Fabre et ses défis : digitalisation, recyclage et occasion
« Plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte. » Cette citation du peintre Pierre Soulages, mort en octobre dernier, et que l’on retrouve sur l’une des façades du gigantesque musée aux murs de rouille qui trône pas loin de la cathédrale de Rodez (12), pourrait facilement être transposée au travail du groupe Fabre. Et pour cause.
L’histoire commence il y a plus de quarante ans avec Jean Fabre. L’homme est né à Paris, mais c’est un fils de bougnats « montés » à la capitale comme des milliers d’autres familles auvergnates et aveyronnaises. Au début des années 80, Jean revient sur les terres de ses parents et devient négociant automobile à Rodez. Trois ans plus tard, il se lance comme concessionnaire en reprenant le site Renault qui était à vendre, puis l’année suivante, celui d’Aurillac (15)
En 1986, il achète, un peu par hasard, une ferraillerie dans le Cantal. Sans le savoir, il a posé les trois piliers du groupe. Aujourd’hui, le groupe Fabre, dont l’un des fils de Jean, Laurent, a pris la tête, distribue, outre Renault et Dacia, les marques du groupe Volkswagen, Nissan, Volvo et Suzuki. Il dispose d’une enseigne VO Autotransac, sans oublier une importante activité dans le recyclage des métaux. Il réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 225 millions d’euros dans l’automobile (10 millions dans le recyclage), a vendu 6 499 VN, quasiment autant de VO et emploie 570 personnes.
Un territoire peu dense
L’une de ses particularités est de couvrir le territoire le moins dense de France. Le distributeur s’étend, en effet, sur une zone de 300 km de long sur 200 km de large, incluant l’Aveyron, siège du groupe, le Cantal, le Lot, la Lozère et le Tarn. Si l’on additionne la population de ces cinq départements très ruraux, le groupe officie sur un secteur d’environ 1 million de résidants dont l’agglomération la plus importante, Albi, ne dépasse pas les 80 000 habitants. Tandis qu’à Mende, préfecture de la Lozère, ne vivent que 11 000 personnes. Un tel territoire demande donc une organisation et une gestion particulières. « Nous n’avons pas les moyens d’avoir de lourdes organisations et des structures massives, présente Laurent Fabre, à la tête du groupe éponyme. Nous disposons de collaborateurs jeunes et très polyvalents. La moyenne d’âge est de 38 ans et celle des cadres, de 42 ans. Ces derniers sont des locaux, solidement implantés dans leur territoire, qui connaissent bien leurs clients. Comme nous sommes dans des petites villes, il n’est pas rare qu’ils les croisent au marché ou dans un restaurant ! »
Le digital en avant
Avec un tel territoire à couvrir, on subodore que le distributeur s’appuie sur un réseau d’agents dense. « Historiquement, il l’était. Il y a encore dix ans, nous en avions 80, présente l’entrepreneur. Mais à cause de la baisse des entrées liée notamment à la désertification de certaines régions et de l’augmentation en parallèle des standards et du niveau de formation, nous avons réduit la voilure. » Aujourd’hui, il ne reste plus que 45 agents et il ne cherche pas à recruter. « Les départements dans lesquels nous sommes présents, notamment le Cantal, se vident pour se regrouper autour de petits pôles urbains comme Aurillac, où les habitants disposent de tous les commerces et administrations. La présence d’un agent dans les villages n’a plus de viabilité économique », poursuit l’entrepreneur de 37 ans qui a rejoint le groupe il y a quinze ans. Quant aux vendeurs de secteur, autre outil pour assurer une capillarité, là aussi, Laurent Fabre a réduit la voilure : « La rentabilité de cette activité n’est pas intéressante. »
Car la première porte d’entrée avec son activité dans ces régions faiblement peuplées, c’est le digital. « Si La Poste existe encore ici, c’est grâce à Amazon et consorts ! », souligne‑t‑il. D’où une stratégie très développée sur ce média, notamment concernant le sujet de l’e‑réputation. « Dans nos régions, le bouche‑à‑oreille est un facteur indispensable pour bien réussir, que ce soit dans la vraie vie ou sur Internet », nous avait‑il expliqué en octobre 2021 lors de la remise du trophée de l’e‑réputation à l’occasion des Grands Prix de la Distribution organisés par Le Journal de l’Automobile. Paradoxalement, le groupe n’abandonne pas les foires ou les marchés. « Cela montre que nous sommes présents, mais je ne suis pas persuadé de l’efficacité de ces manifestations », glisse‑t‑il.
Diversification sur le recyclage
Cette spécificité liée à son territoire le protège‑t‑elle des grandes manoeuvres que connaît la distribution automobile ? Il hésite. « Je ne suis entouré que de géants et je n’ai pas beaucoup de place pour m’étendre, lâche‑t‑il. Oui, les zones rurales pourraient intéresser les grands groupes qui, avec le déploiement des ZFE, risquent de se retrouver avec des volumes qu’ils ne pourront pas écouler mais qui pourraient intéresser nos territoires. » Pour autant, il reste dubitatif sur les mastodontes de la distribution. « Je ne pense pas que la performance passe forcément par la taille, mais avant tout par les hommes, encore une fois, surtout dans nos régions », soutient le distributeur qui annonce une rentabilité de 2 %.
