Le groupe Deffeuille : 50 ans d'histoire avec Renault
Lorsqu’ils ont fait connaissance sur les bancs de l’école de commerce de Chambéry (73), ils aspiraient à une autre destinée. Diplômes en poche, lui s’est dirigé vers la filière des outils à main pour le bâtiment et le jardin. Elle avait fait le choix d’une branche dédiée aux lecteurs de cartes bancaires et de chèques. Mais la vie en a décidé autrement pour Vincent et Claire Deffeuille. "Il n’y avait pas de pression de la famille, mais j’ai su très tôt que nous allions nous orienter vers l’automobile", se remémore‑t‑elle quand au mitan des années 90, le couple a accepté de relever le défi d’être concessionnaires. "Nous ne l’avons pas vécu comme une obligation, mais comme une filiation à assurer", ajoute celle qui se présente avec amusement comme "la femme du patron".
Et pour cause, ils ont beau fonctionner et mener les réflexions en couple, ils se refusent à adopter la stratégie de la direction bicéphale. Vincent Deffeuille est aux manettes et en cas de décision engageante, seul lui peut trancher. "Nous n’avons jamais présidé en même temps que mon père, je pense que cela ne peut pas fonctionner. Il ne doit y avoir qu’un chef. Si demain mes enfants prennent la relève, la transition se fera également ainsi pour que les choses soient bien définies, surtout vis‑à‑vis des employés", établit Vincent Deffeuille.
Travailler en duo, une des caractéristiques de cette famille jurassienne. Il y a 50 ans maintenant, son père, Jean Deffeuille, agent Renault de son état dans le massif du Jura, issu d’une famille de fromagers spécialistes du comté, se lance dans l’aventure avec sa femme, Nicole, dont les ascendants sont des garagistes bien en place.
Ensemble, ils reprennent une concession Renault à Pontarlier (25) dont le volume contractuel au début de la décennie 1970 oscille entre 400 et 450 unités annuelles. Dès lors, à l’invitation de la marque au losange, ils contribuent à la concentration des agents environnants pour poser les fondations d’une future plaque de distribution. Quand Vincent et Claire Deffeuille apparaissent dans le paysage, une vingtaine de bilans financiers plus tard, le groupe compte parmi les partenaires locaux d’importance pour Renault.
Stellantis et la fin de l’épisode FCA
Leurs propres enfants reprendront‑ils le flambeau ? Il se pourrait bien que le cadet cède à la tentation. Formé à l’Essca avec une spécialité dans les nouvelles mobilités, Charles Deffeuille témoigne d’un attrait pour le secteur. Et tout comme Jacques Rivoal, alors directeur de région à Dijon (21), qui avait par le passé concocté un parcours initiatique aux métiers de la concession pour Vincent et au marketing pour Claire avant leur prise de fonction,
Les parents jouent aujourd’hui de leurs relations pour que le fils s’aguerrisse. Ici, Charles Deffeuille intègre la cellule e‑city de Jean Lain Mobilités. Là, il découvre les ressorts de la division BYmyCAR For Business. Un jour, il appliquera sûrement des recettes au développement de l’entreprise familiale. Entre‑temps, Vincent Deffeuille fait fructifier le capital.
Revenons à l’aube de ce siècle. Pour étendre son empreinte territoriale, il scelle un accord avec Jean‑Pierre Cône, dirigeant du groupe éponyme. Ce dernier accepte l’entrée du groupe Deffeuille à hauteur de 50 %. Il cède le reste des actions à son départ en retraite, en 2007. Une opération fructueuse mais sur laquelle les effets de la crise financière de 2008 se font sentir. En conséquence, le Jurassien se tourne vers le groupe Bernard qui, lui aussi en situation délicate, cherche des relais de croissance dans l’automobile pour compenser les pertes en poids lourds.
"Quand le groupe Alcopa est arrivé chez Bernard, il a exigé que notre relation sorte des comptes, nous avons repris notre indépendance avec un périmètre réduit et bien différent", se souvient le président. À partir de ce moment, sa stratégie passera par le multimarquisme et non plus par des "deals". Ainsi, durant une décade, il s’emploie à ce que le groupe intègre les réseaux Volkswagen, Audi, Volkswagen VU, Seat, Opel, Fiat‑Abarth, Alfa Romeo, Jeep, Mitsubishi et Kia. Chez Renault, il teste Dacia avec succès, tandis que le panneau Nissan ne sera pas conservé. Un volant d’activité qui le fait culminer à 4 520 ventes de véhicules neufs, dont 1 776 Renault, en 2019. Mais le groupe Deffeuille ne peut conserver cette configuration.
