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Industrie

Logistique automobile : le grand désordre

Publié le 20 janvier 2023

Par Catherine Leroy
10 min de lecture
C’est la double peine pour l’automobile. Après la pénurie de semi-conducteurs qui contraint toujours la production, les constructeurs subissent de plein fouet la crise de la logistique qui empêche la livraison des modèles produits.
Après la pénurie de semi-conducteurs qui contraint toujours la production, les constructeurs subissent de plein fouet la crise de la logistique qui empêche la livraison des modèles produits. (@Roman Babakin - Adobe.stock.com)

En pleine période de pénurie de semi‑conducteurs, l’affaire ne pouvait pas tomber plus mal. Alors que la production peine à retrouver un rythme normal, c'est la logistique qui ne suit plus. Les voitures finalement fabriquées ne peuvent pas être livrées ! Un paroxysme atteint fin novembre 2022, par Stellantis, qui a été obligé de stocker des 3008 et des 5008, produits dans l’usine de Sochaux (25), sur l’aérodrome désaffecté de Lure‑Malbouhans en Haute‑Saône.

 

Sochaux, la plaque tournante du groupe automobile, voit transiter également les véhicules produits en Slovaquie, mais aussi dans l’usine de Rennes (35) ou encore en Espagne. Après le chômage partiel instauré faute de semi‑conducteurs, l’engorgement des parcs de stockage de véhicules neufs assemblés pourrait conduire aux mêmes mesures. Un comble !

 

Congestion des ports, manque de wagons pour assurer le transport par le rail, pénurie de camions porte‑huit et de chauffeurs, la crise de la logistique est perçue comme une double peine par les constructeurs automobiles. "Ce que le secteur vit aujourd’hui n’est rien d’autre que la conséquence d’un sous‑investissement majeur, mais aussi d’un changement dans la relation entre les constructeurs et les logisticiens", observe Xavier Bourgeois, consultant en logistique automobile. Ce spécialiste du secteur, qui a notamment travaillé chez STVA, possède la vision et l’historique de cette relation.

 

Des relations de plus en plus distantes

 

Jusqu’en 2015, constructeurs et logisticiens affichaient une certaine harmonie. Croissance des volumes, activité qui se diversifie et surtout signature de contrats longs d’environ cinq ans ont permis d’engager de nouveaux types de relations, comprenant des contrats ferroviaires. Mais l’idylle n’a été que de courte durée. La pression sur les coûts se montrait de plus en plus pressante, venant rebattre les cartes de l’ensemble de la chaîne logistique. Très vite, un schéma de distribution directe s’est mis en place avec des stocks positionnés à près de 500 km des concessionnaires, permettant d’enlever des segments de transport.

 

 

L’objet : supprimer des coûts et faire appel à des transporteurs étrangers pour augmenter la concurrence. "Ainsi, nous avons pu noter des contrats plus engageants, avec des promesses de livraison en cinq jours au lieu de dix, la suppression des parcs tampons… au fur et à mesure, les relations se sont tendues. On a raccourci les contrats de cinq ans, pour passer à des durées plus fractionnées avec des avec des clauses de productivité par année", se souvient Xavier Bourgeois. Le tout aboutissant à une zone incompressible en 2015, époque où justement, les logisticiens sentant le vent tourner ont commencé à se diversifier sur le segment du véhicule d’occasion.

 

L’ensemble de ces phénomènes les a amenés à arrêter d’investir avec des conséquences immédiates en termes de capacité. En 2008, en Europe, près de 20 600 porte‑voitures circulaient. Dix ans plus tard, il n'en restait plus que 17 500, soit 15 % de capacité de flotte et 20 % de camions en moins. Et la flotte restante vieillit en passant de 3,8 à 6,8 ans. Côté ferroviaire, même punition. Sur les 11 000 wagons en service en 2008, il n’en reste plus que 8 700 en 2017. Et la tendance n'a bien sûr pas vu d'amélioration avec le Covid. Deux années de confinement ont mis à mal beaucoup d’entreprises du secteur : fusion entre CAT et STVA, rachat des sociétés Walon et Novatrans par GCA, les exemples foisonnent.

