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Distribution

Incendies, vols, dégradations... l'impact des émeutes sur les concessions

Publié le 3 juillet 2023

Par Jean-Baptiste Kapela
8 min de lecture
Les distributeurs français n'ont pas été épargnés par les dégâts en marge des émeutes. Si une accalmie semble se dessiner, le gouvernement et les assureurs sont encore dans le flou concernant le bilan réel des dégradations, voire des destructions.
concession Renault d'Osny groupe Rousseau
La concession Renault d’Osny du groupe Rousseau a été entièrement incendiée. ©David Ribeiro/Linkedin

Depuis le décès du jeune Nahel, l’Hexagone est frappé par des émeutes. Un mouvement social qui amène son lot de dégradations, incendies ou encore pillages de nombreux commerces. Dans ce contexte, les groupes de distribution n’ont pas été épargnés.

 

Par exemple, parmi celles-ci, le groupe Rousseau a connu un véritable cauchemar. Au beau milieu de la nuit de jeudi 29 à vendredi 30 juin 2023, Gilles Rousseau, directeur général du groupe Renault-Dacia du Val-d’Oise, est prévenu que la concession Renault d’Osny (95) est en feu. Si pendant les émeutes de 2005 seulement deux véhicules avaient brûlés, cette fois-ci la concession entière est détruite par les flammes. Au total, 70 véhicules neufs ou en réparation ont été brûlés dans le site le plus important du groupe.

 

Au-delà des dégâts matériels, les flammes laissent derrière elles 120 salariés sans activités. Gwennaël Bauer, conseiller commercial BtoB Peugeot au sein du groupe Vauban, a tenu à apporter son soutien. "Que nous travaillions pour une marque ou une autre, nous sommes tous confrères et collègues. Dans ces circonstances, nous devons rester soudés. Il s’agit de notre outil de travail qui nous permet d’avancer". En effet, Vauban a également été touché par les émeutiers.

 

Des incendies et des vols

 

Du côté du sud de la France, à Marseille (13), le groupe PLD et sa concession Volkswagen ont subi d’autres types de dégâts. Dans la nuit de samedi, à l’aide d’une voiture bélier, les émeutiers ont forcé le portail du parking avant de fracasser la vitre du showroom avec une grosse pierre. Les caméras de surveillance verront 20 véhicules de la marque allemande sortir tour à tour de la concession.

 

Cette même nuit, vers 3h du matin à Brest (29), dans le quartier de Pontanézen, les flammes ont encore fait des ravages. Cette fois-ci, dans la concession Renault du groupe Bodemer, où dix véhicules ont été brûlés. Ironie du sort, il s'agit d'une ancienne succursale de la marque au losange que le concessionnaire venait à peine d'acquérir.

 

Les conséquences sont elles aussi lourdes dans la concession Peugeot Autosphere de Compiègne (60). Le bilan fait état d'une trentaine de véhicules brûlés sur le parking dans la nuit de jeudi à vendredi. Dans son malheur, le groupe Emil Frey France peut au moins se réjouir de constater que le bâtiment n’a pas été touché, préservant les emplois de 50 personnes.

Mobilians au soutien des professionnels de l'automobile

 

Des dégradations qui ne sont pas sans lendemain et qui appellent à une réponse de l’État. Raison pour laquelle Bruno Le Maire et Olivia Grégoire, respectivement ministre de l’Économie et ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, se sont entretenus le samedi 1er juillet 2023. Avec divers représentants des secteurs bancaire, du commerce, de l’hôtellerie et de la restauration, ils ont réfléchi à des mesures pour accompagner les différents sites touchés.

 

En parallèle, Xavier Horent, délégué général de Mobilians, a tenu à alerter le gouvernement, sur "des situations spécifiques au secteur". Il a pour cela adressé, le lundi 3 juillet 2023, une lettre à Bruno Le Maire, Olivia Grégoire et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur.  "Nous assurons les relais nécessaires auprès des préfectures", ajoute le délégué général de Mobilians.

 

À noter que les concessionnaires n’ont bien évidemment pas été les seuls à être impactés par les émeutes. Dans son bilan, Xavier Horent, précise que des agents, des loueurs et des recycleurs ont eux aussi été touchés par les pillages et les dégradations et mentionne des "destructions totales".

 

"Le Président, nos élus, nos équipes, et moi-même faisons part à tous de notre profonde solidarité, et nous activerons les leviers à notre disposition pour accompagner les entreprises, leurs dirigeants et leurs équipes confrontés à des situations parfois particulièrement difficiles", souligne le délégué général de Mobilians dans sa lettre. Appelant au calme, Xavier Horent invite les professionnels "à éviter toute interposition, et à sécuriser les équipes et les stocks en matériels, conformément aux consignes des forces de l'ordre et des grands opérateurs de la filière, constructeurs, pétroliers, ou assureurs."

 

Sur 800 entreprises intérrogées, 7,5 % ont subit des dégats

 

Mobilians a d’ailleurs réalisé une enquête sur les cinq jours d’émeutes. Près de 800 entreprises y ont répondu. 7,5 % d’entre elles déclarent avoir subi des dégâts. Pour 60 % d’entre elles ont eu des dégâts matériels, 52 % ont été victimes d’incendies, 34 % des vols et 18% ont vu leurs locaux pillés. À noter que 35% des professionnels interrogés ont reconnu "des troubles ou des incidences sur l’ouverture à la clientèle".

