans l’agence et nous faisions même nos siestes dans les coffres des voitures exposées", rigole‑t‑il encore de cette période qui l’a forgé.
À partir de là, il fera tout comme les grands. Brique par brique, avec son associé, il a érigé son entreprise.
De retour du salon de Genève, il signe avec ABT en 2017 pour commercialiser une gamme de boîtiers améliorant la performance des Volkswagen et Audi.
Il en fait autant avec Brabus, Techart et Novitec pour lancer Lesaffre Performances, une enseigne tournée vers la personnalisation et le dépôt‑vente. "Nous avons des clients professionnels qui veulent trouver ou revendre leur jouet, nous pouvons les accompagner", explique le président.
Dans un monde de la distribution très codifié, Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau s’évertuent à équilibrer l’insouciance de la jeunesse et la prudence des vieux briscards.
Et c’est un fait divers qui leur donne la prochaine impulsion : l’incendie dans l’entrepôt d’un transporteur régional un soir de novembre 2017. Volant à son secours pour sauver les camions des flammes, Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau obtiennent la préférence de Michel D’Haenens quand celui‑ci décide quelque temps plus tard de partir à la retraite.
Il avait pourtant des offres plus importantes, mais il cède son terrain aux deux jeunes entrepreneurs qui ont la culture du service dans les veines. "Un coup de pouce à nos débuts qui nous marquera à jamais", s’accordent‑ils à dire. Sur les cendres de l’entrepôt, ils érigent donc, en 2021, la concession VUL de Fretin. Celle‑là même qui est couverte de neige en ce mois de janvier.
Et il était dit que 2021 marquerait un tournant pour la paire. Quand Volkswagen Group France dénonce ses agents, le site de Faches‑Thumesnil perd son panneau et son approvisionnement en voitures neuves.
Il faut agir comme les illustres concessionnaires. La solution vient du nord de la région, où le Garage Delattre à Saint‑Omer (62) est mis en vente. Sans plus attendre, le président et son directeur général sautent sur l’opportunité de devenir un distributeur officiel et de traiter en direct avec Volkswagen. "Il était alors temps de créer une entité juridique, le groupe Lesaffre, pour fédérer nos activités", explique le président comme une amorce de la suite du récit.
Certification Tesla
VGRF, Valauto, Autosphere, Zodo, Lempereur… la métropole lilloise regorge d’opérateurs aux moyens colossaux. Avec une centaine d’employés à son service, le groupe Lesaffre ne pèse pas lourd en comparaison.
Mais les deux hommes sont impliqués : Alexis Blondiau a rejoint le conseil des concessionnaires Volkswagen, tandis que Thomas Lesaffre ne cache jamais ses velléités d’expansion à son constructeur. Il attend "des opportunités du côté des concessions".
Patienter, mais ne pas rester immobile. Et à l’instar des patrons de groupes les plus modernes, les dirigeants cherchent à structurer un écosystème de services.
Dans cette veine, ils ont bouclé le rachat de la carrosserie Rouzé à Lille, au cousin de Denis Lesaffre. Affiliée à Five Star, elle vient d’être modernisée, moyennant un budget de près de 200 000 euros.
Le duo l’a mise aux normes pour obtenir l’agrément de Tesla à partir de 2024. "Nous ne serons que deux dans ce cas dans la région, se félicite le président. Selon nos prévisions, en ne fonctionnant qu’avec les agréments de Tesla et des assureurs, nous recevrons 1 800 véhicules par an. La carrosserie affichera un taux de remplissage de 120 à 130 %."
À ceci, s’ajoute un autre métier autrement lucratif. Le groupe Lesaffre devient le second centre de réparation de batteries de VE certifié par Volkswagen dans la métropole. "Qu’importe si nous ne sommes pas les vendeurs, nous serons les réparateurs", imaginent‑ils l’avenir à long terme.
Et Thomas Lesaffre de partager une expérience récente : "Nous avons voyagé en Norvège avec Xavier Chardon (président de Volkswagen Group France, NDLR) et nous avons pu visiter des concessions. Il était frappant de voir que les distributeurs n’avaient pas anticipé les pertes de chiffre d’affaires liées à l’électrification des ventes. Nous sommes revenus bien décidés à ne pas tomber dans le piège."
