Le moteur thermique n’est (peut-être) pas mort
La messe est dite ! La fin du moteur thermique est annoncée pour 2035 par la Commission européenne. La prise de pouvoir de l’électrique est programmée avec le plan Fit for 55. Mais le Parlement de Strasbourg et les députés sont moins affirmatifs qu’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission. Début février 2022, ils avaient déjà déposé 658 amendements. Une intense période de lobbying a débuté avant le vote final en commission de l’Environnement, compétente sur le fond, qui est annoncé pour le 11 mai 2022. Puis, entretemps, il y a eu la déclaration de Volker Wissing, ministre allemand des Transports : "Nous voulons que les moteurs à combustion restent une option, s’ils fonctionnent exclusivement avec des carburants synthétiques."
Mais visiblement, sa position ne semble pas être partagée par d’autres membres du gouvernement allemand. Steffi Lemke, ministre de l’Environnement et Sven Giegold, secrétaire d’État au ministère de l’Économie, tous deux du parti Alliance 90‑Les Verts, viennent de marquer leur profond désaccord avec leur collègue, membre du parti libéral‑démocrate. Cependant, le débat est ouvert et le doute instillé. La preuve, Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, recommande aux constructeurs de continuer à produire des moteurs thermiques et de les exporter hors d'Europe. Le CO2 émis loin de chez nous ne semble donc pas être un problème. On marche sur la tête.
Réduction de 90 % des émissions de CO2
Pour l’heure, rien n’est donc tranché, et les événements récents en Ukraine peuvent changer la donne. Contrairement aux carburants fossiles, le moteur à combustion n’est peut‑être pas totalement condamné. Il va falloir, pour que bielles et vilebrequin gardent le rythme, développer des carburants renouvelables à grande échelle. Ils peuvent être obtenus à partir de différentes bases qui ont toutes en commun de ne plus faire appel au pétrole et d’utiliser de l’énergie renouvelable pour leur fabrication. De telles productions ne sont pas de la science‑fiction, il existe déjà du concret.
L’éthanol, utilisé en France dans l’E85, en est la preuve, mais il est possible d’aller encore plus loin avec la deuxième génération de biocarburants et les carburants de synthèse. Un exemple avec Porsche qui a inauguré, en septembre 2021, un site de production d’e‑fuel, un carburant de synthèse, au Chili en partenariat avec Siemens. La marque va l’utiliser, pour commencer, en compétition durant la Porsche Supercup. Le site sud‑américain sera capable de produire 130 000 litres en 2022, avant d’atteindre 55 millions de litres en 2024 et environ 550 millions en 2026. L’usine de production utilise donc le vent chilien pour générer de l’électricité afin de produire de l’hydrogène par électrolyse qui est immédiatement recombiné avec du CO2 prélevé dans l’atmosphère pour obtenir du méthanol, qui deviendra ensuite un carburant.
Cela n’empêche pas Porsche de poursuivre sa mue électrique, mais la marque ne veut pas pour autant abandonner ses anciennes et une partie de sa production future. En effet, Oliver Blume, président de Porsche a rappelé "qu’en 2030, les modèles entièrement électriques devraient représenter plus de 80 % des ventes de véhicules neufs." Il restera donc environ 20 % de modèles propulsés par un moteur à combustion à cette époque. "Notre icône, la 911, est particulièrement adaptée à l’utilisation des e‑fuels, a expliqué Michael Steiner, responsable de la R & D de Porsche, mais il en va de même pour nos véhicules historiques tant appréciés, car environ 70 % de toutes les Porsche jamais construites sont encore en circulation aujourd’hui. Nos essais avec des carburants renouvelables se déroulent avec beaucoup de succès. Les e‑fuels permettront de réduire jusqu’à 90 % les émissions de CO2 d’origine fossile des moteurs à combustion."