"Nous sommes allés sonder la direction de Stellantis à sa création. Nous avons compris que nous n’avions aucune perspective de croissance", relate Vincent Deffeuille. Pris entre le marteau et l’enclume ou plus précisément entre les groupes JMJ et Chopard, il n’a pas eu d’autres choix que de céder les affaires. Opel, d’abord, avant la crise sanitaire (qui l’a fait chuter d’environ 1 000 unités), puis le pack italo‑américain, ensuite, au 1er janvier 2021, tous revendus à JMJ. Le groupe Chopard reprend, en janvier 2023, la concession Kia de Pontarlier. La marque Mitsubishi qui était aussi présente sur les lieux a été cédée dans le même temps au groupe Bernard.
Deffeuille se prépare aux efforts
Des moyens financiers dont la famille Deffeuille connaît la principale destination. "Nous souhaitons concentrer les moyens sur Renault et Dacia. Et nous construisons un tout nouveau site de grande envergure et nous allons renforcer notre logistique. Nous pourrons aussi considérer des opportunités de croissance externe", projette l’investisseur. Lons‑le‑Saunier (39), le fief du groupe, verra en 2023 la fin des travaux dans une ancienne usine pour en faire un centre de distribution de pièces de rechange dès le 1er trimestre et une concession Renault‑Dacia à compter de la fin de l’été.
Le tout assorti d’un site de préparation des véhicules d’occasion pour toute une partie de la plaque. "Dans l’organisation des constructeurs, les plaques PR sont cruciales. Celle‑ci nous donnera du crédit auprès de Renault‑Dacia, si un dossier de reprise doit être soumis à des concessionnaires, analyse‑t‑il. Chez Stellantis, par exemple, en gardant les affaires, nous aurions été contraints de commander chez JMJ ou Chopard. Ce qui ne présente aucun sens économique."
Il mise beaucoup sur Renault. Certes, il a le losange dans le cœur depuis longtemps. Mais aussi, en grande partie, car il adhère au discours tenu par le directeur général, Luca de Meo, qui répète à l’envi que le réseau a son importance. "Nous sommes considérés comme un actif de valeur et nous ne pouvons que nous en réjouir", apprécie Vincent Deffeuille. Mais l’opérateur ne se berce pas d’illusions pour autant : "Il faut se préparer à faire des efforts, à accepter de voir les marges se réduire." Il ne perçoit pas ce dernier point comme une tare. Dès lors que les valeurs résiduelles sont protégées, le fait de n’accorder aucune remise compensera le régime imposé aux marges.
Avec les marques Renault et Dacia, l’opérateur estime s’appuyer sur deux jambes bien solides. Il a écoulé 1 613 exemplaires de la première et 728 unités de la seconde, en 2021. "Notre stratégie consiste maintenant à nous renforcer avec le constructeur et à jouer à plein la carte Mobilize." Les programmes de mobilité partagée et de stations de recharge de véhicules électriques constituant les principaux axes de développement. Il faut dire que le groupe Deffeuille n’a jamais rechigné à s’inscrire dans les mouvances.
Le pari Mobilize
Lorsque le constructeur Renault s’est aventuré dans les services de mobilité et a exhorté les distributeurs à équiper leur parc de boîtiers pour construire des flottes de véhicules de location et de courtoisie, l’opérateur jurassien s’est prêté au jeu. Une action dont le bilan a été mitigé. Claire Deffeuille, qui supervise entre autres la cellule des services de location du groupe, met en exergue le comportement des utilisateurs.
Pour elle, le besoin de finaliser le contrat au comptoir reste considérable. "Le commerce consistera toujours à trouver de petits arrangements pour faciliter la vie des clients. Les boîtiers ont cela de rigide dans la gestion des horaires qui pousse les utilisateurs du service à venir négocier en direct", cite‑t‑elle un des exemples de cas pratiques. Toujours est‑il que le programme Mobilize Share, successeur de Renault Mobility, sera déployé sur l’ensemble de la plaque.
