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Constructeurs

Les défis d'Antonio Filosa pour relancer la machine Stellantis

Publié le 28 mai 2025

Par Jean-Baptiste Kapela
9 min de lecture
Nommé officiellement directeur général de Stellantis, Antonio Filosa devra faire face à une année noire, une restructuration en profondeur et un environnement géopolitique défavorable. Le successeur de Carlos Tavares aura pour mission de rassurer pour retrouver la confiance de ses équipes, des concessionnaires, des fournisseurs, des investisseurs et des clients. 
John Elkann Antonio Filosa Stellantis.
John Elkann et Antonio Filosa, respectivement président et directeur général de Stellantis. ©Stellantis

Dire que la nomination du nouveau directeur général de Stellantis était attendue serait un euphémisme. Six mois après la démission de Carlos Tavares en décembre 2024, le conseil d’administration du groupe italo-franco-américain, dirigé par John Elkann, a pris son temps pour lui trouver un successeur.

 

C’est finalement Antonio Filosa, directeur en charge de l’Amérique et de la qualité qui prend la direction du constructeur. Une nomination officialisée par Stellantis par le biais d’un communiqué publié le 28 mai 2025. Les pleins pouvoirs exécutifs du constructeur lui seront remis dès le 23 juin 2025. 

 

Le nouveau dirigeant du groupe aux quatorze marques a une expérience de 26 ans dans l’industrie automobile. Parmi les faits notables de son parcours professionnel, Antonio Filosa a endossé la casquette de directeur des opérations pour l’Amérique du Sud où il a permis à la marque Fiat de reprendre localement des parts de marché.

 

Il a aussi permis la création de l’usine de Pernambuco, centre de production majeur en Amérique du Sud. Celle-ci a permis d’implanter Jeep au Brésil comme première marque de SUV hors des États-Unis. C’est à partir de l’été 2024 qu’il est nommé directeur des opérations au pays de l’Oncle Sam. Alors que la crise des stocks faisait rage, il est parvenu à réduire les surplus dans les concessions américaines. 

 

Effacer les stigmates d’une année 2024 sombre

 

Un curriculum vitae bien rempli qui sera mis à rude épreuve lors de son arrivée à la tête du groupe. En effet, Stellantis a mis à mal la confiance de ses concessionnaires, de ses fournisseurs et des syndicats au cours de l’année 2024. Il faut dire que cette période a été compliquée pour le constructeur qui a enregistré des résultats catastrophiques.

 

Par rapport à 2023, le groupe a ainsi vu son bénéfice net dégringoler de 70 % à 5,5 milliards d’euros en 2024. Son chiffre d’affaires, quant à lui, a chuté de 17 % pour atteindre 156,7 milliards d’euros. Le résultat opérationnel du groupe s’est effondré de 64 % avec une marge opérationnelle tombant à 5,5 %, contre 12,8 % en 2023. Sans compter les ventes de Stellantis qui ont reculé de 12 % en 2024, avec 753 000 véhicules de moins.  

 

Par région, en Europe, le volume des ventes s'est érodé de 8 % et le chiffre d’affaires s’est affaissé de 11 % avec une marge qui a chuté de 9,8 % à 4,1 % en 2024. Dans la zone sino-indo-pacifique, le groupe a enregistré une marge négative de 60 millions d’euros et une baisse des livraisons de 30 %. Au Moyen-Orient et en Afrique, les livraisons ont chuté de 25 %.

 

Des résultats en berne qui se sont poursuivis au premier trimestre 2025 où le groupe a vu son chiffre d'affaires chuter de 14 % à 35 milliards d’euros par rapport à la même période en 2024, en raison d'une baisse de 9 % des livraisons. Une fuite à tous les étages qu'Antonio Filosa devra écoper pour remettre à flot le navire Stellantis.

 

Donald Trump complexifie une situation déjà morose

 

Là où la barre va être la plus difficile à redresser, c’est outre-Atlantique. L’Amérique du Nord a toujours été la zone la plus rentable pour Stellantis avec une marge ayant déjà atteint 15 % depuis le lancement du groupe. En 2024, elle s’est échouée à 4,6 %. Les ventes, quant à elles, ont baissé de 24 % pour un volume de 1,4 million de véhicules immatriculés cette année-là. De plus, la région enregistrait une perte de 1,7 milliard d’euros et un chiffre d'affaires en chute de 38 % au second semestre 2024.

 

En plein brouillard, Antonio Filosa était parvenu à réduire les stocks, redonnant une lueur d’espoir pour une amélioration rapide de la situation dans la région. En ce sens, Doug Ostermann, directeur financier de Stellantis, estimait l’année 2025 comme une année de transition. Mais c’était sans compter sur l’arrivée au pouvoir de Donald Trump

 

Le président des États-Unis a annoncé à la fin du mois de mars 2025 une hausse de 25 % des droits de douane sur les véhicules importés sur le sol américain. Une taxe valable aussi sur les véhicules en provenance du Canada et du Mexique où Stellantis possède certaines de ses usines les plus importantes. Parmi les Big Three, le groupe est sûrement celui qui est le plus impacté, en particulier pour ses marques Jeep, Dodge et Ram.

 

Le groupe a d’ailleurs pris les devants en investissant cinq milliards d’euros sur le territoire. Selon Automotive News Europe, la banque d’investissement Jefferies estime que les taxes douanières devraient réduire les bénéfices de Stellantis de 75 % en 2025. Antonio Filosa aura donc la lourde tâche de devoir limiter l’impact de ces dernières et d'assurer une transition correcte outre-Atlantique.

