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Distribution

Fabre et ses défis : digitalisation, recyclage et occasion

Publié le 25 janvier 2023

Par Christophe Bourgeois
9 min de lecture
Comment exister dans des régions où la densité de population est a minima trois fois moins importante que dans le reste du pays ? En s’appuyant sur la diversification. C’est la stratégie du groupe aveyronnais Fabre qui a investi dans le recyclage des matières premières et le véhicule d’occasion.
groupe Fabre

« Plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte. » Cette citation du peintre Pierre Soulages, mort en octobre dernier, et que l’on retrouve sur l’une des façades du gigantesque musée aux murs de rouille qui trône pas loin de la cathédrale de Rodez (12), pour­rait facilement être transposée au tra­vail du groupe Fabre. Et pour cause.

L’histoire commence il y a plus de quarante ans avec Jean Fabre. L’homme est né à Paris, mais c’est un fils de bougnats « montés » à la capitale comme des milliers d’autres familles auvergnates et aveyron­naises. Au début des années 80, Jean revient sur les terres de ses parents et devient négociant automobile à Rodez. Trois ans plus tard, il se lance comme concessionnaire en reprenant le site Renault qui était à vendre, puis l’année suivante, celui d’Aurillac (15)

 

En 1986, il achète, un peu par hasard, une ferraillerie dans le Cantal. Sans le savoir, il a posé les trois piliers du groupe. Au­jourd’hui, le groupe Fabre, dont l’un des fils de Jean, Laurent, a pris la tête, distribue, outre Renault et Dacia, les marques du groupe Volkswagen, Nissan, Volvo et Suzuki. Il dispose d’une enseigne VO Autotransac, sans oublier une importante acti­vité dans le recyclage des métaux. Il réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 225 millions d’euros dans l’automobile (10 millions dans le recyclage), a vendu 6 499 VN, quasiment autant de VO et emploie 570 personnes.

 

Un territoire peu dense

 

L’une de ses particularités est de couvrir le territoire le moins dense de France. Le distributeur s’étend, en effet, sur une zone de 300 km de long sur 200 km de large, incluant l’Aveyron, siège du groupe, le Can­tal, le Lot, la Lozère et le Tarn. Si l’on additionne la population de ces cinq départements très ruraux, le groupe officie sur un secteur d’environ 1 million de résidants dont l’agglo­mération la plus importante, Albi, ne dépasse pas les 80 000 habitants. Tandis qu’à Mende, préfecture de la Lozère, ne vivent que 11 000 per­sonnes. Un tel territoire demande donc une organisation et une gestion particulières. « Nous n’avons pas les moyens d’avoir de lourdes organi­sations et des structures massives, présente Laurent Fabre, à la tête du groupe éponyme. Nous disposons de collaborateurs jeunes et très po­lyvalents. La moyenne d’âge est de 38 ans et celle des cadres, de 42 ans. Ces derniers sont des locaux, solide­ment implantés dans leur territoire, qui connaissent bien leurs clients. Comme nous sommes dans des pe­tites villes, il n’est pas rare qu’ils les croisent au marché ou dans un res­taurant ! »

 

Laurent Fabre

Laurent Fabre est le directeur général du groupe.

Le digital en avant

 

Avec un tel territoire à couvrir, on subodore que le distributeur s’ap­puie sur un réseau d’agents dense. « Historiquement, il l’était. Il y a en­core dix ans, nous en avions 80, pré­sente l’entrepreneur. Mais à cause de la baisse des entrées liée notamment à la désertification de certaines régions et de l’augmentation en parallèle des standards et du niveau de forma­tion, nous avons réduit la voilure. » Aujourd’hui, il ne reste plus que 45 agents et il ne cherche pas à recru­ter. « Les départements dans lesquels nous sommes présents, notamment le Cantal, se vident pour se regrouper autour de petits pôles urbains comme Aurillac, où les habitants disposent de tous les commerces et administra­tions. La présence d’un agent dans les villages n’a plus de viabilité écono­mique », poursuit l’entrepreneur de 37 ans qui a rejoint le groupe il y a quinze ans. Quant aux vendeurs de secteur, autre outil pour assurer une capillarité, là aussi, Laurent Fabre a réduit la voilure : « La rentabilité de cette activité n’est pas intéressante. »

Car la première porte d’entrée avec son activité dans ces régions faiblement peuplées, c’est le digi­tal. « Si La Poste existe encore ici, c’est grâce à Amazon et consorts ! », souligne‑t‑il. D’où une stratégie très développée sur ce média, no­tamment concernant le sujet de l’e‑réputation. « Dans nos régions, le bouche‑à‑oreille est un facteur indispensable pour bien réussir, que ce soit dans la vraie vie ou sur Inter­net », nous avait‑il expliqué en oc­tobre 2021 lors de la remise du tro­phée de l’e‑réputation à l’occasion des Grands Prix de la Distribution organisés par Le Journal de l’Auto­mobile. Paradoxalement, le groupe n’abandonne pas les foires ou les marchés. « Cela montre que nous sommes présents, mais je ne suis pas persuadé de l’efficacité de ces mani­festations », glisse‑t‑il.

