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Industrie

Hydrogène : la filière française en voie d’extinction ?

Publié le 6 octobre 2025

Par Jean-Baptiste Kapela
12 min de lecture
La décision de Stellantis d’arrêter d’investir dans la mobilité hydrogène a eu l’effet d’une bombe. En quittant le navire, les différents protagonistes de cette technologie oscillent entre optimisme, colère et déception, forçant la filière française à naviguer en eau trouble.
Hydrogène filière française
"Le marché de l’hydrogène demeure un segment de niche, sans perspectives de rentabilité économique à moyen terme", a déclaré Jean‑Philippe Imparato, directeur de la région Europe élargie de Stellantis. ©

Elle se présentait comme l’alternative idéale pour pallier les faiblesses des véhicules électriques à batterie. Pourtant, de­puis un peu plus d’un an, les espoirs de voir la technologie hydrogène riva­liser à armes égales s’effritent, malgré une filière perfusée à l’optimisme.

 

Le 16 juillet 2025, l’annonce de Stellantis de "cesser son programme de dévelop­pement de la technologie de pile à com­bustible à hydrogène" est un coup de tonnerre dans une filière encore bal­butiante.

 

Pionnière dans le domaine, l’entreprise développait et commercia­lisait des fourgons à pile à combustible avec une gamme notamment compo­sée de Peugeot e‑Expert, Citroën ë‑Ju­mpy ou encore Opel Vivaro‑e.

 

Au‑delà de son aspect brutal, cette décision du groupe franco‑italo‑américain est aus­si hautement symbolique. Le construc­teur ayant réitéré à plusieurs reprises sa volonté d’être le leader mondial dans le domaine des utilitaires à hydrogène. Stellantis devait passer d’un assemblage "artisanal" de ses modèles à Rüsselsheim, en Allemagne – relocali­sé à Hordain (59) début 2024 – à une production de ligne durant l’été 2025.

 

Une annonce d’autant plus étonnante que Stellantis se présentait comme le dernier bastion de la fabrication de vé­hicules utilitaires à hydrogène en Eu­rope, depuis la liquidation judiciaire de Hyvia, la coentreprise entre Renault et le fabricant de piles à combustible Plug Power, en février 2025.

 

Pour les analystes, cette décision se jus­tifie surtout par la volonté de stopper un programme dont la rentabilité ne cesse d’être retardée, alors que le nou­veau patron, Antonio Filosa, se doit de faire des économies. "Le marché de l’hydrogène demeure un segment de niche, sans perspectives de rentabilité économique à moyen terme", explique Jean‑Philippe Imparato, directeur de la région Europe élargie de Stellantis.

 

L’hydrogène se présentait comme une planche de salut pour la décarbonation des véhicules utilitaires. Mais dès lors qu’une gamme à batterie se concrétise et se perfectionne, la technologie de la pile à combustible perd son intérêt économique. En particulier lorsque le prix de ces véhicules utilitaires à hydrogène dépasse les 70 000 euros. Même avec un important soutien de l’État dans le domaine, les perspectives de rentabilité sont faibles.

 

La société Hyvia a été placée en liquidation judiciaire en février 2025. ©Hyvia

 

Des équipementiers aux abois

 

Avec l’annonce de Stellantis, c’est toute une filière qui se fragilise, à commencer par les équipementiers. En ligne de front, Symbio navigue maintenant à vue. La coentreprise entre Michelin, Forvia et Stellantis (actionnaire depuis mai 2023 à hau­teur de 33,3 %), spécialisée dans la pile à combustible, voit son principal client se volatiliser. Le constructeur représentait 80 % de la production de son usine située en banlieue de Lyon (69), sortie de terre récemment.

 

Naturellement, pour les participants à la coentreprise, l’impact est non négligeable. Forvia voit donc son ré­sultat net s’effondrer de 269 millions d’euros au premier semestre, en grande partie dû à "une déprécia­tion d’actifs de 136 millions d’euros liée à la coentreprise Symbio", selon la société.