 

Une réorganisation à grande échelle

 

Fini le chant des sirènes de la mondialisation pour baisser les coûts, le groupe doit retrouver une empreinte locale. Un processus d’ores et déjà amorcé depuis le départ de Carlos Tavares, avec davantage d’autonomie accordée aux régions comme le soulignait dans nos colonnes Jean-Philippe Imparato, directeur de Stellantis en Europe  : "Notre nouvelle organisation acte de fait le constat d'une régionalisation accrue du monde".

 

Antonio Filosa devrait poursuivre ce processus de réorganisation du groupe. Comme il l’a fait lorsqu’il était directeur de Stellantis en charge de l'Amérique, en rappelant des dirigeants chevronnés du groupe licenciés ou à la retraite. À l’image de Tim Kuniski, directeur de Ram, ou encore de Jeff Kommor, de nouveau nommé en janvier responsable des ventes aux États-Unis, alors qu’il avait été affecté aux ventes commerciales en février 2024 durant l’ère Tavares, comme le rappelle Automotive News Europe

 

En Europe, l’organisation a déjà été amorcée sur certaines marques et fonctions, comme Fabio Contone qui a pris la tête de Jeep en Europe, Florian Huettl en tant que directeur de la marque Opel ou encore récemment Xavier Chardon, qui remplace Thierry Koskas à la direction de Citroën.

 

"Je suis assez surpris que la nomination d’Antonio Filosa ait mis aussi longtemps. Je pense qu’il était déjà aux manettes avant son officialisation. Maintenant qu’il est confirmé à ce poste, c’est comme le pape, tout le monde doit s’aligner derrière lui", se questionne un ancien cadre dirigeant.

 

Selon un article de Reuters publié fin février, les investisseurs du groupe auraient pressé le président de Stellantis de prioriser la "rationalisation des marques". Une prise de décision risquée qui ne semble pas à l’ordre du jour pour le moment. 


Rassurer et améliorer la relation avec les partenaires du groupe

 

Sous la houlette de Carlos Tavares, Stellantis a vu ses relations se froisser avec ses distributeurs qui doivent composer avec des prix élevés, poussant le groupe à réduire les prix et à aller plus loin sur les incitations. Le nouveau directeur devra renouer des liens distendus avec le syndicat américain des travailleurs automobiles (UAW). Notons que la balance qui a été trouvée à la fondation du groupe avec une présidence italienne et une direction française semble plus que jamais pencher du côté transalpin avec l’élection d’Antonio Filosa.

 

Cette situation questionne l’avenir de sites industriels en France, comme à Poissy, même si John Elkann et Jean-Philippe Imparato avaient rassuré le gouvernement quant au maintien de l'activité de l'usine jusqu’en 2028. Rassurer, c'est aussi ce que devra faire Antonio Filosa de l’autre côté des Alpes, où le gouvernement de Giorgia Meloni poursuit son bras de fer avec Stellantis pour réindustrialiser la Grande Botte.

 

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Maserati, Lancia, DS : quel avenir pour ces marques au sein du groupe Stellantis ?

 

Le successeur de Carlos Tavares devra pérenniser certaines marques, dont l’avenir demeure aujourd’hui incertain dans la galaxie du groupe Stellantis. En première ligne, on peut relever Maserati. Le constructeur italien va en effet devoir redresser la barre car ses performances ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées. Durant l'année 2024, les ventes de la marque se sont limitées à 11 300 d'exemplaires. Encore moins bien qu'en 2023 où les ventes avaient plafonné à un peu plus de 26 000 unités. Bien loin de la barre des 50 000 franchie en 2017. Les résultats financiers ne sont pas bons également. Juste avant son éviction en décembre 2024, l'ex-PDG de Stellantis Carlos Tavares avait reconnu que le positionnement de Maserati n'avait "pas encore été bien communiqué". C'est "un mélange de grand tourisme, de performance, de dolce vita", avait-il estimé.

 

Autre constructeur italien, Lancia figure également dans la liste des marques à risque. Celle qui voit sa gamme entièrement renouvelée a encore tout à prouver. Car le lancement très récent d'une nouvelle Ypsilon ne permet pas encore de tirer un premier bilan sur la relance de la marque, qui était jusqu’alors réputée pour se vendre principalement en Italie.

 

Enfin, DS Automobiles est également dans la ligne de mire. Le constructeur tricolore, qui a fêté ses dix ans l’année dernière, a vu ses immatriculations nettement chuter. En 2024, elle a, en effet, reculé de 27 % dans le monde, pour ne représenter que 40 971 voitures (source Inovev). Un volume qui lui permet d’atteindre péniblement 1 % de part de marché de toutes les marques du groupe Stellantis. Pire, elle a mis à la route près de 20 000 voitures de moins qu’Alfa Romeo, qui est à peine en convalescence, alors que sa gamme, sur les segments B et C, semble plus adaptée au marché européen que celle de la marque italienne. Et en France, qui couvre 44 % de ses ventes, ce n’est guère mieux.

 

DS Automobiles a enre­gistré seulement 18 024 immatricula­tions, en baisse de 22,9 %, soit une part de marché de 1,05 %. À titre de com­paraison, les constructeurs allemands, qui ont certes une gamme beaucoup plus large que les quatre modèles de DS Automobiles, si l’on inclut la DS 9 dont la commercialisation s’est arrêtée fin 2024, font, selon la marque, trois à quatre fois mieux ! Ainsi, pour l’heure, seule la récente N°4 restylée pourrait permettre à DS de faire revenir en masse les clients dans les showrooms car le N° 8 n'est, quant à lui, pas un modèle à fort volume. 

 

Nous pouvons donc déduire que le dossier de ces trois marques devrait sans aucun doute être rapidement sur le bureau du nouveau directeur général de Stellantis. (Robin Shmidt)

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