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Distribution

Distribution poids lourd : l’humain avant tout

Publié le 29 mai 2023

Par Christophe Bourgeois
8 min de lecture
Depuis quelque temps, le monde de la distribution automobile s’intéresse de très près à celle du poids lourd. Hasard de calendrier ou tendance de fond ? Focus sur une activité très centrée sur les relations humaines entre distributeurs et clients.
La distribution poids lourd est avant tout centrée sur l'humain. (photo : Daf Trucks)

Mars 2023. Dans le milieu relativement tranquille de la distribution du poids lourdune nouvelle fait parler d’elle. Emil Frey France, le premier distributeur dans l’Hexagone, se lance dans cette activité en reprenant 35 % du capital du groupe Kertrucks, un important distributeur de véhicules industriels dans le Grand Ouest.

 

A lire aussi : Emil Frey France se lance dans le poids lourd avec Kertrucks

 

Cette prise de contrôle s’accompagnera d’une montée progressive au capital, dans le but d’une acquisition à 100 % d’ici 5 ans. "Même si le groupe Emil Frey connaît le camion, car il est importateur de Daimler Truck dans certains pays d’Europe de l’Est, un rachat de cette envergure en France est assez exceptionnel", commente Laurent Farman, directeur de la branche poids lourds au sein du groupe Bernard.

 

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Outre-Manche

 

Cette nouvelle n’a pas été la seule dans l’univers du camion. En février 2923, le groupe RCM, à travers la société Saga Trucks, s’est porté acquéreur d’une concession Daimler Truck dans le Kent, au Royaume‑Uni.

 

Ce rachat signe la première implantation d’un acteur français outre‑Manche. "Il s’agit d’une première pierre", annonce Ronan Chabot, président de RCM. "Notre arrivée au Royaume‑Uni constitue une étape importante pour développer notre présence sur les marchés matures en Europe", avait indiqué Philippe Canetti, directeur de Saga Mercedes‑Benz Trucks, lors du rachat de la concession anglaise. 

 

Des hommes de terrain 

 

Ces concentrations ne sont pas un épiphénomène. "Les regroupements ne sont pas aussi forts que dans l’automobile, mais ils suivent sensiblement le même chemin, précise Ronan Chabot. Avec l’évolution de la pyramide des âges, des opportunités vont se créer car, pour de nombreuses raisons, les successions ne peuvent pas toujours être familiales".

 

"En outre, poursuit-il, pour accompagner la concentration qui existe dans le monde des transports et de la logistique, il faut désormais des affaires qui soient structurées de façon à répondre aux besoins des clients." 

 

Il estime d’ailleurs que pour atteindre la taille critique aussi bien d’un point de vue des compétences que des services, il faut des groupes capables de réaliser entre 800 et 1 000 unités par an.

 

Des hommes et des femmes du métier

 

Comme la distribution de camping‑cars, de véhicules sans permis ou de deux‑roues, celle du poids lourd peut-elle être considérée comme une stratégie de diversification ? "Oui, répond Christian Digoin, président du groupe DMD et de F‑Trucks France, importateur de Ford Trucks sur le territoire. À condition de s’entourer d’hommes et de femmes dont c’est le métier." 

 

Marché du poids lourd en France: part de marché par marque (%)

2022 2021
Renault 28,6 29,8
Volvo 14,2 14,3
Scania 10,6 13,8
DAF 15,1 13,4
Mercedes-Benz 12,2 13,9
MAN 12,8 8,6
Iveco 5,8 6,2
Ford 0,5 N.C.

 

Car selon les acteurs du secteur, l’automobile et le camion ont relativement peu de points communs. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la plupart des distributeurs de poids lourds en France, les groupes RCM, Faurie, Hamecher, Bernard, la liste étant loin d’être exhaustive, sont des affaires familiales qui ont démarré par le camion, avant de se diversifier dans la voiture.

 

C’est le cas, par exemple, du groupe Bernard qui a commencé la distribution de camions à la fin des années 30 avec la marque Berliet ou de Ronan Chabot dont le père a débuté avec des camions Mercedes au tout début des années 1970, en Vendée. "C’est pour cela que la démarche d’Emil Frey France est notable, souligne Laurent Farman. Car souvent, les acteurs du VI restent dans le VI"

 

Organisation différente

 

D’autant plus que les synergies entre les secteurs semblent assez limitées. "On peut néanmoins faire des économies d’échelle sur les concessions de villes moyennes, sur les métiers transverses entre autres", note Ronan Chabot.

