Les constructeurs chinois réalisent leur marge en Europe
I/ L’accès aux matières premières
Sur ce sujet crucial, les constructeurs chinois ou occidentaux ne sont pas logés à la même enseigne. "Bien qu’il existe des cours mondiaux sur les matières premières, une grande partie d’entre eux sont également régionalisés", pose Alexandre Marian, partner et managing director en charge de l’automobile au sein du cabinet AlixPartners. Et comme la Chine, en tant que première usine du monde, est un des plus importants consommateurs de matières premières, les industriels chinois bénéficient de meilleurs prix. "En outre, les matériaux pour les batteries se trouvent en Chine. Et pour compléter, leurs importations ont aussi été sécurisées", poursuit‑il.
N’oublions pas que le pays domine, par exemple, le marché du lithium, indispensable pour la production des batteries. Outre l’exploitation du sous‑sol de son propre territoire, l’empire du Milieu détient des mines sur toute la planète, principalement en Australie et en Amérique du Sud. On estime d’ailleurs que 65 % du lithium raffiné sort des usines chinoises et au niveau mondial, la Chine produit environ trois batteries sur quatre, une activité bien entendu soutenue par son gouvernement. "Tous les constructeurs ne sont pas égaux face au prix des matières premières", glisse Clément Dupont‑Roc, associé chez C‑Ways. À titre d’exemple, les constructeurs chinois paieront une base de 100, tandis que ceux occidentaux devront débourser 110 ou 120 !
II/ Le coût de la main‑d’œuvre
Le coût de la main-d'œuvre n’a évidemment rien à voir avec celui pratiqué en Europe, aux États‑Unis, au Japon, voire en Corée du Sud. "D’une manière générale, ce poste varie, selon les modèles, entre 5 et 10 % du prix de la voiture. Il grimpe à 15 % si l’on inclut la batterie", explique Alexandre Marian. Selon des données recueillies par JATO, le coût horaire de la main-d'œuvre est de 59 euros en Allemagne, 30 euros aux États‑Unis, 28 euros en Espagne, pour rappel deuxième producteur automobile en Europe, 23 euros en Corée du Sud et… inférieur à 5 euros en Chine ! Mais, il y a encore moins cher. Citons la Turquie, le Vietnam, le Mexique ou le Maroc.
III/ Le volume
Autre facteur qui pèse sur les prix : le volume. "Une Tesla, entre les Model 3 et Model Y qui sont quasiment les mêmes véhicules, ce sont 1,5 million d’exemplaires par an qui sont produits, rappelle Clément Dupont‑Roc. À part la Toyota Corolla, aucune voiture thermique n’arrive à un tel volume. En revanche, avec un marché de 20 millions d’unités par an, qui passera à 30 millions en 2030, plus le développement à l’international, certains constructeurs chinois voient leur production augmenter de façon exponentielle !" Des chiffres qui donnent le tournis d’autant plus que nous sommes en Chine sur un marché de primo‑accédants, alors qu’en Occident, il s’agit d’un marché de renouvellement. BYD a, par exemple, produit trois millions de voitures en 2023 ! C’est bien plus que certaines marques qui ont plus d’un siècle d’existence.
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IV/ Le contenu du véhicule
Les niveaux d’équipement entre un même modèle commercialisé en Chine et en Europe ne sont pas identiques. "Outre la réglementation, les attentes des clients chinois ne sont pas les mêmes que celles des automobilistes européens, note Clément Dupont‑Roc. Ces derniers sont très sensibles à tout ce qui tourne autour de l’infodivertissement, d’où les écrans qui pivotent comme chez BYD, plutôt qu’au comportement et aux prestations dynamiques de la voiture." Les équipements de sécurité comme l’ESP ou la conduite autonome de niveau 2 ne sont, par exemple, pas obligatoires en Chine.
V/ La guerre des prix
C’est probablement ce sujet qui explique en grande partie les écarts de prix entre les deux continents. Car en Chine, la concurrence est phénoménale, obligeant les constructeurs et leur réseau à rogner de façon drastique sur leurs marges. Ce qui n’est pas du tout le cas en Europe. "La marge du distributeur sur les voitures électriques est d’environ 7 à 10 % en Europe contre à peine 2 % en Chine", présente Clément Dupont‑Roc, une valeur qu’il tempère néanmoins, "car les frais de fonctionnement et de personnel n’ont rien à voir entre les deux marchés". "Après la pandémie, les constructeurs occidentaux ont fait d’énormes profits car ils ont accentué leur politique sur la rentabilité et non pas sur les volumes, ce qui n’est pas du tout le cas pour les constructeurs chinois dont certains brûlent beaucoup de cash dans la guerre des prix", rappelle Juan Felipe Munoz‑Vieira, analyste chez JATO.
Dès lors, "dire que les constructeurs chinois vendent à perte en Europe est non seulement totalement faux, mais c’est en fait tout le contraire qui se produit", soulignent tous les acteurs interrogés sur le sujet. "L’Europe leur permet de compenser les marges qu’ils n’ont pas sur leur marché domestique, insiste Clément Dupont‑Roc. C’est à l’inverse de la stratégie des constructeurs coréens. Ces derniers réalisent de très fortes marges sur leur marché local, étant en situation de quasi‑monopole (Hyundai‑Kia détient près de 70 % de part de marché en Corée du Sud, NDLR), ce qui leur permet de bien se positionner sur les marchés d’exportation."
