Luca de Meo, Renault : cinq ans de transformation stratégique et ensuite ?
Cinq ans et puis s'en va ! L'annonce de la démission de Luca de Meo laisse les salariés pantois et le secteur automobile un peu assommé. "C'est une figure charismatique du monde automobile qui s'en va. C'est une vraie perte et un départ que nous n'avions pas du tout anticipé", assure un professionnel.
Le dirigeant quitte le navire Renault après avoir redressé la barre de manière spectaculaire. En 2020, lorsqu'il prend les rênes du groupe, celui-ci perd huit milliards d'euros.
Mais son sens du produit – il se définit lui-même comme un car guy, un passionné d'automobile –, sa sensibilité marketing et, bien sûr, sa vision stratégique, transforment Renault en un groupe désormais rentable, avec un vrai plan de développement. La preuve, Renault a atteint ses objectifs avec deux ans d'avance. Lors de la présentation des résultats financiers 2024, en février 2025, ce dernier ne cache pas sa satisfaction.
Le chiffre d'affaires a progressé de 7,2 % à 56,2 milliards d'euros. La marge opérationnelle affiche une hausse de 146 millions d'euros (+15 %). À 4,3 milliards d'euros, Renault franchit un nouveau record historique. Sa marge opérationnelle atteint les 7,6 %.
La Renaulution dans la gamme et l'organisation
Dans l'automobile, tout commence par le produit. Luca de Meo le sait bien. Et le renouveau de la gamme est mené de manière exemplaire. La R5 électrique et le Scenic s'offrent même le luxe de gagner deux fois de suite le prix convoité de Voiture de l'année. Auparavant, la sortie de la Megane électrique, de l'Austral, etc. donnaient le ton de la rénovation entamée.
Le dirigeant a aussi redonné une perspective à Alpine et même à Dacia. La marque roumaine a débuté son électrification et s'est ouvert de nouveaux horizons en arrivant sur le segment C, le plus gros d'Europe, avec le Bigster.
Quant à Alpine, on peut parler d'une renaissance. Après l'A110 actuelle, une gamme de sept produits a été annoncée. L'A290 est déjà sur les routes, l'A390 va bientôt l'être et, en 2026, une nouvelle génération électrique de l'A110 sera une réalité.
Viendra ensuite l'heure des SUV, aujourd'hui indispensables à une internationalisation des ventes. Alpine vise notamment les États-Unis, mais il semblerait que le projet soit sur pause.
Dès le début 2026, la nouvelle Twingo, figure de proue de la nouvelle stratégie d'ingénierie du groupe avec un développement en moins de deux ans, arrivera dans les concessions. Ce sera une nouvelle preuve de sa capacité à tout chambouler dans l'organisation. Mais il observera les résultats de loin, dans son nouveau fauteuil de directeur général du groupe de luxe Kering, qui fait face également à de nombreux vents contraires.
Côté organisation, Luca de Meo poursuit également son chamboule-tout. Le groupe est scindé en deux entités. Ampere chapeaute le développement et la production des véhicules électriques, qu'il renonce finalement à introduire en Bourse. Horse conserve les moteurs thermiques mais associé au constructeur chinois Geely et au pétrolier Aramco.
Les partenariats se multiplient. Renault s'associe à Volvo Group et à CMA-CGM pour créer Flexis et mettre au point les véhicules définis par logiciel (SDV), dont la concrétisation est attendue pour 2026. Pour sauver l'usine de Flins (78), Luca de Meo, avec Suez, crée The Futur is neutral et dédie le site à la rénovation de véhicules d'occasion et au démantèlement de véhicules hors d'usage.
Enfin, l'Alliance poursuit son effritement, accéléré par les difficultés financières de Nissan. Les deux constructeurs vont remanier leur participation croisée. Les deux entreprises vont pouvoir descendre à 10 % du capital de l'autre au lieu de 15 % actuellement.
Un nouveau plan stratégique en cours
Depuis plusieurs mois, Luca de Meo planchait sur le prochain plan, baptisé "Futurama". Celui-ci doit projeter Renault sur les cinq prochaines années et ne devait être présenté qu'à la fin de cette année. Son départ en plein milieu laisse pantois les analystes.
"C'est un gros questionnement et c'est un vrai sujet sur le coup d'après. Le plan Renaulution a été pensé dans un contexte où l'avenir ne portait que sur le modèle électrique. Sera-t-il aussi pertinent dans un monde d'hybridation à venir ? Beaucoup d'actifs ont été sortis, c'est assez atypique", soutient cet analyste.
Un signal inquiétant pour l'industrie automobile
Reste que le départ d'un dirigeant automobile pour un autre secteur économique, celui du luxe, "en dit long sur les perspectives de l'industrie automobile européenne", selon Matthias Baccino, directeur de Trade Republic, interrogé sur BFM business. Tout comme ses relations houleuses avec les politiques.
Auditionné par les députés à l'Assemblée nationale, en février dernier, Luca de Meo n'avait pas masqué son agacement. Alors qu'il tentait désespérément de démontrer la perte de la compétitivité structurelle du secteur en Europe, les députés français n'avaient ramené le débat que sur l'avenir de la Fonderie de Bretagne et son salaire.
Un moment charnière pour Renault
Pour Jean-Dominique Senard, président du conseil d'administration du groupe Renault, une nouvelle période démarre également. Ce dernier n'a jamais caché son plaisir de travailler avec Luca de Meo.
"En plus d’être un capitaine d’industrie exceptionnel, Luca de Meo est aussi un homme créatif, impliqué, passionné et passionnant. Aujourd’hui, l’ensemble de l’entreprise se joint à moi afin de le remercier pour ces années et tous ces défis collectifs relevés avec succès. À titre personnel, je garderai en mémoire la qualité de nos relations dans cette aventure, qui restera inoubliable…", écrit-il dans le communiqué annonçant son départ.
Retour donc à la phase recrutement et recherche de la perle rare, capable de prendre la relève dans l'exécution d'un plan décidé par un autre. Le plus simple serait le recrutement interne.
De nombreuses voix s'élèvent pour citer Denis Le Vot, l'actuel patron de Dacia, comme étant le plus légitime. "C'est quelqu'un de brillant, de smart et il serait sans doute le meilleur casting en interne", nous précise un professionnel.
Les rumeurs de candidatures en externe pointent du doigt également Wayne Griffiths, ex-PDG de Cupra dont la démission a été annoncée fin mars 2025 et dont le futur poste n'a pas encore été dévoilé.
Maxime Picat, qui n'a pas été choisi comme successeur de Carlos Tavares à la direction générale du groupe Stellantis, pourrait également faire figure de bon candidat.
En attendant, l'action Renault perdait 6,50 % à l'ouverture de la Bourse ce 16 juin 2025, et l'action Kering en gagnait 9,80 % : l'Italian touch dirait sans doute Luca de Meo !
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