Le contrat d'agence est-il mort ? Et faut-il s'en réjouir ?
Depuis 2021, des constructeurs historiques, Stellantis, Volkswagen Group, Ford, Mercedes, BMW, Volvo ont entrepris ensemble de remplacer le modèle séculaire de la distribution indirecte, par un modèle de distribution directe, en d'autres termes, de remplacer le contrat de concessionnaire par un contrat d'agent.
Depuis la nuit des temps, le constructeur rêve de réintégrer dans sa marge la remise client dilapidée par le concessionnaire et a déployé des trésors d'imagination pour parvenir à la définition de prix nets.
La digitalisation du commerce et le pactole que le constructeur a aperçu entre les mains de son distributeur, a conduit à l'appropriation de son fichier clients en vue de l'instauration d'une relation directe, permettant d'envisager, au-delà du contrôle définitif du prix du véhicule, le développement de relations commerciales nouvelles.
Le contrat d'agent était né, la Commission européenne définissant le cadre légal de sa mise en œuvre dans la mise à jour de ses lignes directrices, publiée le 30 Juin 2022 [1].
Un avenir plein de promesses s'ouvrait alors, conduisant Stellantis à anticiper une baisse de 40 % de ses coûts de distribution [2], contribuant à garantir aux actionnaires une marge à deux chiffres, chaque année jusqu'en 2030 [3].
Après un essai aux Pays-Bas, Ford a renoncé à ce projet, puis, sur le constat de résultats catastrophiques en Belgique et plusieurs reports successif, Stellantis pourrait enterrer le projet à son tour.
En dernier lieu, c'est Volkswagen qui jette l'éponge.
Mais bon sang, que s'est-il passé ?!
Ce qui est connu
La légalité du contrat d'agent a un prix.
Pour que le constructeur puisse fixer le prix de vente du véhicule et se soustraire à l'interdiction des prix imposés, le concessionnaire doit avoir disparu en tant qu'opérateur économique indépendant, pour être intégré à la force commerciale du constructeur, comme le serait un salarié.
Ce qui emporte deux conséquences essentielles : le constructeur assume le coût des structures mise en œuvre pour la distribution directe de ses produits et reste le propriétaire des stocks qu'il commercialise.
Les structures que le concessionnaire avait été contraint de déployer à grands frais, ont subitement été regardées comme excessivement dispendieuses, le constructeur s'employant par ailleurs à limiter autant que possible leur prise en charge effective.
Pour les stocks, c'est une autre affaire et il semble que leur charge ait été d'autant plus mal anticipée, que la montée en gamme et la course aux marges a considérablement refroidi les acheteurs.
Ajoutons qu'en prétendant tout à la fois, se substituer au concessionnaire dans la gestion commerciale, administrative et logistique de la vente, alors précisément qu'il réduisait ses propres ressources humaines, le constructeur n'a pas mis toutes les chances de son côté.
Enfin, force est de constater qu'au moment d'afficher le prix de vente de ses véhicules, le constructeur est désormais conduit à annoncer d'emblée un prix remisé indiscriminé, alors que le concessionnaire, attentif à sa modeste rentabilité, n'abandonnait finalement la remise que dans une mesure scrupuleusement nécessaire à chaque vente.
Celui qui s'en sort le mieux, c'est probablement le cabinet de consultants qui a vendu la martingale au constructeur.
Dès le départ, des constructeurs comme Renault Group et Toyota s'étaient désolidarisés du mouvement, soit parce qu'ils savaient ne pouvoir porter les stocks, soit parce qu'ils conservaient leur confiance dans une gestion plus rigoureuse de la distribution par les membres de leur réseau.
Ce qui est moins connu
Le contrat d'agent ne sera pas mis en œuvre et le concessionnaire continuera donc, sauf peut-être pour la distribution de marque à faibles volumes, à exercer son activité dans un modèle de distribution indirecte.
Cette conclusion est fausse et procède d'une approche superficielle.
En réalité, le concessionnaire est déjà un agent.
Le constructeur ne communique plus sur un prix de vente, mais sur un loyer et le concessionnaire est requis, plus ou moins fermement, de louer le véhicule, plutôt que de le vendre.
Lorsque la vente est inévitable, il est conduit à imposer le financement de la captive du constructeur.
Dans tous les cas, il doit également placer le contrat d'entretien et de réparation du constructeur.
Alors même que le distributeur opère dans le cadre d'un contrat de concessionnaire, il est obligé d'intervenir prioritairement auprès de ses clients en qualité de représentant du constructeur ou de sa captive, dont il est effectivement devenu l'agent.
Les prix sont fixés par le constructeur et les clients sont désormais ceux du constructeur, y compris sur l'après-vente.
Le débat sur le contrat d'agent pour la distribution du véhicule neuf, véritable chiffon rouge, a occulté cette révolution de l'ombre.
Le plus beau : le concessionnaire continue de porter la charge financière des structures commerciales exigées par le constructeur, comme il continue de porter les stocks.
Pour le constructeur, la formule revient à obtenir les avantages du contrat d'agent auquel il prétend avoir renoncé (contrôle des prix et de la clientèle), sans en supporter les inconvénients.
Ce nouveau modèle impacte doublement le concessionnaire, le dépouillant de sa clientèle et l'obligeant à abandonner une partie substantielle de sa marge.
Plus grave, il engage le concessionnaire dans une relation d'exclusivité, qui le conduit à rompre avec ses partenaires habituels et à défaut de disposer de clientèle propre, compromet le déploiement d'activités alternatives.
En définitive, le contrat d'agent n'est pas mort : il a muté.
Il a été amendé pour éviter les contraintes économiques que la réglementation européenne faisait peser sur lui.
À cet égard, il paraît nécessaire de rappeler qu'au mois de Mai 2024, la Commission européenne a engagé les travaux d'évaluation du règlement d'exemption spécifique à la distribution automobile de 2010, en prévision de l'adoption d'un nouveau règlement au dernier trimestre 2025.
Une première consultation organisée par la Commission sur les problèmes qui pouvaient affecter le fonctionnement du marché n'a pas suscité le moindre retour de la part de distributeurs.
Les problèmes existent pourtant, de nature économique autant que juridique.
À défaut de pouvoir s'exprimer directement sans s'exposer au risque de représailles, il reste possible de le faire par personne interposée, voire de manière anonyme, puisque la Commission a mis en œuvre un canal dédié aux lanceurs d'alerte.
L'avenir ne s'est pas joué sur les annonces d'une renonciation au contrat d'agent, l'avenir se joue maintenant.
[1] Lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE C 248/1 du 30 Juin 2022, art. 3.2.
[2] Long-term Strategic Plan, Dare Forward, March 1st, 2022, p. 11.
[3] Long-term Strategic Plan, Dare Forward, March 1st, 2022, pp. 8, 47.
Par Patrice Mihailov, avocat spécialiste du droit de la distribution.
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