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Constructeurs

Le virage de Ford pour rester dans la course automobile

Publié le 23 septembre 2024

Par Christophe Bourgeois
9 min de lecture
Le constructeur américain poursuit sa mue avec l’arrêt de tout un pan de son offre, notamment sur le segment B. En parallèle, Ford lance l’Explorer pour renforcer son panel électrique en Europe. Sans oublier ses ambitions nouvelles dans le véhicule utilitaire.
Ford stratégie
Le lancement de l’Explorer, puis du Capri, va permettre à Ford de compter sur le marché de l’électrique. ©Ford

Mais que fait l’ovale bleu ? Vu de l’extérieur, il sem­blerait que la marque la plus populaire d’Amérique ne sache plus sur quel pied danser. D’abord, d’un point de vue des produits. Ford réduit sa gamme comme peau de chagrin, supprime (pour des raisons de normes) l’E85, une de ses spécificités, tandis qu’il a pris beaucoup de retard sur les voitures électriques. Il diminue sa présence industrielle en Europe avec la fermeture du site de Sarrelouis (Al­lemagne) et baisse la production dans celui de Valence (Espagne).

 

En parallèle, la marque investit très fortement dans l’utilitaire avec une des plus grandes usines d’Europe, celle de Kocaeli en Turquie, qui aujourd’hui assemble 320 000 vé­hicules et compte augmenter sa cadence d’environ 150 000 unités dans les années à venir. Elle a éga­lement mis beaucoup d’argent sur la table pour reconvertir sa vieille usine de Cologne, qui a produit plus de neuf millions de Fiesta depuis la fin des années 1970, pour assem­bler l’Explorer et le Capri, les nou­velles armes du constructeur sur le marché de l’électrique.

 

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Une meilleure rentabilité

 

"Sur le véhicule particulier, la ré­duction de la gamme n’est pas propre à Ford, fait remarquer Louis‑Carl Vignon, président de Ford France. C’est une tendance lourde pratiquée par tous les constructeurs afin de ré­duire les coûts. Quand nous avions une offre de quinze modèles, nous en vendions réellement quatre." Certes. Mais chez Ford, la réduc­tion a été sévère. La marque a ar­rêté la moitié de son portefeuille de produits et a abandonné des pans entiers du marché, le plus notable étant celui des petites voitures. En seulement deux ans, la Ka, l’EcoS­port et surtout, plus récemment, la Fiesta ont quitté le catalogue du constructeur.

 

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Et l’avenir de la Focus est tout aussi sombre : fin 2025, elle ne sera plus disponible. En France, ces modèles ont représenté jusqu’à 30 % des ventes de Ford. Dès lors, comment un réseau d’une marque généraliste peut‑il survivre à de telles coupes ? "Nous n’avons jamais vraiment gagné beaucoup d’argent sur ces segments", lâchent d’emblée les concessionnaires interrogés. "Sur un segment largement dominé par les marques françaises, il est très difficile de faire autre chose que de la figuration", glisse un distributeur francilien. "Nous pratiquions beau­coup de remises pour rester dans la course, confie Gérald Richard, à la tête du groupement des conces­sionnaires Ford. En arrêtant de nous battre, notre rentabilité a progressé."

 

Car force est de constater que, pour l’instant, l’arrêt de la Fiesta n’a pas entaché la rentabilité du réseau. Au contraire. Avec 1,4 % en 2023, elle n’a jamais été aussi bonne. "Il s’agit du meilleur résultat depuis… 1998, précise Louis‑Carl Vignon. Le prix de transaction a augmenté de 40 % entre 2018 et 2023 et nous avons réalisé beaucoup de conquête, 60 % sur le Puma et 80 % sur le Mach‑E." Surtout, le volume global reste assez stable. "Nous commercialisons environ 50 000 véhicules par an", indique le président de Ford France. "Certes, nous ne perdons pas sur le sujet de la rentabilité, mais attention à ne pas perdre de clients avec une offre trop réduite ou pas adaptée au marché", tempère un distributeur du centre de la France.

 

Ne proposer plus qu’un seul modèle sur le segment B, alors que l’inté­gralité des marques généralistes commercialise une berline et un SUV, peut paraître, en effet, risqué. "Effectivement, nous avons perdu environ la moitié de notre clientèle", constate le réseau. Beaucoup sont partis chez Dacia, Suzuki, voire MG, ce qui permet aux groupes qui distribuent ces marques de conser­ver leur clientèle.

 

Pour les autres, c’est un peu compliqué. Néanmoins, au niveau national, la moitié des clients roulant en Fiesta ont basculé ou basculent vers le Puma, grâce à des loyers abordables, soutenus par le constructeur. Quant à l’arrêt de la Focus à la fin de l’année prochaine, le réseau compte orienter ses clients vers le Puma ou le Kuga selon les besoins et moyens.

 

Le Ford Explorer électrique. ©Ford

 

Développer l’après‑vente

 

La crainte de perdre des parts de marché et, au final, de ne plus être dans la shopping list effleure le ré­seau. "C’est en effet un risque, glisse Gérald Richard. Mais j’estime qu’il est assez limité, car nous disposons de modèles forts. Nous allons vendre probablement moins de voitures, mais la marge unitaire sera meil­leure."