Maxus dans le sillage de MG Motor
En 2022, le groupe a totalisé 45 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit un montant deux fois supérieur à celui de l’année précédente.
Il a encore progressé par la suite pour s’établir à 55 millions d’euros en 2023. Une année que les deux dirigeants avaient placée sous le signe de la consolidation. C’était sans compter sur l’essor de MG Motor, marque lancée à Faches‑Thumesnil, en décembre 2022, en compensation de la perte du panneau d’agent VW.
Les équipes commerciales ont terminé avec plus de 160 commandes quand le contrat annuel était à 130 VN. C’était sans compter aussi sur le succès de Lesaffre Rent, l’entité dédiée à la location de VUL.
D’abord mise en place pour pallier les retards de livraison en 2021, la structure anime désormais un parc de 50 véhicules avec des contrats de location moyenne ou longue durée. D’autres utilitaires vont s’ajouter pour pousser la location courte durée et disposer ainsi d’une formule complète pour les professionnels.
Il y aura probablement des exemplaires de Maxus. En effet, le groupe Lesaffre compte parmi les neuf premiers concessionnaires de France de la marque chinoise.
Les codirigeants viennent de signer un accord de distribution dans le département du Nord et la marque Maxus sera installée, sous l’entité juridique LVU (pour Lesaffre Véhicules Utilitaires), en lieu et place de Lesaffre Performances à Fretin, dans un showroom d’une centaine de mètres carrés.
Convaincus par le professionnalisme de la filiale, mais aussi par la qualité des produits de la gamme chinoise et leur complémentarité avec Volkswagen Véhicules Utilitaires, ils ont déjà entamé les négociations pour étendre la coopération au département du Pas‑de‑Calais.
Ce nouvel apport pourrait permettre au groupe de passer la barre des 1 000 immatriculations de VN, dès cette année, contre un cumul de 325 voitures et 332 utilitaires neufs de Volkswagen, en plus des 169 voitures siglées MG Motor, en 2023.
Se préparer à l’avenir
Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau ne perdent pas de vue pour autant les mutations qui se profilent. Ils fédèrent donc les équipes autour d’un projet de modernisation en profondeur. "Volkswagen ne fera pas demi‑tour sur les concepts de distribution. Je ne critique pas ce modèle qui présente ses avantages pour les membres du réseau. Cependant, le personnel comme nos entreprises, d’une manière générale, doivent être préparés à ces modèles économiques", pose le directeur, en tant que membre actif du conseil.
Cela leur a réussi jusqu’à présent et les deux hommes continueront d’avancer leurs pions en fonction des opportunités créées ou amenées sur la table. Ils savent bien que leur génération est bien moins dense en population que la précédente. Cela va engendrer des appels d’air à l’ombre des géants.
Après les utilitaires, les voitures et les véhicules de loisirs, Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau se verraient bien exploiter d’autres activités : les engins urbains à deux ou quatre roues et les poids lourds. "Pour nous, l’important sera de conserver cet esprit familial bienveillant. Ainsi, nous pourrons devenir des acteurs incontournables de la mobilité dans les Hauts‑de‑France", partagent‑ils en conclusion leur vision à long terme.
Avec leurs pairs sur les bornes
Il y a de grands groupes avec lesquels Thomas Lesaffre et Alexis Blondiau collaborent. Par le biais du groupement des concessionnaires Volkswagen, ils font la connaissance d’Édouard Coquillat et de Jean‑Charles Verbaere. L’un vient de lancer sa marque de bornes, Wellborne. L’autre rencontre les mêmes problématiques qu’eux pour équiper des clients, dans le nord de la France. Se crée alors Born for Charging, une coentreprise entre Thomas Lesaffre et Jean‑Charles Verbaere à laquelle s’associe AT2I, une société lilloise d’ingénierie civile. Ensemble, ils commercialisent et déploient les solutions de Wellborne sur leurs territoires respectifs. Après un semestre d’apprentissage, le directeur général du groupe lillois se dit prêt à accélérer.
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