Affaire à céder, mais pas à n’importe quel prix !
Dugardin, Parot, Savy, Lombardot, Sima Mariscal, JFC Normandie… la liste des rachats de groupes de distribution est longue. La concentration des investisseurs de la distribution automobile est allée bon train ces derniers mois. Les fusions‑acquisitions dans le secteur restent plus que jamais dynamiques et rien n’indique qu’elles pourraient connaître un ralentissement dans les mois qui viennent.
Entre les investisseurs qui craignent une baisse de la valorisation de leur groupe, ceux qui n’ont pas d’héritiers intéressés pour une transmission et ceux qui veulent changer de vie, les offres se multiplient. Et puis, il y a également cette catégorie d’investisseurs qui ne se retrouvent pas ou plus dans la stratégie de la marque qu’ils distribuent. Le passage au modèle d’agent chez Stellantis, notamment, laisse des traces dans le contrat de confiance entre un constructeur et un distributeur.
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Mais comment sont valorisés ces groupes dans le cadre d’une acquisition ? Et surtout, comment ont évolué ces modèles de valorisation ? Les vérités d’hier ne sont certainement pas celles d’aujourd’hui et la complexité du métier de la distribution dans le secteur automobile est bien réelle.
"Pendant longtemps, c’est la valeur patrimoniale d’une entreprise qui a servi de base de calcul pour sa valorisation. En résumé, c’est un actif net auquel un goodwill était ajouté, c’est‑à‑dire un contrat multiplié par un prix au capot. Mais cette stratégie ne reflète plus la réalité du terrain car cette approche valorise au même niveau une entreprise qui gagne de l’argent ou qui en perd. Désormais, il faudrait passer d’une valeur patrimoniale à une valeur de rendement car une entreprise ne vaut que ce qu’elle rapportera", explique Bruno Cavagni, cofondateur du cabinet de conseil Othra.
Pour autant, cette évaluation du prix en partant du contrat VN multiplié par une valeur par modèle n’est pas à mettre aux oubliettes. Cette approche, assez ancienne, reste l’une des méthodes utilisées dans les transactions où seul le fonds de commerce doit être cédé.
"Dans tous les cas, le travail sera de déterminer ce goodwill, c’est‑à‑dire l’écart entre la valeur comptable d’une société et le prix d’acquisition", nous dévoile ce dirigeant de groupe.
Une approche au rendement
Mais dans le commerce en général, et la distribution automobile n’y fait pas exception, l’acquisition complète d’un groupe signifie souvent le rachat d’une société holding avec ses filiales d’exploitation et parfois immobilières. C’est une difficulté supplémentaire qui demande d’évaluer l’immobilier à la valeur du marché, tout en anticipant les éventuelles évolutions de la distribution nécessitant une relocalisation ou une adaptation des surfaces commerciales.
"Un investisseur immobilier attend généralement un rendement brut sur son investissement de 8 à 10 % (loyers/prix d’acquisition de l’immeuble). Un investisseur automobile doit maîtriser sa pression immobilière avec une cible de 0,8 à 1,2 % (loyers/CA). Il faut donc pouvoir réconcilier les deux stratégies, tout en anticipant une approche patrimoniale pour les générations futures de l’investisseur", note Christian Andreani, cofondateur du cabinet de conseil Othra, qui plaide pour une analyse spécifique du parc immobilier.
Dans la technique liée au rendement, la détermination du multiple et du résultat à prendre en compte est évidemment prépondérante. "C’est une approche qui est très utilisée dans toutes les fusions. Si la société est très rentable ou l’avenir du secteur prometteur, le multiple est élevé. Ce qui n’est pas forcément le cas dans l’automobile qui voit exister de nombreuses affaires patrimoniales", affirme un investisseur.
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Ce multiple dépend de la puissance de la marque, de la capacité à réaliser des résultats et des forces identifiées de la cible. Il varie généralement de 5 à 8. Ainsi, les marques premium BMW, Mercedes‑Benz et Audi seront mieux valorisées que les généralistes.
Concernant le résultat à prendre en compte, l’EBITDA (résultat d’exploitation) est généralement utilisé. Mais il est également usuel de considérer le résultat courant avant impôts (RCAI), car ce dernier intègre les frais financiers générés par la dette de la société. Enfin, dans un contexte actuel de hausse des taux et d’endettement important (du type PGE, portage des stocks), il faut absolument tenir compte de l’endettement net.
La valeur de transaction à retenir sera donc un multiple d’EBITDA ou de RCAI auquel il faut retrancher l’endettement net (prêts et trésorerie). "C’est l’approche privilégiée par les banquiers dont la préoccupation essentielle est la suivante : comment la cible va‑t‑elle rembourser le LBO ? ", poursuit Bruno Cavagni.
L’impact des taux et l’irrationnel
La période où les taux d’intérêt étaient faibles voire négatifs est bel et bien révolue. Avant 2019 et la période du Covid, emprunter à 2 % était facile. Mais aujourd’hui, les taux oscillent entre 4 et 6 %. Les banquiers sont bien plus vigilants dans les méthodes de valorisation.
D’autres méthodes sont parfois utilisées, comme nous l’explique cet ex‑patron de groupe qui a vu ses affaires être valorisées à l’aune de ses fonds propres en plus du goodwill au capot. Enfin, reste l’inconnue de la volonté ou la nécessité du rachat.
"La désirabilité de quelqu’un qui veut étendre son territoire dans une logique de consolidation, de rationalisation des frais de structure, de plaque logistique de pièces de rechange peut faire évoluer à la hausse les valorisations classiques", reconnaît Jean-Louis Bouchez, troisième associé d’Othra.
Ainsi, le marché a déjà vu des valeurs s’envoler, comme une affaire Hyundai qui s’est vendue 4 500 euros du capot ou une autre Citroën près de 2 000 euros la voiture. Parfois, il s’agit aussi d’empêcher un concurrent de s’étendre trop proche de son territoire.
Quel impact des contrats d’agent sur les cessions ?
La question agite les réseaux. Le passage aux contrats d’agent pour les marques du groupe Stellantis ou même de BMW aura‑t‑il des conséquences sur la valorisation des affaires ? Si les constructeurs assuraient une rentabilité identique, même avec une structure différente, les investisseurs sont loin d’être rassurés. Certes, les stocks de véhicules ne seront plus portés financièrement sur le terrain. Et les frais financiers seront situés au niveau du constructeur. Reste à connaître définitivement la rémunération qui sera dégagée lors de la signature du contrat et après. "Il est certain que nous gagnerons moins avec la mise en place des contrats d’agent, est persuadé ce dirigeant de groupe. Notre challenge sera de réinventer un business model qui ne dépend pas du véhicule neuf."
Qu’en est‑il des valeurs résiduelles dans le cas d’un rachat ?
Quand on parle d’une valeur patrimoniale, on parle d’un actif net. L’actif, ce que possède l’entreprise auquel est déduit le passif, c’est‑à‑dire l’endettement. Le hors‑bilan est ensuite retraité, dont tous les engagements non comptabilisés avec les valeurs de buy‑backs et les provisions… "Ce hors‑bilan peut être problématique. Surtout en ce moment. Ne serait‑ce que sur les dossiers du leasing social, les distributeurs attendent jusqu’à 4 000 euros de perte par voiture, précise un investisseur. Tous ces actifs toxiques, qui vont rentrer dans les trois ans, seront très impactants financièrement. Les distributeurs en sont très conscients."
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