Cette guerre des prix n’est pas que l’apanage des constructeurs chinois. Les Occidentaux sont eux aussi dans la même situation. Et l’exemple de la Volkswagen ID.3 est flagrant. Même si la configuration n’est pas identique, elle est vendue deux fois moins cher en Chine qu’en France.
"La Chine, c’est le far‑west de l’automobile, rappelle Alexandre Marian. Il existe 167 marques de véhicules et on estime qu’en 2030, il en restera entre 25 et 30, dont 10 d’entre elles auront 60 % du marché. Et il n’est même pas garanti que les plus grandes d’entre elles, comme celles détenues par SAIC, BYD, FAW ou Geely, pour ne citer que ces groupes, en fassent partie." "La vraie question est pour moi la suivante : jusqu’où cette guerre des prix va‑t‑elle aller ?, pose Clément Dupont‑Roc. On commence à voir les conséquences avec les premières faillites." Les Xpeng et autres Nio ne sont effectivement pas en grande forme économique et sont d’ailleurs activement à la recherche d’argent frais. Ce qui explique en partie pourquoi Stellantis a investi 1,5 milliard d’euros dans Leapmotor, un constructeur qui, au passage, n’existait pas il y a cinq ans ou que le groupe Volkswagen a déboursé plus de 630 millions d’euros dans Xpeng.
Bien que le marché soit extrêmement dynamique, il a néanmoins tendance à se "contracter", d’où une guerre des prix exacerbée sur le marché local et un développement à l’international. "Pour qu’une marque compte au niveau mondial, elle doit impérativement être présente sur plusieurs marchés", souligne Juan Felipe Munoz‑Vieira.
Néanmoins, il estime que dans les années à venir, l’écart de prix risque de se réduire, surtout si les constructeurs chinois produisent en Europe et qu’en parallèle, Bruxelles taxe les importations chinoises. En outre, "les constructeurs européens commencent à réagir, poursuit‑il. La Citroën ë‑C3 et la future Renault Twingo, par exemple, sont des cas intéressants à suivre. C’est pour moi ce que les constructeurs peuvent et surtout doivent faire pour rester dans la course". Car la demande sur la voiture électrique est, en Europe, très forte sur les segments A et B, un marché avec encore peu d’offres.
VI/ Un marché subventionné
Sur ce sujet, difficile d’avoir des informations précises ; nous n’avons en effet que la partie émergée de l’iceberg, à savoir la fiscalité que le gouvernement chinois a mise en place pour soutenir l’acquisition de voitures électriques. Et sur ce chapitre, les différences entre la Chine et ce qui se pratique en Europe sont assez faibles. "L’achat d’une voiture électrique passe obligatoirement par des incitations fiscales, que l’on soit en Chine ou en Europe", souligne Alexandre Marian.
Néanmoins, cette stratégie se heurte aux réalités économiques, comme en France qui a rogné le bonus de 1 000 euros ou en Allemagne. Outre‑Rhin, le gouvernement a, en effet, stoppé du jour au lendemain, fin décembre, les aides à l’achat d’une voiture électrique.
Mais en Chine, le marché est toujours activement soutenu. En juin 2023, le gouvernement a décidé de mettre sur la table 520 milliards de yuans (env. 66 milliards d’euros) d’incitations fiscales pour les véhicules hybrides et électriques, appelés là‑bas NEV (New Energy Vehicles), sur la période 2024‑2027. Cela correspond à un bonus d’environ 3 800 euros par voiture.
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Quant à la partie immergée de l’iceberg, cela reste très opaque. "Le gouvernement chinois est très nébuleux sur les actions qu’il mène pour soutenir l’économie automobile", indique Clément Dupont‑Roc. Et de lister toutes les subventions possibles : "Même si la Chine est un pays très centralisé, il existe beaucoup de strates dans son administration et les aides sont protéiformes ; prêts à taux zéro qui ne seront jamais remboursés, terrains "offerts" par les municipalités, aides publiques diverses et variées au niveau de l’État, des provinces, des municipalités, etc." Car n’oublions pas que le développement de la voiture électrique est avant tout une décision politique qui remonte au début de ce siècle.
À cette époque, la Chine s’est aperçue que son industrie automobile dépendait des technologies occidentales, car elle n’était absolument pas au point sur le moteur thermique. Le Parti central a donc déployé des moyens considérables pour promouvoir ce qui n’était à l’époque que de la science‑fiction : les voitures électriques. Patrick Koller, directeur général de l’équipementier Forvia, qui réalise environ un tiers de son chiffre d’affaires en Asie, a tenu à rappeler, à l’occasion d’un déjeuner en décembre dernier organisé par la PFA, que "tous les nouveaux arrivants dans le monde de l’automobile sont des acteurs issus de l’électronique et du logiciel".
Ce n’est donc pas un hasard si BYD, qui n’a produit sa première voiture qu’en 2003, se présente aujourd’hui comme le leader mondial des NEV. "Son dirigeant Wang Chuanfu est un scientifique", souligne Patrick Koller qui rappelle qu’"en 2030, la moitié des voitures électriques seront produites en Chine".
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