 

"Compte tenu des risques opérationnels et financiers impor­tants pour l’avenir de Symbio, Forvia a comptabilisé une dépréciation des actifs financiers liés à la coentreprise, consolidée par mise en équivalence, pour un montant de 136 millions d’euros, sans effet cash", explique Forvia dans un communiqué.

 

 

De son côté, Michelin a provisionné 140 millions d’euros après l’annonce du retrait de Stellantis. La décision du constructeur a provoqué l’ire de la multinationale clermontoise, dé­plorant une "décision inattendue, brutale et non concertée".

 

Il est vrai que le groupe représentait aussi un client majeur pour OPmobility. La nouvelle usine de Compiègne (60) de l’équipementier français devait ainsi approvisionner Stellantis en réservoirs à hydrogène.

 

La marche arrière du constructeur impacte donc "la montée en cadence de l’usine", selon les propos du directeur général d’OP­mobility, Laurent Favre. L’entreprise est d’ailleurs entrée en négociation avec le groupe pour s’orienter vers un dédommagement. Selon Stellantis, l’arrêt de son programme hydrogène coûterait 700 millions d’euros.

 

Hysetco a ouvert huit stations d’hydrogène en Île-de-France. ©Hysetco

 

L’ensemble d’une filière française dans le doute

 

Garant d’une souveraineté française, l’hydrogène a pour objectif de pallier la domination chinoise sur les véhicules électriques. Si la décision de Stellantis porte un coup dur, des symptômes d’un affaiblissement de la filière fran­çaise ont commencé à faire leur appari­tion au début de l’année 2025.

 

En effet, outre la liquidation de Hyvia, certains acteurs prometteurs de la technologie hydrogène ont traversé des difficultés avant de tomber sous pavillon étran­ger. À titre d’exemple, McPhy, fleuron de la stratégie hydrogène française, fabricant d’électrolyseurs ‑ un élément essentiel à la production d’hydrogène décarboné – a frôlé la liquidation avant d’être racheté par son concurrent belge John Cockerill.

 

Safra, construc­teur de bus à hydrogène, a lui aussi été placé en redressement judiciaire en février 2025, avant de devenir la pro­priété de l’entreprise chinoise Wanrun en mai 2025. Une ambiance générale morose qui pousse certaines sociétés à changer de cap en cours de route, à l’image de l’opérateur de taxis Hype.

 

Ses taxis à hydrogène se sont forgé une véritable notoriété dans les rues franciliennes. Mais le 20 juin 2025, la start‑up fondée en 2021 annonce re­noncer à l’utilisation de cette énergie en s’orientant dorénavant vers l’élec­trique à batterie.

 

La société comptait des centaines de taxis à hydrogène en Île‑de‑France. Hype évoque plusieurs raisons à ce changement de cap. Dans un communiqué publié sur le réseau social LinkedIn, l’entreprise mentionne l’échec de McPhy, précisant "avoir été pris de court", la dissuadant de "maintenir sa confiance dans la fi­lière hydrogène française".

 

 

Mais dans sa publication, Hype met en exergue les tarifs du ravitaillement en hydrogène, trop élevés selon l’entreprise et ayant connu de fortes hausses depuis 2015. De 12 euros/kg en 2015, il faut compter entre 16 et 18 euros/kg d’hy­drogène distribué en 2025. "Cinq fois plus cher que le coût équivalent pour le même kilométrage d’une recharge rapide avec de l’électricité verte fournie par Electra (0,29 euro TTC/kWh)", précise Hype dans son communiqué, qui met en cause l’entreprise Hysetco, qui compte dans son capital TotalE­nergies et Air Liquide depuis 2021.

 

Les distributeurs d’hydrogène tiennent la barre

 

Hysetco, par le biais de son PDG Loïc Voisin, assure être "très à l’aise" sur les tarifs de distribution d’hydrogène. "Nous avons un prix qui est fixe, qui est le même dans toutes nos stations et qui est le plus bas du marché", précise‑t‑il. L’entreprise compte huit stations en Île‑de‑France et prévoit d’en inaugurer de nouvelles.

