Groupe Sofibrie : deux plaques, deux ambiances

Quand les portes automatiques teintées s’écartent l’une de l’autre, ce qui surprend, c’est l’immensité de l’espace qu’elles coupent des bruits extérieurs. Les yeux balaient de gauche à droite la dizaine de voitures exposées.
Se pose sans plus attendre la question de la superficie. Il y a 1 700 m2 d’aire d’exposition. À la sortie de Poitiers (86), cette concession dédiée aux seules marques Renault et Dacia fait figure de mastodonte à côté des autres points de vente de la zone.
Le groupe Sofibrie l’exploite depuis 1989. À l’époque, elle avait été un tournant dans l’histoire du distributeur automobile. Après vingt‑cinq ans à s’étendre à l’est de la capitale, Max Havard, le président d’alors, avait pris le pari de s’aventurer sur un autre territoire. Et dans une logique de continuité, cela s’était fait avec son constructeur fétiche, celui au losange.
Plus de trente‑cinq ans après cette incursion en terre poitevine, l’opérateur a consolidé ses bases. Il a ajouté une concession où cohabitent Nissan et Kia, puis il a mis Hyundai, Mazda et MG Motor en colocation de l’autre côté de l’avenue.
Il a également installé Suzuki dans une partie du bâtiment dédié aux voitures d'occasion de Renault. À noter qu’avant tout autre distributeur en France, il vient de conjuguer les gammes autos et motos au même endroit. Un ensemble cohérent qui lui assure une représentativité dans une agglomération dominée par Emil Frey France.
La famille cherche des opportunités de développement avec la marque Hyundai. ©Sofibrie
Changement de chef d’orchestre
À l’été 2024, la présidence a changé. Au tournant de ses 86 ans, Max Havard a laissé le fauteuil à son fils, Philippe Havard. Ce dernier raconte dans un sourire : "Mon père n’est pas bien loin pour autant. Il vient tous les jours au siège. Il suit les chiffres de l’entreprise sans être intrusif." C’est depuis la concession Renault de Noisiel (77) que le président poursuit le pilotage des activités. Et son début d’année a été remuant.
Au mois de janvier 2025, Sofibrie a concrétisé la reprise de la concession Nissan de Vincennes (94). "Nous avons profité d’une opportunité", résume‑t‑il une forme d’alignement des planètes. En clair, l’investisseur se désengage et le constructeur souhaitait voir la famille Havard prendre la suite des opérations.
Un scénario similaire s’est joué à Tours (37) où, encouragé par son concédant, le groupe de distribution a racheté l’affaire Hyundai du groupe Saussereau. En termes de potentiel, Sofibrie devrait ajouter 200 VN Nissan et près de 450 VN Hyundai à son total annuel qui dépasse les 10 000 livraisons de véhicules neufs pour autant de voitures d’occasion.
Sous la gouvernance de Max Havard, un plan stratégique a été amorcé, il y a près de trois ans. Son fils en achèvera l’exécution durant son mandat. "En région parisienne, nous nous développons le long de l’autoroute A4. En province, nous cherchons à nous installer le long de l’autoroute A10", explique Philippe Havard.
Il ne pouvait donc pas laisser passer cette chance de se fixer en Touraine. Il poursuit : "L’ambition consiste à équilibrer l’influence des deux plaques dans nos comptes et à maximiser les économies d’échelle pour booster nos performances." De 65‑35 en faveur de l’Île‑de‑France en ce qui concerne les statistiques commerciales, Sofibrie veut avancer vers un rapport de 55‑45, voire de parité.
Philippe Havard, Anthony Havard et Nicolas Sacchetto. ©Sofibrie
Savoir être au plus près des équipes
Ils sont rares les groupes à se constituer de deux plaques bien distinctes, séparées de quelques centaines de kilomètres. Continuer de croître comme le fait le groupe pourrait relever de l’exploit aux yeux de certains analystes.
En attendant la consolidation des données, Nicolas Sacchetto, le directeur général adjoint, parle d’une progression des ventes de l’ordre de 20 % sur le marché des particuliers et de 45 % sur celui des entreprises. "Nous assumons cette structuration, pose son président. Cela fonctionne car nous maintenons un épicier dans chaque épicerie."
Dans les codes de Sofibrie, chaque plaque, chaque site, chaque marque et chaque corps de métier a son référent. Pour préparer l’avenir, Anthony Havard a été nommé, en juillet 2024, directeur général de la plaque Vienne et Indre-et-Loire.
En tant que fils du président et futur patron désigné de Sofibrie, il a ainsi la possibilité d’engranger de l’expérience. "Il faut être présent, au plus près des équipes, sur le terrain. Tel est notre credo", défend justement Anthony Havard.
