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Industrie

Voitures électriques : à l’heure des batteries jetables

Publié le 18 janvier 2024

Par Catherine Leroy
10 min de lecture
L’élément le plus cher d’une voiture électrique est aujourd’hui très souvent impossible à réparer. Résultat, en cas de choc ou de panne d’un module, c’est l’intégralité du pack de batteries qui doit être remplacé. Un "oubli" du règlement sur les cellules adopté en juillet 2023 que la Commission européenne tarde à rectifier.
réparation batteries
Parmi les tests réalisés sur des modèles électriques français, chinois ou américains, le centre de recherche CarStudio a mis en lumière que seule la moitié des constructeurs proposait des batteries réparables. ©Mobivia

La photo est éloquente : une mousse collante scelle com­plètement les modules de la batterie, empêchant toute opé­ration de réparation ou de rempla­cement. L’élément le plus coûteux d’une voiture électrique – la batterie représente entre 30 et 40 % de son prix – est‑il en train de deve­nir une pièce irréparable ?

 

C’est en tout cas le sujet d’études assez édifiantes organisées par des sociétés d’ingénierie telles qu’A2MAC1 ou encore Mobivia par le biais de son centre de recherche et développement, CarStudio au sein de la move FACTORY. Dans ce centre, on démonte les véhicules connectés, électriques pour mieux apprendre sur le cœur de métier du groupe Mobivia : la réparation indépendante.

 

"Notre sujet porte plus précisément sur la manière de travailler l’avène­ment du véhicule électrique pour que la transition écologique soit réussie, explique Stéphane Derville, direc­teur de l’innovation du groupe Mobivia. Mais sur ce point, nous avons constaté que certains constructeurs avaient des batteries réparables. Mais d’autres, dans un souci d’augmenter l’autonomie du véhicule, tout en bais­sant son coût, n’ont pas la même stra­tégie."

 

"Nous avons pu observer, notam­ment sur des modèles plus récemment arrivés sur le marché français, des batteries totalement noyées dans la ré­sine. Parfois, les packs de batteries ne peuvent pas être ouverts. Il est impos­sible de les réparer. Il semble que nous nous dirigions vers quelque chose qui ressemble de plus en plus à des batteries jetables. Et il n’y a pas de garde‑fous au­jourd’hui pour éviter cela" poursuit le directeur de l'innovation de Mobivia.

 

Disparité des pratiques des constructeurs

 

Parmi les tests réalisés sur des modèles électriques français, chinois ou américains, le centre de recherche a mis en lumière que seule la moitié des constructeurs proposait des batteries réparables. Un comble lorsque l’on sait que la réglementation sur l’arrêt de la vente des véhicules thermiques a été adoptée en Europe à des fins environnementales.

 

Acquérir un véhicule électrique dont le prix est supérieur d’environ 25 % par rap­port à son équivalent thermique et ne pas pouvoir réparer l’organe central semble aux antipodes des objectifs fixés.

 

Il semble que nous nous dirigeons vers quelque chose qui ressemble de plus en plus à des batteries jetables Stéphane Derville, directeur de l’innovation du groupe Mobivia

 

"L’alerte sur l’enjeu de la réparabilité des batteries porte en priorité sur la disparité des pratiques des construc­teurs pour leur conception, mais également sur la circulation, la dis­ponibilité et le coût de l’information sur les états de fatigue (ou les moyens de diagnostic) et enfin sur la disponi­bilité des composants de la batterie pour la réparation dans un marché ouvert aux indépendants", précise Jean‑Philippe Hermine, directeur général de l’Institut des mobilités en transition au sein de l’Iddri.

 

Et visiblement, tous les construc­teurs n’ont pas la même approche en matière de réparabilité. Les tests réalisés montrent, en effet, des problèmes d’accessibilité, de packs de batteries complètement collés, de joints qui doivent être détruits pour accéder aux modules.

 

Poin­tés du doigt, certains constructeurs chinois, comme MG Motor, BYD ou même Tesla et son Model Y sur lequel les ingénieurs ont eu la surprise de découvrir des packs de batteries scellés entre eux par une résine rose impossible à enlever…

 

La batterie mais pas que…

 

"La réparabilité des batteries est un réel sujet que nous avons adres­sé dès le début de notre aventure électrique avec la Zoe en 2011. Cet enjeu a même fait partie du concept et des contraintes de notre cahier des charges", reconnaît Patrick Bastard, expert fellow et directeur de la recherche de Renault Group. Pour ce dernier, la batterie est un système complexe qui englobe diffé­rents sujets en dehors de la chimie.

