Jérôme Daumont, président du GCR : "Un bon cycle de produits permet de soutenir le marché"
Le Journal de l’Automobile : Le marché automobile français poursuit sa descente avec une baisse de plus de 8 % sur le premier semestre 2025. Quelle lecture faites‑vous de cette morosité et est‑ce le cas dans les autres pays européens ?
Jérôme Daumont : Certes, le marché français n’est pas au mieux de sa forme, mais d’autres marchés européens se portent très bien. On observe par exemple une augmentation de 13 % en Espagne. L’Autriche progresse de 6 %, la Pologne de 3 % et le Portugal affiche également une hausse de 6 %. Ce n’est donc pas la déprime générale. En parallèle, l'Allemagne connaît une baisse de 3 % et aux Pays‑Bas, on observe une chute de 20 %, avec un effondrement de 85 % des immatriculations de véhicules utilitaires. Or, on s’aperçoit que beaucoup de ces variations sont liées à des changements réglementaires, notamment aux Pays‑Bas où la forte augmentation des taxes sur les utilitaires thermiques a entraîné un effet d’anticipation avant l’introduction de la nouvelle taxe. Une fois la nouvelle fiscalité appliquée, on assiste à une chute des immatriculations, sans pour autant voir les ventes de véhicules utilitaires électriques décoller. En France, cet effet se fait aussi sentir, en lien avec la hausse des taxes automobiles, comme les nouvelles règles sur les avantages en nature, le durcissement du malus et l’incitation au verdissement des flottes. Toutes ces variations créent un sentiment d’attentisme, surtout du côté des entreprises, qui préfèrent ne pas renouveler leurs véhicules de fonction.
J.A. : Est‑ce le cas également pour la baisse des immatriculations sur le canal des particuliers ?
J.D. : Concernant la clientèle des particuliers, l’effet prix des voitures neuves est particulièrement en cause. Mais il y a aussi des disparités importantes entre les marques. Certaines connaissent des baisses massives, tandis que d’autres parviennent à se maintenir, voire à progresser. Cela rend le marché très inégal. En période difficile, le cycle de produits amplifie cette situation. Par exemple, Renault, avec un bon plan produits, attire de nouveaux clients et prend des parts de marché à d’autres marques dont le cycle d’offres est moins favorable, voire à celles qui ont abandonné certains segments. L’incertitude des clients sur les motorisations pèse aussi lourdement sur le marché. Les messages envoyés au public sont assez confus et ne contribuent pas à clarifier la situation dans un contexte politique flou. Or, il existe toujours une corrélation entre le marché automobile et le moral des ménages.
Concernant le bonus écologique, la situation est compliquée, avec un dispositif qui a tellement changé, notamment avec l’introduction du financement par les CEE depuis le 1er juillet, qu’il a perdu toute lisibilité. Sans compter que cette complexité rend difficile la communication des constructeurs autour du bonus. Rendez‑vous compte : il y a eu 23 changements en 5 ans !
J.A. : Que faudrait‑il pour que les clients reprennent le chemin des concessions ?
J.D. : Il est essentiel de retrouver des niveaux de prix raisonnables, sans tomber dans des pratiques déraisonnables ou dans une période de braderie excessive. Il est aussi crucial d’avoir une vision claire sur la trajectoire du mix énergétique, quelle qu’elle soit, pour ramener un peu de sérénité dans l’activité.
Rendez‑vous compte : il y a eu 23 changements du dispositif du bonus en 5 ans !
J.A. : Le débat sur une nouvelle réglementation permettant l’homologation de petites voitures électriques européennes continue d’alimenter les discussions. Est‑ce une solution pour relancer la demande ?