 

Le syndicat professionnel précise à l’issue de son sondage, que les sites qui ont été les plus ciblés sont les concessions autos et motos et les centres autos situés dans des zones commerciales et péri-urbaines. Des dégradations qui ont surtout eu lieu dans les territoires des grandes métropoles.

 

La réponse de l’État

 

Pour répondre aux inquiétudes des commerçants, le gouvernement mobilise ses conseillers de sortie de crise, dont l’objectif est d’accompagner les entreprises ayant subi des dégâts. Bercy a par ailleurs précisé qu’il sera possible de "bénéficier des report de charges sociales et fiscales pour les entreprises en difficulté".

 

D’autres part, face aux journalistes, samedi 1er juillet 2023, Bruno Le Maire a notamment demandé aux banques de faire preuve de "la plus grande compréhension en matière de traitement des échéances" pour les commerces touchés par les émeutes. "Nous avons demandé aux assureurs de faire preuve de la plus grande simplicité dans le traitement des procédures", a ajouté le ministre de l’Économie, invitant ces derniers à "abaisser au maximum les franchises".

 

Des dégâts inédits... à relativiser

 

Le cabinet Bessé Motors, la branche spécialisée automobile du courtier en assurance, recense une vingtaine d'événements pour une dizaine de ses clients partout en France. "Une vingtaine d'événement, cela reste epsilon par rapport aux événements recensés sur le territoire. En effet, je crois que la presse parlait de 700 évènements sur la France entière au total. Nous représentons à peu près 50 % de la distribution automobile professionnelle en France… donc avec une vingtaine de cas, il faut un peu relativiser", souligne Éric Marais, directeur adjoint chez Bessé Motors. Néanmoins, selon lui, ces dégâts sont inédits par rapport au mouvement des Gilets Jaune et des émeutes de 2005.

 

À la suite des émeutes, Éric Marais observe deux types de dégâts : les incendies, les dégradations et le vol de véhicules. "Ce sont des concessionnaires automobiles, donc ce sont souvent des véhicules neufs qui sont impliqués. Par conséquent, les dégâts se chiffrent en centaines de milliers d’euros. Cumulé avec la vingtaine d’évènement que nous recensons, c’est assez conséquent" présente le directeur adjoint de Bessé Motors.

 

Sans avoir le recul nécessaire sur la situation, Éric Marais estime approximativement entre 2 et 3 millions d’euros de charge pour les dégradations des concessions de son client. "C’est une charge très estimative, peut-être surévaluée, peut être sous-évaluée. Dans quelques jours, les chiffres seront sûrement plus précis", tempère-t-il. Et de poursuivre : "heureusement, dans notre portefeuille nous n’avons pas de concession entièrement brulée, auquel cas, les charges auraient pu s’élever entre 5 et 10 millions d’euros… pour une seule concession", ajoute-t-il.

 

Distinguer les typologies de sinistres

 

Bessé Motors observe trois typologies de préjudices dans le cas de l’incendie sur une concession. Le premier porte sur la destruction de ses marchandises et de son stock, ce qui relève de l’expertise automobile. Le deuxième sur la destruction de son bâtiment, qui va nécessiter le nettoyage des lieux et la demande d'un permis de reconstruire. Le troisième préjudice a trait à la perte d’exploitation, liée à la remise en état des bâtiments, au réapprovisionnement des véhicules. Ce qui prend entre 12 et 24 mois. "Aujourd’hui, les délais de reconstruction s’allongent pour des raisons notamment administratives", souligne Éric Marais.

 

Les véhicules subtilisés pourraient, en partie, être retrouvés. Et pour cause, quelques exemplaires avaient été équipés d'un système de récupération après-vol. Cela s'avère tout au moins vrai pour un des concessionnaires ciblés. "Il y a un peu d'activité", confirme Olivier David, le directeur commercial de Coyote, en allusion au travail de ses enquêteurs sur le terrain depuis l'effraction.

 

Pour ce dernier, l'actualité reflète cependant une tendance de fond. "Les distributeurs se trouvent de plus en plus exposés au risque de vol, notamment des véhicules électriques et PHEV pour leurs batteries, avance Oliver David. Au point que certains couvrent les pertes sur leurs fonds propres pour préserver leur taux de sinistralité". Un sujet dont Coyote discute justement, depuis quelques temps, avec les assureurs, à l'instar de Bessé Motors, pour mieux maîtriser la situation.

 

Notons que Bercy encourage les entreprises sinistrées à faire leur déclaration de sinistre ou de perte d’exploitation dans l’urgence et aspire à débloquer un délai supplémentaire pour le faire. Bruno Le Maire a d’ailleurs demandé à ce que les indemnisations arrivent le plus vite possible. Charge aux sociétés d’assurance de prendre une décision sur le sujet. Que ce soit le cabinet Bessé ou Cetri, ces derniers vont interroger les assureurs pour savoir les différentes décisions qui seront prises. Néanmoins, pour le moment, il n’y a pas suffisamment de recul pour avoir une visibilité sur les mesures qui seront adoptées.

 

(Avec Louis Choiset et Gredy Raffin)

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