 

Une batterie, c’est aussi de la mé­canique, des éléments thermiques (comprenant le système de refroi­dissement ou de chauffe selon les saisons), mais c’est également de l’électronique avec un calculateur dédié. Ce calculateur a pour mis­sion de surveiller l’état de la batte­rie, les températures, la tension, les niveaux de charge… "C’est donc un système très savant. Et lorsque l’on dit que la batterie est en panne, celle‑ci peut venir de n’importe quel élément", poursuit Patrick Bastard.

 

"Tout le monde se focalise sur la batterie en oubliant l’onduleur, les relais, les fusibles, les conducteurs rigides… tous ces éléments devraient pouvoir être remplacés", complète Éric Blaizeau, responsable du pôle mécanique et électronique au sein de Cesvi France.

 

Une réparation dès la conception

 

Certaines opérations sont assez simples à effectuer dans des garages formés disposant de l’homologation nécessaire. D’autres sont, en re­vanche, bien plus délicates, comme le remplacement d’un module. Il faut ouvrir la batterie, accéder aux éléments de puissance.

 

Et pour y parvenir, encore faut‑il que la batte­rie ait été conçue dans cette optique et que des salariés aient été formés. Chez Renault, la compétence a été dédiée à l’usine de Flins (78).

 

"Quand vous ouvrez une batterie, vous déposez le carter supérieur et vous devez enlever un joint qui ga­rantit son étanchéité. Si le joint n’est pas conçu pour être réparable, il sera très compliqué de le refaire en ate­lier avec les mêmes qualités que ce­lui produit en usine dès la première monte", avance Patrick Bastard.

 

Autre problème soulevé : si la batte­rie n’a pas été conçue pour que les modules soient facilement extrac­tibles, impossible de les changer sous peine de devoir faire du « bri­colage » qui peut être extrêmement dangereux…

 

"Lorsque l’on voit certains modules complètement coulés dans une ma­tière qui assure la fonction ther­mique, on peut légitimement se poser la question de la réparabilité", s’in­terroge Patrick Bastard.

 

Les principes de l’économie circulaire

 

À ce jour, il n’existe que très peu de chiffres concernant les véhicules électriques qui doivent être réparés ou qui ont été accidentés. Par sou­ci de sécurité et parce que la phase d’apprentissage ne fait que com­mencer, le remplacement est plutôt la règle.

 

"Si un carter de batterie est déformé suite à un choc, beaucoup de constructeurs ne fournissent pas de carters de remplacement considé­rant que les cellules ont sans doute été dégradées. Résultat, la batterie part en granulat", explique Éric Blaizeau. Par scepticisme ou simplicité, un véhicule électrique part plus vite à la casse qu’un véhi­cule thermique. Mais à l’heure où tous les constructeurs sécurisent leurs approvisionnements en ma­tières et métaux précieux, les broyer comme combustible peut étonner.

 

"L’électrification ne sera pertinente que si elle inclut les principes de l’économie circulaire : bien entendu, la possibilité de recycler et de réuti­liser en boucle fermée les métaux cri­tiques, mais également des enjeux de durabilité, réparabilité ou modulari­té des batteries pour leur donner une seconde vie en usage stationnaire", avance Jean‑Philippe Hermine.

 

Toujours en cours de dévelop­pement, le segment du véhicule électrique demeure un marché d’équipement, ce qui selon nos interlocuteurs peut expliquer ce manque de vision sur le long terme. Mais pour tous, le problème de la batterie reviendra comme un boo­merang dans cinq ou dix ans.

 

"Si l’on doit changer l’ensemble du pack et qu’en plus, on ne peut pas le recycler, cela veut dire que nous sommes face à une obsolescence pro­grammée et que l’on va à l’encontre de l’objectif de recyclabilité qui est la préservation des ressources", n’hé­site pas à dire Stéphane Derville.

 

Mais dans cette course à la vente, le coût reste un enjeu primordial pour faire baisser les prix des vé­hicules électriques. Multiplier les contraintes dans un cahier des charges oblige forcément les équipes d’ingénierie des construc­teurs à renchérir le coût des packs de batteries.