Le cycle de vie plutôt que l’échappement
Audi travaille également sur des carburants alternatifs pour que ses mécaniques émettent moins de CO2. Le constructeur d’Ingolstadt, et par ricochet le groupe Volkswagen, vient d’indiquer que son V6 TDI, produit depuis février 2022 (les 4 cylindres TDI depuis juin 2021), pourrait carburer avec un gazole renouvelable appelé HVO. Quèsaco le HVO ? Il s’agit d’huile végétale hydrotraitée qui permet de réduire les émissions de CO2 de 70 à 95 % par rapport au diesel d’origine fossile. Mais ce carburant n’est pas vraiment très répandu, car il est seulement disponible dans 600 stations‑service en Europe, dont la plupart sont situées en Scandinavie.
Ce HVO est un carburant dit BTL (biomass to liquid) qui peut être obtenu durablement à condition que l’on utilise de l’électricité renouvelable, de l’eau et le CO2 de l’atmosphère. Ces carburants sont considérés comme décarbonés car, lors de la combustion, ils ne rejettent finalement que le CO2 qui a été absorbé au moment de leur fabrication. Pour cette raison, il ne faut pas seulement s’arrêter aux émissions à la sortie du pot d’échappement mais considérer le cycle de vie.
Rappelons ici, sans même parler des matériaux des batteries, qu’un véhicule électrique rechargé dans un pays dont l’électricité est produite à partir de charbon (plus de 50 % en Allemagne en janvier et février 2022) n’a plus du tout le même bilan carbone. Fin de la parenthèse. Pour en revenir aux carburants renouvelables, d’autres constructeurs et équipementiers, comme Mazda et Bosch notamment, ont créé l’eFuel Alliance pour accélérer sur le sujet et montrer au régulateur le bénéfice de tels carburants.
La compétition comme laboratoire
Le français TotalEnergies a également mis un pied dans le développement de carburants renouvelables. Le groupe va fournir au championnat du monde d’endurance (WEC) un carburant 100 % renouvelable fabriqué avec le recyclage de la biomasse résiduelle de la viniculture qui donne du bioéthanol. Baptisé Excellium Racing 100, ce carburant va "permettre une réduction d’au moins 65 % des émissions de CO2 sur son cycle de vie", annonce TotalEnergies. "Le championnat du monde d’endurance de la FIA constitue ainsi pour notre compagnie un véritable laboratoire, une vitrine des solutions innovantes que nous serons susceptibles de proposer à terme au plus grand nombre pour une mobilité décarbonée et durable" confie Pierre‑Gautier Caloni, directeur de la compétition de TotalEnergies.
Dans la même veine que le français, la société irlandaise P1 Racing Fuels fournit, à partir de cette année et pour trois ans, un carburant renouvelable au championnat du monde des rallyes (WRC). "Fournir un carburant innovant, durable et rentable à grande échelle n’est pas seulement un défi passionnant pour le monde du sport automobile, mais aussi pour le monde de l’automobile, a indiqué Martin Popilka, directeur général de P1 Racing Fuels. Un signe prometteur que le futur des voitures de production entièrement neutres en carbone est désormais un peu plus proche de la réalité."
Seulement 12 % de VE dans le parc mondial en 2030
Les véhicules électriques font et feront partie de l’histoire, leur nombre étant déjà passé de 1,2 à 10 millions entre 2015 et 2021 dans le monde, mais renouveler le parc roulant existant ira bien au‑delà des échéances calendaires fixées dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Pour avoir une idée de ce colossal défi, en 2021, environ 1,4 milliard de véhicules étaient en circulation sur la planète, dont 99 % équipés d’un moteur à combustion. A l’horizon 2030, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la part des VE sera seulement de 12 %. Ce taux sera sûrement plus élevé en Europe, où le parc roulant atteint 277,8 millions d’unités (242,7 millions pour les seuls VP), mais il est irréaliste de penser que le monde des transports (automobile, poids lourd, maritime, aviation, etc.) puisse se passer des moteurs à combustion dans un laps de temps aussi court.
D’ailleurs, l’aviation mise sur les carburants de synthèse pour réduire ses émissions de CO2, car l’avion électrique à hydrogène est difficilement envisageable à moyen terme. Il ne faut donc pas être démagogue, voire sectaire, et regarder les technologies disponibles pour lutter le plus efficacement possible contre les émissions de CO2. Et accessoirement, sans remettre tout le monde sur les ronds‑points.
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