J.D. : C’est un sujet intéressant. Mais il représente aussi un arbitrage sociétal entre sécurité et prix. Aujourd’hui, selon la réglementation européenne, on impose le même niveau d’Adas (systèmes d’assistance à la conduite) dans une grande berline allemande que dans une Twingo. D’un point de vue économique, il est difficile de proposer de petites voitures avec ces équipements à un prix qui reste compétitif. Mais, en réfléchissant, on se rend compte que sur un vélo, un scooter ou même un véhicule sans permis (VSP), il n’y a ni airbags, ni ABS, ni système de lecture des panneaux, ni freinage d’urgence… La question est donc : ne faudrait‑il pas créer un marché intermédiaire, avec moins d’obligations réglementaires, sachant que ces véhicules seraient plus dangereux en cas d’accident ? Jusqu’où sommes‑nous prêts à accepter des concessions sur la sécurité pour permettre l’émergence de ces petites voitures ? Peut‑être cela pourrait‑il être possible avec un bridage de la vitesse.
J.A. : La démission surprise de Luca de Meo à la direction générale du groupe Renault a choqué beaucoup de salariés du groupe. Quel est le ressenti du réseau ?
J.D. : Globalement, c’est une mauvaise nouvelle, une sorte de deuil. Cependant, il y a un soulagement à l’idée que Luca de Meo ne parte pas chez Stellantis, ce qui aurait constitué une double peine pour le réseau. Luca de Meo était très apprécié et il a toujours défendu une position favorable au réseau. Grâce à lui, nous avons évité la période de psychodrame autour du modèle d’agence. L’histoire lui a donné raison, puisque presque tous les autres ont abandonné cette stratégie. Mais la majorité des retournements sont derrière nous, bien que le travail chez Renault ne soit pas encore terminé. Il sera regretté, car son bilan est positif et incontestable.
J.A. : Selon une récente étude réalisée par le cabinet Deloitte, 82,7 % des personnes interrogées veulent interagir en physique avec des vendeurs et 82 % négocier en personne pour obtenir la meilleure offre. Enfin, 72 % veulent établir une relation avec le concessionnaire pour les services futurs. Est‑ce que cela vient tordre le cou aux fantasmes d’une digitalisation totale ?
J.D. : Les constructeurs qui souhaitaient instaurer le modèle d’agent dans la distribution justifiaient en partie leur volonté par le fait que la négociation du prix stressait les clients. Mais dans notre modèle de distribution classique, rien n’oblige le consommateur à négocier en réalité ! Les ventes digitales automobiles se heurtent au même phénomène que dans le secteur des cuisinistes. Le client se renseigne sur tous les aspects de son futur achat. Il a vu dix vidéos sur YouTube, lu plusieurs articles, fait sa configuration sur Internet… Mais, au final, il a toujours besoin des conseils des vendeurs, de se réassurer dans les choix qu’il a faits seul chez lui. Nous, distributeurs, avons cette valeur ajoutée. Le digital a amené la transparence du prix. Mais ce qui fait notre force dans le business model, y compris pour les constructeurs, c’est notre capacité à vendre des assurances, des garanties, des financements… que le client ne choisit pas quand il fait son achat sur le Web.
D'après Jérôme Daumont, une marque avec un bon plan produits attire de nouveaux clients et prend des parts de marché à d’autres dont le cycle d’offres est moins favorable. ©Renault
J.A. : Le Journal de l’Automobile a réalisé auprès des groupes de distribution une enquête sur le moral des investisseurs de la distribution automobile. Ces derniers semblent assez pessimistes sur l’avenir du secteur. Partagez‑vous ce constat ?
J.D. : Les résultats de ce baromètre reflètent bien les incertitudes de la profession liées à l’évolution du mix énergétique. En outre, les banques émettent des lignes directrices sectorielles qui déclenchent des voyants verts, orange ou rouges en fonction des secteurs et des régions. Cette année, dans la distribution automobile, elles observent une baisse de rentabilité pour presque tout le monde. Les stocks ont augmenté, la rotation des véhicules d’occasion (VO) s’est dégradée et les besoins en fonds de roulement (BFR) sont tendus. En conséquence, presque tous les voyants sont désormais orange, voire rouges. Logiquement, les banques devraient durcir leurs conditions financières et réduire leur exposition à la distribution automobile. Cela pourrait entraîner des défaillances de groupes. Et il est important de noter que nous n’avons pas encore pleinement ressenti l’impact de l’année précédente et de la dégradation financière. Un cercle vicieux où les banques durcissent encore les conditions pourrait gripper tout le système.