 

"Même si ce renché­rissement est très difficile à chiffrer. Mais il faut garder en tête que plus on ajoute de contraintes, plus on res­treint le champ du possible", recon­naît Patrick Bastard.

 

L’accès à la réparation indépendante

 

En réalité, trois éléments inter­viennent dans la possibilité de dis­poser de moyens de réparation peu coûteux : la conception de la batte­rie pour que chaque composant soit accessible et démontable, l’accès à un marché ouvert de composants pour la réparation (à l’instar de ce qui se fait pour les autres pièces du véhicule) et, enfin, l’accès à l’in­formation sur l’état de fatigue ou d’usure de la batterie ou de ses com­posants.

 

Ce sont des données né­cessitant l’accès à celles du véhicule (qui pourraient rester le monopole des constructeurs et de ce fait ren­chérir les coûts sur le cycle de vie de la voiture). Pour l’instant, aucun de ces trois éléments ne répond à la problématique de la possibilité et du coût de réparation.

 

"De la même manière, le statut de la santé de la batterie n’est que très rarement évoqué, y compris dans la manière de recharger son véhicule. Le constructeur aura une obligation de donner les éléments de durabilité de sa batterie, mais la vraie ques­tion est quelle est sa qualité ? Son état ? Sa capacité ? Quelle est sa performance réelle ?", s’interroge Stéphane Derville.

 

Toutes les réponses à ces questions ne figurent pas dans le règlement sur les batteries, pourtant adopté par l’Union européenne en juil­let 2023. Elles seront néanmoins au cœur du sujet du véhicule d’occasion élec­trique, qui va démarrer réellement à partir de 2025.

 

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Lente maturation du contexte réglementaire

 

Adopté en juillet 2023 par le Conseil de l’Union européenne, le règlement sur les batteries balaye large. Dans un seul texte, l’im­pact carbone des batteries, tout comme l’approvisionnement responsable et sociétal des matériaux clés que sont le cobalt, le nickel, le lithium ou encore le graphite sont certifiés dès 2025.

 

De la même manière, le remplacement facile et la réparation sont également réclamés dans ce texte. Mais la Commission eu­ropéenne et les États membres ont choisi la facilité en englo­bant toutes les sortes de batteries dans un seul texte réglemen­taire : de la batterie de la brosse à dents électrique à celle de la voiture électrique. Si l’intention est louable, la réalité est souvent bien plus complexe. Car le règlement sur les batteries impose bien la réparation, le démontage facile, l’interdiction de colle rendant irrécupérables les piles et batteries… sauf pour celles des voitures !

 

"Il faudrait un vrai standard compréhensible par tous sur la per­formance dans le temps de la batterie. Dans le cas contraire, cela peut être vu comme un manque de transparence. Dans un texte global, couvrir l’intégralité d’un sujet est difficile même si les intentions sont bonnes : réduire l’empreinte carbone, garan­tir la sécurité physique, préserver la chaîne de valeur durable et les gisements de matériaux. Mais l’enjeu de la réparabilité n’y est pas suffisamment adressé. Le statut des réparateurs et des opérateurs indépendants n’y est pas non plus précisé ", regrette Stéphane Derville, directeur de l’innovation du groupe Mobivia.

 

Un état de fait qui pourrait entraîner des situations de qua­si‑monopole sur ce qui devient l’essentiel de la valeur des vé­hicules. "Nous pourrions arriver à une distorsion de marché. Ce qui représente un coût pour les assurances et donc pour les automobilistes. La sinistralité d’un véhicule électrique coûte 30 % de plus pour un assureur", poursuit‑il.

 

Une directive spécifique pourrait intervenir sur les batteries des véhicules électriques. Mais comme le précise Jean‑Philippe Hermine, directeur général de l’Institut des mobilités en transi­tion au sein de l’Iddri, le contexte réglementaire met du temps à arriver, "la réglementation européenne ou française sur ces points n’est pas mature, ce qui permet une disparité des pra­tiques des constructeurs au stade de la conception des bat­teries et pose de nombreuses questions quant aux possibilités pour des réparateurs indépendants de proposer demain des solutions de diagnostic et de réparation abordables pour les clients de certains modèles."

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