 

Diversification sur le recyclage

 

Cette spécificité liée à son terri­toire le protège‑t‑elle des grandes manoeuvres que connaît la dis­tribution automobile ? Il hésite. « Je ne suis entouré que de géants et je n’ai pas beaucoup de place pour m’étendre, lâche‑t‑il. Oui, les zones rurales pourraient intéresser les grands groupes qui, avec le déploie­ment des ZFE, risquent de se retrou­ver avec des volumes qu’ils ne pour­ront pas écouler mais qui pourraient intéresser nos territoires. » Pour au­tant, il reste dubitatif sur les masto­dontes de la distribution. « Je ne pense pas que la performance passe forcément par la taille, mais avant tout par les hommes, encore une fois, surtout dans nos régions », soutient le distributeur qui annonce une renta­bilité de 2 %.

Face à sa situation géographique et à sa marge de manœuvre relative­ment étroite en termes de volume – « lorsque l’on fait 50 % de part de marché dans certains cantons, diffi­cile d’aller chercher la progression », concède‑t‑il –, il a déployé deux ac­tivités distinctes, sources de déve­loppement. Alors que certains se lancent dans le camping‑car, la voi­ture sans permis, le deux‑roues ou les services de mobilité, Laurent Fabre a une tout autre vision de la diversification.

 

Si le sujet des véhicules de loisirs l’intéresse, il investit aujourd’hui massivement dans le recyclage. Il a, en effet, repris en février 2022 un chantier de ferraille dans l’agglomé­ration de Rodez, le premier d’une longue série si l’on en croit ses ambi­tions. L’histoire avec la récupération des métaux, on le rappelle, ne date pas d’hier. Elle a commencé en 1986 lorsque Jean a repris dans le Cantal une société spécialisée dans ce sec­teur. Depuis que Laurent s’est active­ment penché sur le sujet, le groupe détient quatre sites dans ce domaine, réalise un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros avec pour objec­tif de le multiplier par dix d’ici la fin de la décennie. « L’activité véhicules hors d’usage ne représente que 20 % des volumes, rappelle Laurent Fabre. Et dans ces 20 %, mes propres affaires automobiles ne couvrent que 5 % de l’approvisionnement en matières. Les 80 % proviennent de la collecte régio­nale de déchets, notamment ceux de la construction. »

 

Recycler la matière

 

Son axe de développement passe par le traitement de la matière pour qu’elle puisse être recyclée et non pas par la pièce de réemploi. Fin 2024, il prévoit d’ouvrir un centre de traitement ultime des métaux. « C’est une activité dont le poten­tiel économique est énorme, surtout avec le développement de la voiture électrifiée », explique le dirigeant qui est accompagné par le plan France Relance, un programme économique mis en place par le gouvernement pour revivifier l’éco­nomie dans les territoires. Malgré le discours volontariste des construc­teurs, il estime qu’il dispose d’une importante carte à jouer sur le trai­tement des batteries et leur fin de vie. « Sinon, pourquoi aurais‑je des batteries de voiture stockées depuis deux ans au fond de mon garage et qui n’ont toujours pas été récupérées par le constructeur ? », s’étonne‑t‑il. Un discours déjà entendu chez d’autres acteurs de la distribution et du recyclage.

 

L’autre axe de développement est le véhicule d’occasion. Une sorte de retour aux sources comme vu plus haut, mais que le groupe n’avait ja­mais abandonné si l’on regarde ses bons résultats en 2021 avec presque un VN pour un VO.

Depuis une dizaine d’années, le site Autotran­sac.fr existe, mais Laurent Fabre est passé à la vitesse supérieure en jan­vier 2020 en ouvrant des points de vente. Le premier l’a été à Rodez, le second, pendant le premier confine­ment, à Albi. Le troisième l’est depuis quelques semaines à Saint‑Flour (15). À terme, l’entrepreneur ne compte pas s’arrêter en si bon chemin car il prévoit d’ouvrir des centres à Tou­louse (31), Montpellier (34), voire Clermont‑Ferrand (63) et pourquoi pas sous la forme de franchises à moyen terme. « 20 % de mes VO quittent ma zone de chalandise natu­relle et partent sur ces marchés, note Laurent Fabre. Étant sur un terri­toire faiblement peuplé, je suis obligé d’aller chercher ma clientèle au‑delà de mes frontières naturelles afin de donner un dynamisme à mon stock. En outre, disposer d’un panneau me permet d’avoir une offre beaucoup plus large que celle que j’ai via les la­bels des constructeurs. » Son enseigne VO couvre, en effet, les véhicules de 2 à 10 ans ou de 5 000 à 30 000 eu­ros. Sur les 7 000 voitures d’occasion vendues en 2022, elle a représenté 600 ventes. En 2023, il prévoit de pas­ser à 1 000 véhicules et d’atteindre les 8 000 VO. Les ambitions sont très fortes puisqu’en octobre 2022, son frère Jean‑François a rejoint le groupe et fin décembre 2022, il a lan­cé une campagne audiovisuelle sur les chaînes du groupe M6.

 

En bref (données de 2021)

Chiffre d’affaires : 225 millions d’euros dans l’automobile, 10 millions dans le recyclage

Marques distribuées : Renault, Dacia, marques du groupe Volkswagen, Nissan, Suzuki, Volvo

Nombre de VN : 6 499

Nombre de VO : 6 185

Zones d’implantation : Rodez, Millau, Decazeville, Villefranche‑de‑Rouergue (12), Aurillac (15), Figeac (46), Mende (48), Albi, Gaillac, Lavaur, Carmaux (81)

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