Face à sa situation géographique et à sa marge de manœuvre relativement étroite en termes de volume – « lorsque l’on fait 50 % de part de marché dans certains cantons, difficile d’aller chercher la progression », concède‑t‑il –, il a déployé deux activités distinctes, sources de développement. Alors que certains se lancent dans le camping‑car, la voiture sans permis, le deux‑roues ou les services de mobilité, Laurent Fabre a une tout autre vision de la diversification.
Si le sujet des véhicules de loisirs l’intéresse, il investit aujourd’hui massivement dans le recyclage. Il a, en effet, repris en février 2022 un chantier de ferraille dans l’agglomération de Rodez, le premier d’une longue série si l’on en croit ses ambitions. L’histoire avec la récupération des métaux, on le rappelle, ne date pas d’hier. Elle a commencé en 1986 lorsque Jean a repris dans le Cantal une société spécialisée dans ce secteur. Depuis que Laurent s’est activement penché sur le sujet, le groupe détient quatre sites dans ce domaine, réalise un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros avec pour objectif de le multiplier par dix d’ici la fin de la décennie. « L’activité véhicules hors d’usage ne représente que 20 % des volumes, rappelle Laurent Fabre. Et dans ces 20 %, mes propres affaires automobiles ne couvrent que 5 % de l’approvisionnement en matières. Les 80 % proviennent de la collecte régionale de déchets, notamment ceux de la construction. »
Recycler la matière
Son axe de développement passe par le traitement de la matière pour qu’elle puisse être recyclée et non pas par la pièce de réemploi. Fin 2024, il prévoit d’ouvrir un centre de traitement ultime des métaux. « C’est une activité dont le potentiel économique est énorme, surtout avec le développement de la voiture électrifiée », explique le dirigeant qui est accompagné par le plan France Relance, un programme économique mis en place par le gouvernement pour revivifier l’économie dans les territoires. Malgré le discours volontariste des constructeurs, il estime qu’il dispose d’une importante carte à jouer sur le traitement des batteries et leur fin de vie. « Sinon, pourquoi aurais‑je des batteries de voiture stockées depuis deux ans au fond de mon garage et qui n’ont toujours pas été récupérées par le constructeur ? », s’étonne‑t‑il. Un discours déjà entendu chez d’autres acteurs de la distribution et du recyclage.
L’autre axe de développement est le véhicule d’occasion. Une sorte de retour aux sources comme vu plus haut, mais que le groupe n’avait jamais abandonné si l’on regarde ses bons résultats en 2021 avec presque un VN pour un VO.
Depuis une dizaine d’années, le site Autotransac.fr existe, mais Laurent Fabre est passé à la vitesse supérieure en janvier 2020 en ouvrant des points de vente. Le premier l’a été à Rodez, le second, pendant le premier confinement, à Albi. Le troisième l’est depuis quelques semaines à Saint‑Flour (15). À terme, l’entrepreneur ne compte pas s’arrêter en si bon chemin car il prévoit d’ouvrir des centres à Toulouse (31), Montpellier (34), voire Clermont‑Ferrand (63) et pourquoi pas sous la forme de franchises à moyen terme. « 20 % de mes VO quittent ma zone de chalandise naturelle et partent sur ces marchés, note Laurent Fabre. Étant sur un territoire faiblement peuplé, je suis obligé d’aller chercher ma clientèle au‑delà de mes frontières naturelles afin de donner un dynamisme à mon stock. En outre, disposer d’un panneau me permet d’avoir une offre beaucoup plus large que celle que j’ai via les labels des constructeurs. » Son enseigne VO couvre, en effet, les véhicules de 2 à 10 ans ou de 5 000 à 30 000 euros. Sur les 7 000 voitures d’occasion vendues en 2022, elle a représenté 600 ventes. En 2023, il prévoit de passer à 1 000 véhicules et d’atteindre les 8 000 VO. Les ambitions sont très fortes puisqu’en octobre 2022, son frère Jean‑François a rejoint le groupe et fin décembre 2022, il a lancé une campagne audiovisuelle sur les chaînes du groupe M6.
En bref (données de 2021)
Chiffre d’affaires : 225 millions d’euros dans l’automobile, 10 millions dans le recyclage
Marques distribuées : Renault, Dacia, marques du groupe Volkswagen, Nissan, Suzuki, Volvo
Nombre de VN : 6 499
Nombre de VO : 6 185
Zones d’implantation : Rodez, Millau, Decazeville, Villefranche‑de‑Rouergue (12), Aurillac (15), Figeac (46), Mende (48), Albi, Gaillac, Lavaur, Carmaux (81)
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