 

Affolement des prix de transport

 

En 2020 et 2021, les constructeurs échaudés par les mois d’arrêt de la production ne signent pas d’accords. L’offre de transport s’est donc très vite avérée insuffisante pour suivre le redémarrage de la production en 2022, d’autant que le rail, lui aussi perturbé, n’offre pas de solution de repli. Conséquence : les délais s’allongent et les prix de transport s’affolent.

Une journée de transport en camion qui se concluait à 950 euros avant la crise a bondi à 2 300 euros aujourd’hui et encore, avec négociation ! "Et comme désormais les transporteurs sont appelés en direct avec les petits faiseurs, y compris des groupes de distribution, ils ne souhaitent plus travailler avec les plus gros acteurs", poursuit cet expert. Côté matériel, la même inflation se ressent. Un porte‑huit se négocie aujourd’hui 130 000 euros contre 95 000 euros, il y a quatre ans.

 

Pénurie de chauffeurs

 

Un malheur n’arrivant jamais seul, la guerre en Ukraine fait fuir des milliers de chauffeurs des pays de l’Est. "On estime que près de 100 000 conducteurs de poids lourd en Europe ont quitté leur travail et sont partis du jour au lendemain", fait observer Xavier Bourgeois. Si l’invasion de l’Ukraine se retrouve généralement citée comme une cause principale de ce grand "délaissement", la réglementation européenne sur le travail n’y est pas étrangère non plus.

 

Le cabotage, qui consiste à faire transporter des marchandises sur le territoire national par une entreprise étrangère, est plus sévèrement encadré. Depuis février 2022, les transporteurs internationaux doivent obligatoirement suivre de nouvelles règles. Les possibilités de cabotage sont limitées à une opération tous les quatre jours en vertu du principe des "jours de carence" sur les routes européennes. Et toute action de cabotage (jusqu’à trois transports sur sept jours) doit être suivie de quatre jours de carence.

 

Environ 100 000 chauffeurs ont quitté le métier après la période du Covid.

Environ 100 000 chauffeurs ont quitté le métier après la période du Covid.

 

 

Un principe qui oblige les transporteurs étrangers à n’effectuer qu’une seule opération de chargement et de livraison, avant d’entamer leur trajet de retour en transport international. Par ailleurs, les véhicules devront retourner au moins une fois toutes les huit semaines dans le pays d’origine. Une mesure jugée par les transporteurs basés en Europe centrale comme étant extrêmement contraignante. Les combats qui sévissent sur le sol ukrainien sont donc loin d’être les seuls responsables de cette pénurie de chauffeurs.

 

Il faut également préciser que dans la panoplie des métiers de conducteur, celui dédié au transport des véhicules doit sans doute être le plus mal loti. Si le salaire de 3 300 euros nets peut sembler intéressant, seuls 300 euros nets le distinguent de celui d’un autre conducteur de poids lourd, alors qu’il est responsable de son chargement et notamment des rayures sur les voitures et qu’il doit charger et décharger lui‑même, y compris lors des intempéries. Résumé ainsi, le métier ne crée pas d’engouement.

 

Accident industriel

 

C’est dans ce contexte déjà houleux qu’est arrivé le dernier phénomène que certains n’hésitent pas à qualifier d’accident industriel. En plein marasme logistique, le groupe automobile Stellantis s’est engagé dans une refonte profonde de sa logistique aval dont le signal de départ a été donné en plein été 2022. "Une grosse erreur qui pourrait devenir un cas d’école en master de logistique industrielle ", souligne cet expert de la logistique. Stellantis décide de réinternaliser le pilotage logistique et de multiplier les acteurs pour l’expédition avec le projet Thor. L’objectif étant d’augmenter le nombre de partenaires et de procéder à des enlèvements de véhicules produits directement par les concessionnaires.