 

Mais les passerelles entre les deux mondes, notamment en termes de collaborateurs, sont très rares. « On ne passe pas vendeur ou technicien VL vers le PL et l’inverse est tout aussi vrai », souligne Laurent Farman.

 

 

Car si le facteur humain joue un rôle important dans la distribution de véhicules particuliers, il est prépondérant dans le camion. "Nous allons vers le client et non l’inverse", résume Ronan Chabot. "Les démarches commerciales sont sans comparaison, poursuit de son côté Laurent Farman. Nous nous rendons chez le client transporteur pour lui présenter les produits."

 

Le service avant tout

 

Rares sont d’ailleurs les chefs d’entreprise de transport qui se déplacent dans la concession. "Les contacts que nous avons sur le point de vente se font principalement avec les chauffeurs qui viennent lors des périodes d’entretien ou de réparation de leur outil de travail", précise Laurent Farman.

 

L’organisation même de la concession PL diffère également de celle du monde automobile. Elle tourne autour de l’après‑vente, avec des équipes très réactives et la plupart des distributeurs disposent d’un important stock intégré de pièces de rechange. « Nous avons entre 70 et 90 jours de stock », souligne Laurent Farman.

 

Une distribution plus libre

 

Quant à la distribution, l’interventionnisme des constructeurs est bien moindre. À titre d’exemple, ce ne sont pas les constructeurs qui poussent les stocks. "Chaque client et chaque camion est unique", rappelle Ronan Chabot.

 

Les contrats d’agent commissionnaire comme dans l’automobile ne sont pas à l’ordre du jour et la digitalisation est très faible. "On ne va pas vendre du camion sur Internet !", lâche un des intervenants. "La relation humaine est fondamentale, insiste Christian Digoin. Encore plus quand vous partez d’une feuille blanche comme c’est le cas avec l’importation de Ford Trucks."

 

Un équilibre différent

 

Ces spécificités modifient alors le business model par rapport à l’automobile, car la rentabilité est principalement portée par le service. "Elle est beaucoup plus équilibrée dans l’automobile que dans le camion, résume Laurent Farman. Le SAV couvre 120 % des charges fixes d’une concession, alors que dans l’automobile, nous sommes aux alentours de 60 %." 

 

 

Selon les affaires, les rentabilités sont généralement 1 point à 1,5 point supérieures à ce que l'on observe dans l'automobile. "Elles oscillent entre 2,5 et 3,5 %, mais nous sommes sur des chiffres d'affaires bien inférieurs de ce qui existe dans l'automobile", poursuit ce dernier. 

Des captives en retrait

 

En outre, selon nos interlocuteurs, le poids des marges arrière dans la rémunération est beaucoup moins important dans le pilotage de la rentabilité. Le réseau a, certes, des standards à respecter, mais de par la nature même de l’activité, où les clients se déplacent moins dans les points de vente, les showrooms sont, par exemple, réduits à leur plus simple expression. 

 

Même constat pour le financement. "Les captives existent, mais dans la plupart des cas, les transporteurs viennent avec leur propre solution", commente un connaisseur du marché. Se lancer dans le poids lourd peut, au final, être considéré comme une opération de croissance, mais elle nécessite de disposer d’hommes et de femmes du métier.

 

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Un marché à plus de 44 000 immatriculations

 

2022 aurait pu être un exercice de rattrapage pour le marché du véhicule industriel, en raison de carnets de commandes en hausse. Mais les difficultés traversées par l’industrie automobile ont perturbé les délais de livraison (après avoir atteint 359 jours en moyenne au cours de l’été, ils sont passés à 308 jours).

 

Malgré ce contexte compliqué, les immatriculations de véhicules de plus de 5 t se sont éta‑ blies à 44 341 unités (à novembre 2022, sur 12 mois glissants), selon l’Observatoire du véhicule industriel (OVI). Du côté de la seconde main, la demande est restée soutenue tout au long de l’année, servant un marché qui a enregistré

 

54 023 immatriculations sur les onze premiers mois de l’exercice (+ 1 %). Cette situation a favorisé une hausse des prix de vente VO, qui ont grimpé de 20,1 % en moyenne par rapport à 2021. À noter que les VO sont majoritairement vendus sur le territoire national (54,8 %) au détriment des transactions vers l’Europe (33,4 %).

 

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