 

Mais ce n’est pas la seule activité du groupe. Hysetco possède, via sa filiale Slota, une flotte de 800 véhicules utilitaires composée de Toyota Mirai et d’une centaine de Peugeot e‑Expert Hydrogen. Hype représentait 34 % de l’activité de cette dernière et la société dirigée par Loïc Voisin a signé un partenariat avec Stellantis en 2024 pour la livraison de nouveaux véhi­cules utilitaires à hydrogène.

 

 

En dépit des retraits, l’entreprise avance sur ses projets. "Il n’y a aucun impact immédiat sur l’exploitation quotidienne de nos véhicules, explique Hysetco. Ils restent pleinement pris en charge et nous continuons d’assurer l’accès à l’hydrogène, la maintenance et l’assis­tance. Notre réseau de stations est tota­lement opérationnel, avec les standards de qualité et de disponibilité attendus."

 

Hysetco précise que "l’arrêt de Stel­lantis ne signifie pas la fin du VUL à hydrogène" et ajoute que "d’autres acteurs travaillent sur des offres com­plémentaires". Des sociétés spéciali­sées dans les infrastructures, comme Hympulsion – qui compte dans ses actionnaires la Région Auvergne‑Rhô­ne‑Alpes, Engie, Michelin, le Crédit Agricole et la Banque des territoires –, maintiennent leurs ambitions dans la mobilité hydrogène.

 

L’entreprise continue d’étendre son réseau de sta­tions avec une nouvelle située à l’aéro­port de Lyon. Pour promouvoir la technologie, la Global Hydrogen Mo­bility Alliance, qui réunit une tren­taine d’entreprises engagées dans l’hy­drogène comme Symbio, OPmobility ou encore Hyundai, a adressé une lettre à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour insister sur la place centrale que doit occuper la mobilité H2 dans les stratégies européennes.

 

La France freine ses ambitions

 

En France, l’État commence à émettre des doutes sur la technologie hydro­gène. En 2020, le gouvernement a établi des objectifs pour garantir la "souveraineté industrielle et énergé­tique de la France" en matière d’hy­drogène décarboné avec un budget de neuf milliards d’euros d’ici 2030.

 

Mais face à la fragilité récente de la filière, un nouveau document publié en avril 2025 revoit les ambitions à la baisse de la "stratégie nationale". Au lieu de produire 6,5 GW d’hydrogène par électrolyse de l’eau d’ici à 2030, le gouvernement souhaite dorénavant atteindre 4,5 GW. Des objectifs pour 2035 aussi abaissés de 10 GW à 8 GW.

 

"Le déploiement a été moins rapide qu’attendu, en France comme dans les autres pays du monde. La phase d’industrialisation et la mise en œuvre des premiers projets de taille industrielle ont pris plus de temps que pré­vu", précise le document.

 

Des objec­tifs plus modestes auxquels s’ajoute le lancement d’un appel à projets pour favoriser le déploiement des véhi­cules utilitaires roulant à l’hydrogène. "Les utilitaires nécessitent une longue autonomie sur la journée, une forte disponibilité, un temps de recharge rapide, un maintien de la charge utile ou encore des besoins énergétiques plus importants, l’hydrogène, bien que plus coûteux à date, pourrait devenir perti­nent", note le document.

 

Néanmoins, selon la Cour des comptes, ces objectifs demeurent "irréalistes", souhaitant que le sou­tien à la filière soit plus ciblé. Dans son rapport, l’institution estime que seul 0,5 GW est réellement sécurisé d’ici 2030 et considère que les objec­tifs pourraient au mieux être portés à 3,1 GW.

 

Selon les sages de la rue Cam­bon, le soutien aux transports routiers a été "disproportionné" dans la me­sure où la transition énergétique du secteur semble davantage basée sur les batteries que sur la pile à combustible. La Cour des comptes estime ainsi que 46 % des 900 millions d’euros de dé­penses publiques alloués à la filière hy­drogène sont destinés aux transports.