Une méthodologie qui a gagné en importance à la sortie de la pandémie. "L’automobile n’échappe pas à la tendance de fond, observe Philippe Havard. Le rapport au travail a changé. L’implication n’est plus la même de la part des salariés. Fort heureusement, nous restons un groupe familial qui joue la proximité."
Et son directeur général adjoint de rebondir : "Dès l’embauche, nous projetons un plan de carrière avec de la mobilité interne, un programme de formation et des promotions." Un système de primes pour animer les productifs s’ajoute au tableau. Le tout avec l’espoir de maintenir le faible niveau de rotation des effectifs.
Le service marketing a été mis à contribution. Une part non négligeable de leur travail consiste à mettre en avant des collaborateurs et leur mission sur des médias accessibles au plus grand nombre. La communication positive est un moyen de construire une marque employeur.
Le groupe Sofibrie a pris le panneau MG Motor en 2022 à Chelles (77). ©Sofibrie
Les phases de l’après Covid
Avant la surprise de la pandémie, le groupe multimarque avait diversifié ses activités. À titre d’exemple, il est entré chez Infiniti en 2017, puis il a pris le panneau Isuzu en 2018 avant de signer un contrat avec Ligier Microcar en 2020.
En partenariat avec Renault, il avait aussi expérimenté avant tout le monde un nouveau mode de distribution automobile, le concept de Renault City dans le centre commercial de Val d’Europe (77).
La phase postCovid a forcément poussé le groupe à se réinventer. Certes, le contexte avait redonné un peu de pouvoir aux concessionnaires qui se retrouvaient davantage à gérer les délais de livraison qu’à discuter les prix.
Mais cela n’a duré qu’un temps. "Cette période nous a amenés à repenser nos organisations, notre parcours phygital, à chercher de la souplesse opérationnelle et à optimiser les surfaces immobilières", relate Nicolas Sacchetto.
Sofibrie a orchestré une véritable chasse aux frais fixes. Les constructeurs donnant leur assentiment, l’opérateur a ainsi pu réaliser des combinaisons de marques pour gagner en profitabilité.
Le duo Nissan‑Suzuki s’est avéré très intéressant. Bien plus que l’association de Nissan et MG Motor, constate‑t‑on à la direction. À l’instar du site de Poitiers, la Dacia Box a été refermée et la marque a rejoint Renault dans le vaste showroom. Un mouvement couronné de succès, souligne par ailleurs le directeur général adjoint.
L’avenir de l’automobile, selon Philippe Havard, ne saurait se passer de concessionnaires. Preuve en est, un client important, connaisseur du produit, est venu interrompre la conversation pour demander à réaliser un essai.
Les chances de transformation sont plus maigres quand le prospect ne peut pas toucher le produit et la famille Havard s’en dit convaincue. "Autrement, il y aura toujours une activité de seconde main à assurer car la société de consommation tend dans cette direction", intervient Anthony Havard.
De l’importance de gérer les flux de VO
Pas encore âgé de la trentaine, il appartient à cette génération qui pense autrement, celle qui a fait une place prépondérante aux plateformes de revente de biens usagés. "Nous avons toujours été très bons en matière de voitures d’occasion", rattache son père.
Il se souvient qu’en 1975, la concession Relais des Nations, à Fontenay‑sous‑Bois (94), avait totalisé 5 500 transactions sur une seule année civile. Une performance de référence dans le groupe et certainement dans le réseau Renault d’une manière générale.
Cette force, la famille veut l’entretenir. Les cadres ont conscience que de leur compétence sur ce terrain dépend une partie de l’avenir de l’entreprise. "Nous sommes convenablement capitalisés et nous avons la capacité d’absorber des flux", entame Nicolas Sacchetto, laissant à son président le soin d’approfondir le sujet.
Pour Philippe Havard, les années 2026 et 2027 vont être placées sous le signe de l’abondance de buy back. En substance, il laisse comprendre que ce sujet préoccupera les concessionnaires. "Certains vont nous couvrir partiellement ou totalement, comme Skoda ou Hyundai. Renault repense la commercialisation du véhicule d’occasion en dévoilant une nouvelle offre Renew , la garantie 5 sur 5 (une garantie constructeur étendue à 5 ans dès 5 euros par mois). D’autres laissent leurs concessionnaires trouver des solutions", se crispe le président.
En fin de compte, les dirigeants abordent cette problématique comme une énième crise dans une industrie habituée à évoluer pour passer les virages épineux. Ils voient leur avantage.
En confiance, ils discutent avec les constructeurs de projets d’investissement. Sous l’égide de Philippe Havard, il sera question de renforcer les plaques existantes avec des marques du portefeuille. Le groupe pourrait donc bien alimenter la rubrique actualités dans les mois à venir.
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