Grâce à Luca de Meo, nous avons évité la période de psychodrame autour du modèle d’agence
J.A. : Cette dégradation des résultats s’explique en partie par des engagements de reprise trop optimistes par rapport aux prix de marché en occasion. À ce titre, comment allez‑vous vous positionner face au futur leasing social qui devrait débuter en septembre prochain ?
J.D. : Dans notre métier de distributeur, les buy backs sont plutôt intéressants. Avec la généralisation de la LOA (location avec option d’achat), s’engager sur des reprises fait désormais partie intégrante de notre activité. Cela nous permet de sécuriser les retours de véhicules d’occasion, à condition que la valeur résiduelle en fin de contrat soit cohérente et juste. Ce système est vertueux, car il permet de fidéliser le client, de le recontacter avant la fin de son leasing et de lui proposer un nouveau véhicule. Le problème survient lorsque, pour diverses raisons, le constructeur impose des valeurs résiduelles déconnectées de la réalité du marché. Quand le montant du loyer fixe la valeur résiduelle et non l’inverse, on se retrouve dans une situation problématique. Un loyer de 100 euros par mois ne peut pas correspondre à la valeur réelle d’un véhicule. Cela n’est pas sain. L’objectif initial de l’aide est perturbé et cela influence les volumes de vente. De plus, pendant que les vendeurs passent du temps sur ces dossiers chronophages, ils ne peuvent pas se concentrer sur les véritables clients.
J.A. : Les constructeurs souhaitent mettre en place le full life cycle management, c’est‑à‑dire contrôler les revenus du véhicule de sa sortie d’usine jusqu’au recyclage. Quel impact cela pourrait‑il avoir sur l’équilibre financier des distributeurs ?
J.D. : Aujourd’hui, le marché se base sur les produits locatifs. La compétitivité d’un constructeur repose principalement sur le loyer. Le loyer est déterminé par la différence entre le prix de vente client et le prix catalogue, moins les remises et la valeur résiduelle (VR), auxquelles s’ajoutent les frais financiers. En résumé, plus la valeur résiduelle est élevée, plus la voiture devient compétitive et moins le constructeur a besoin de mettre des moyens commerciaux sur le neuf, ce qui améliore sa marge. Dans ce cadre, un cabinet de conseil a proposé aux constructeurs de mettre en place le "full life cycle management". L’idée est de dire que certaines voitures d’occasion ne sont pas vendables car trop chères par rapport à des modèles similaires en neuf. L’idée serait alors de les relouer. Mais cela crée un problème : pour que le cycle fonctionne, il faut que le loyer du VO soit inférieur à celui du VN équivalent. Aujourd’hui, les loyers des VO sont souvent supérieurs à ceux des VN, ce qui complique la mise en œuvre de ce modèle.
J.A. : L’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus présente dans les débats sur la performance commerciale. Où en êtes‑vous de son adoption dans vos process ? Quelles sont les avancées dans le réseau Renault ?
J.D. : Je pense que l’IA aura un impact considérable, mais il est difficile de faire des prévisions précises. À la marge, on commence à voir des applications d’IA dans les centres d’appels ou les hotlines pour l’aide au diagnostic et d’autres fonctions similaires. Ce sont de petites briques d’IA qui s’ajoutent à des processus existants.
L’acceptabilité sociale de discuter avec des IA est encore un point à définir. Cependant, à mon avis, il y a plus à gagner avec des systèmes permettant aux clients de réserver facilement leur entretien en ligne, plutôt que de les obliger à appeler. Ce type de développements va se multiplier. Ces petits gains de productivité se feront au niveau des collaborateurs. Pour les mécaniciens, une aide au diagnostic basée sur l’IA pourrait facilement être intégrée à leur processus.
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