Tout comme le concessionnaire investira pour le compte de Mobilize Power Solutions. "En effet, nous avons identifié deux de nos concessions, celle de Dole (39) et celle de Bellegarde (01), pour investir le long des autoroutes A36 et A40. Nous les équiperons de bornes de charge rapide en mettant notre terrain à disposition de Mobilize Power Solutions ", précise Vincent Deffeuille. Il n’entrera pas, en revanche, au capital. "Il nous faudrait verser environ 1,5 million d’euros et batailler pour compter parmi les quatre ou cinq actionnaires", explique‑t‑il.
Au lieu de cela, il va miser sur le cadre. Pas question pour le concessionnaire de n’avoir que les stations et le caisson d’accueil des automobilistes. Il souhaite aller plus loin dans l’expérience proposée. "Nous ne voulons pas simplement louer le terrain à Renault, pose le président, nous aimerions pouvoir nous associer au projet pour développer une activité annexe qui générera du revenu avec des clients réguliers." Contacté par ses soins, un chef de la région se tient prêt à proposer un service de restauration sur place pour en faire « un lieu de vie ».
Un nouveau centre névralgique pour Defeuille
L’énergie électrique, grande thématique du projet immobilier à livrer en 2023, à Lons‑le‑Saunier. Le groupe a fait l’acquisition d’une ancienne usine pour la transformer en temple des services automobiles aux couleurs de Renault et Dacia. Sur le toit de l’édifice, une vaste étendue de panneaux photovoltaïques alimentera le bâtiment à hauteur de 70 % de ses besoins énergétiques. Une infrastructure titanesque qui comportera un point de vente, un entrepôt de pièces de rechange qui alimentera les deux plaques Renault‑Dacia, un parc de stockage de grande envergure et un centre de préparation capable de traiter entre 150 et 200 véhicules d’occasion par mois pour l’ensemble du groupe.
De quoi soutenir les velléités du groupe dans le registre des transactions de VO. Jugez plutôt, à court moyen terme, Vincent Deffeuille veut passer de 0,75 VO pour 1 VN à un ratio de 1 pour 1. "Nous avons fortement accéléré depuis deux ans et nous poursuivrons nos efforts", dit‑il. Les produits du constructeur l’ont aidé, d’autant que les clients de Dacia se tournent vers l’occasion pour contourner la hausse tarifaire au catalogue, le prix moyen facturé à la commande ayant augmenté de 18 % en 2022 par rapport à 2021, à 17 492 euros. Mais le distributeur a aussi tiré profit de ses investissements chez les infomédiaires. "En plus, nous avons passé un contrat avec Alcopa pour automatiser la cession des VOM, ce qui nous a permis de dégager du temps pour orienter les forces vers l’achat de véhicules à l’extérieur et avoir du choix à proposer aux clients", se félicite le président.
En 2023, un autre de ses constructeurs changera de braquet dans le registre du VO. Avec l’éclatement de Das WeltAuto en labels par marque, Vincent Deffeuille imagine déjà gagner en référencement naturel sur Internet et donc en visibilité durant la phase de préparation de l’achat. Une aubaine pour celui qui, en dépit de sa faible influence dans les immatriculations de la marque Volkswagen, souligne qu’il figure dans le top 20 des concessionnaires les plus performants du réseau tricolore. "Nous avons la ferme intention de conserver ce panneau", coupe‑t‑il face à toute tentative de spéculation à l’heure de la concentration des plaques.
Tirer le chiffre d’affaires vers le haut
Il prévient cependant que le contrat d’agent que défend la marque peut poser un problème au quotidien. "Nous l’avons signé pour les véhicules électriques, mais nous avons du mal à l’appréhender, car il ouvre la porte à une dualité de modèles économiques confusante pour les consommateurs et les systèmes informatiques comme les interfaces des outils de financement et les modules de reprise ne sont pas prêts, entame‑t‑il. Volkswagen est persuadé de posséder le client, mais l’application pratique du contrat n’intègre pas la logique même du client qui raisonne en soulte. Nous n’avons donc pas de marge de manœuvre lors d’une transaction."
Durant cette phase de transition et alors que les retards de livraison sanctionnent toujours les bilans comptables, la ligne stratégique du concessionnaire consistera à maintenir le chiffre d’affaires réalisé avec Volkswagen, à 35 millions d’euros, tout en améliorant la profitabilité. Avec Renault‑Dacia, Vincent Deffeuille vise une hausse, à 150 millions d’euros. Enfin, porté par les développements et l’appétit des clients, le groupe pense pouvoir passer de 7 millions à 25 millions d’euros de CA dans ses points de vente de véhicules de loisirs.
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