 

Mais cela couplé à une refonte du système informatique, ces derniers repartent encore sans les véhicules souhaités et prêts à être livrés, tout simplement parce que le système informatique ne les retrouve pas ! Stellantis n’est pas le seul d’ailleurs à mettre à contribution les distributeurs pour le transport des véhicules. Renault, qui de son côté n’échappe pas à la crise de la logistique, a demandé à son réseau d’aller sourcer des transporteurs locaux et de mettre en place des schémas logistiques avec eux.

Résultat : entre 15 et 20 % des enlèvements sur les parcs de véhicules neufs sont directement entre les mains du réseau, même si le constructeur participe aux coûts. Pour autant, entre 400 000 et 500 000 voitures neuves et d’occasion sont encore à ce jour en attente de livraison. Le désordre ambiant pourrait attirer des logisticiens proches de la frontière notamment allemande. Mais en attendant, "nous sommes plantés pour trois à quatre ans encore", se lamente ce professionnel.

 

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Gefco : de la filiation à l’indépendance

 

En 2012, PSA, dont la survie est en jeu, décide de céder 75 % du transporteur, jusqu’alors filiale à 100 % du constructeur. À cette époque, Philippe Varin, patron du constructeur, abandonne 75 % du capital de Gefco à RZD, le transporteur ferroviaire russe dont le dirigeant n’est autre que le ministre russe des Transports, pour 800 millions d’euros.

 

En 2019, deuxième salve : Carlos Tavares, en cours de négociation avec FCA pour la fusion qui donnera Stellantis, fait le choix de se retirer un peu plus du logisticien en ne gardant que 10 % du capital de Gefco, mais s’engage à rester présent encore durant deux ans, avant de céder complètement sa participation. Ce qui sera effectif en avril dernier. "La vente de cet actif, non stratégique, marque l’étape finale de notre plan de sortie, initié il y a dix ans, du secteur du transport et de la logistique", a déclaré Carlos Tavares, PDG de Stellantis.

 

Gefco va rester fournisseur logistique de Stellantis, avec "un rôle significatif", confirme le dirigeant, mais ce ne sera pas le seul. La CMA‑CGM (Compagnie maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime), armateur français basé à Marseille, rachète les parts de Stellantis, mais aussi celles qui appartenaient à RZD, permettant ainsi à Gefco "de pouvoir continuer à exercer ses activités dans un cadre réglementaire sécurisé".

 

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a rendu impossible toute poursuite d’activité avec le gouvernement russe. La société Gefco, pourtant valorisée à près de 1,5 milliard d’euros, aurait été cédée pour 300 millions à la CMA‑CGM.

 

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Hiflow : la logistique du sur‑mesure

 

Le spécialiste de la livraison à domicile connaît une croissance sans précédent. Il est vrai que le désordre logistique ambiant ne peut qu’accélérer l’activité de cette société dont l’objet est de livrer à domicile des véhicules commandés en concession ou sur Internet. "Nous ne nous opposons pas aux logisticiens car nous proposons un service à l’unité avec des prestations", explique Claire Cano‑Houllier, cofondatrice d’Hiflow.

Près de 700 véhicules par jour sont livrés par des "drivers", des conducteurs qui conduisent la voiture chez le client et peuvent lui proposer une première mise en main. "La seule difficulté est que le client accepte que son véhicule ait quelques kilomètres au compteur3, poursuit la dirigeante. 250 drivers par mois sont intégrés à la plateforme et viennent rejoindre les 7 000 personnes déjà formées à la livraison.

"Nous avons connu une croissance de 35 % en 2022, que ce soit en matière de chiffre d’affaires ou même de nombre de livraisons, explique Claire Cano‑Houllier. Nous avons bénéficié d’un report de la logistique classique par défaut de capacité mais aussi à cause du contexte particulier de pénurie de véhicules. Plus les véhicules manquent à l’appel, plus le délai d’acheminement doit être court pour une remise rapide dans le cycle de leasing."

Le métier, qui demande un nouveau modèle de logistique, nécessite une force de frappe informatique et de service, qui aujourd’hui ne fait pas forcément partie des qualités principales du secteur, mais que maîtrise Hiflow avec un tiers de ses effectifs dédié au développement informatique.

 

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