 

La mobilité hydrogène a‑t‑elle de l’avenir ?

 

Pour Bernard Jullien, la mobilité hy­drogène telle qu’elle a été imaginée est un projet mort dans l’œuf et le maître de conférences en économie à l’univer­sité de Bordeaux n’y a jamais cru. "La doctrine de la neutralité technologique est paradoxale avec la capacité à pla­nifier de la Chine. Or, il faut faire des choix. L’Europe a d’ores et déjà choisi la technologie pour décarboner l'automobile, mais la France et d’autres pays du Vieux Continent ont feint d’être neutres", souligne Bernard Jullien. Se­lon l’économiste, l’hydrogène n’a pas su tirer son épingle du jeu lors du "trou d’air" traversé par l’électrique, ce qui symbolise l’échec de cette technologie.

 

"La parenthèse Covid se referme avec une baisse des volumes et des profits qui oblige tout le monde à serrer les boulons. Dans les périodes de vaches maigres, on fait des arbitrages, analyse Bernard Jul­lien. Beaucoup d’énergie a été dépensée en vain et il y a eu de belles histoires… mais le livre va se fermer. Les VE seront prochainement plus puissants et abor­dables et les surcoûts dans l’hydrogène apparaîtront complètement délirants."

 

Accaparés par l’électrique, les constructeurs français ont mis entre parenthèses cette technologie. Mais à l’international, certains projets per­sévèrent.

 

Parmi les pionniers de la technologie hydrogène, Toyota, avec sa berline hydrogène Mirai, a connu une baisse de ses ventes de 46,1 % au premier semestre 2025. Ce qui n’em­pêche pas le constructeur nippon de préparer une troisième génération de piles à combustible et fait rouler son prototype de pick‑up hydrogène.

 

Son concurrent japonais, Honda, a quant à lui lancé en 2025 son SUV hybride CR‑V mixant pile à combustible et batterie. Hyundai, pour sa part, com­mence la commercialisation de la nouvelle version de son SUV hydro­gène Nexo, pour le moment exclusi­vement en Corée du Sud. Ce dernier connaît d’ailleurs un petit succès puisqu’il s’est déjà écoulé à plus de 1 000 unités durant le mois de juillet, selon les médias coréens.

 

Le construc­teur allemand BMW, de son côté, pré­pare la venue de l’iX5 Hydrogen qui est prévu de série à partir de 2028. Tous ces acteurs en sont persuadés : un véhicule à pile à combustible fonc­tionnant avec de l’hydrogène vert reste une solution d’avenir. Sa ren­tabilité est juste décalée de quelques années. Mais les acteurs français ne seront plus de la partie.

 

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La traversée du désert des véhicules à hydrogène

 

Si les immatriculations de modèles à batterie connaissent un second souffle, celles de véhicules à pile à combustible dépriment. Selon les chiffres du cabi­net d’étude sud‑coréen SNE Research, les ventes de véhicules à hydrogène dégringolent de 27,2 % pour un vo­lume très faible de 4 102 unités mises à la route… dans le monde. À titre de comparaison, juste en Europe, un million de véhicules électriques ont été imma­triculés sur la même période.

 

La Chine représente à elle seule près de la moi­tié des véhicules H2 immatriculés, mais ce volume baisse toutefois de 18,4 %. Un résultat sans doute impacté par la guerre des prix à laquelle se livrent les constructeurs chinois de véhicules électriques.

 

Actuellement, Hyundai do­mine le marché mondial avec 1 252 Nexo, mais s’effondre de 31,9 %. Un volume en baisse qui devrait toutefois être revita­lisé au second semestre avec la sortie en Corée du Sud de la nouvelle ver­sion de son SUV.

 

En revanche, Toyota a seulement livré 698 Mirai de janvier à juin 2025, en chute libre de 46,1 %. En ce qui concerne Honda, 115 CR‑V ont été vendus depuis le début d’année. En Europe, les ventes de véhicules à hydro­gène se limitent à seulement 452 unités au premier semestre 2025.

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