 

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Un avis plus mitigé s’entend chez d’autres distributeurs. "Regar­dez les chiffres du Renault Scenic (2 095 unités sur les six premiers mois de 2024, NDLR) ou du Volkswagen ID.4 (1 678), fait remarquer un distributeur. Je n’ai aucun doute sur la qualité du produit, mais je note que le SUV électrique du segment C n’est pas particulièrement porteur, car il est encore trop cher. Surtout, les clients et nous n’avons aucune visibili­té concernant la politique des pou­voirs publics, ce qui n’aide pas à stabiliser le marché. Nous sommes aujourd’hui au milieu du gué. Avec la suppression de nombreux modèles, la gamme manque de cohérence, d’au­tant plus que nous sommes en retard sur l’offre électrique par rapport à la concurrence." "Aujourd’hui, tout le monde n’est pas encore prêt à passer à l’électrique, commente Gérald Ri­chard. C’est donc pour nous une belle opportunité de développer notre après‑vente, car les clients gardent leur voiture plus longtemps."

 

Multi‑énergie

 

Quant à la rentabilité, le réseau s’attend à une année plus compli­quée que 2023, bien que certains estiment qu’il y a de belles cartes à jouer sur le marché du véhicule utilitaire et de l’électrique avec l’Explo­rer. "Nous rajeunissons la gamme avec le restylage du Puma doté du système multimédia Sync 4 et d’un nouvel intérieur, très éloigné de ce­lui de la Fiesta. Il préfigure celui du Puma électrique qui sera lancé l’an­née prochaine. Nous comptons aussi sur l’arrivée d’un profond restylage du Kuga", indique Louis‑Carl Vi­gnon, qui rappelle que la version hybride rechargeable est le modèle le plus vendu en France sur son seg­ment.

 

D’ici 2026, Ford va réactuali­ser son offre avec une vingtaine de nouveautés et mises à jour de pro­duits, ce qui devrait lui permettre de rajeunir sa gamme.

 

Une activité portée par le VU

 

Si le bilan sur le VP est compris et accepté par le réseau, mais qui attend de voir, le message a été en revanche reçu 5/5 sur l’utilitaire. Depuis l’arrivée de l’E‑Transit, Ford a entamé un profond change­ment dans son offre sur ce marché. Avec les Transit/Tourneo Custom, les Transit/Tourneo Connect et Transit/Tourneo Courier, dont ce dernier est présenté comme le vé­hicule d’entrée de gamme par le constructeur, bien que sans mi­cro‑hybridation, il n’échappe pas au malus, le renouvellement de la gamme VU et des dérivés VP est complet.

 

A lire aussi : Ford, Toyota, Maxus… Les premiers pick-up électrifiés arrivent enfin en Europe

 

"En France, notre crois­sance sur l’utilitaire est constante, analyse Louis‑Carl Vignon. En 2023, nous avons réalisé notre meil­leure performance avec une part de marché de 9,1 % avec de beaux résultats notamment sur le Transit 2T et le Ranger, qui est le leader incontesté sur le marché du pick‑up depuis une dizaine d’années. De son côté, le nouveau Transit Cus­tom, qui a été élu Van de l’année, connaît actuellement un excellent démarrage." "On a tendance à l’oublier, mais Ford est avant tout un constructeur de véhicules utili­taires, rappelle Gérald Richard. Le F‑150 est, en effet, l’un des véhicules les plus vendus au monde." Et qui dit utilitaire, dit marge plus élevée. "Une politique forte sur le VU nous permet de vendre du VP et parfois de l’électrique aux entreprises qui sont soumises à la loi d’orienta­tion des mobilités", constate un distributeur dans la région Au­vergne‑Rhône‑Alpes.

 

Malgré ces fortes ambitions sur le VU, rémunératrices pour le réseau, ce dernier appelle néanmoins de ses vœux une nouvelle Fiesta. Pour l’instant, Ford exclut l’idée, se fo­calisant sur l’arrivée d’un véhicule du segment C issu d’une plateforme multi‑énergie qui sera pro­duite à Valence en 2027. Il change également de fusil d’épaule en ne faisant pas de 2030 une date bu­toir pour l’arrêt des modèles ther­miques, comme il s’y était engagé il y a deux ans.

 

"Le pragmatisme revient", glisse un distributeur. Un pragma­tisme qui a fait changer d’avis le constructeur sur les contrats d’agent, projet abandonné, il y a quelques mois. Pour le plus grand satisfecit du réseau.

 

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Ford renoue avec ses origines américaines

 

Depuis peu, Ford ne renie plus ses origines américaines. Le Bronco en est un parfait exemple. ©Ford

 

Jusqu’à peu, il n’y avait que la Mustang qui évoquait les racines outre‑Atlantique du constructeur. Une exception dans la com­munication. Car pendant très longtemps, contrairement à Jeep, par exemple, l’américanité de Ford a été volontairement mise de côté.

 

Mais depuis le suc­cès du Raptor et la commercialisation du Bronco, Ford joue à fond la carte US. Reprendre le nom Explorer pour son nouveau SUV électrique conçu et as­semblé en Europe, bien différent de sa déclinaison américaine, en est le parfait exemple. "Depuis de trop nombreuses années, l’image de Ford s’était trop diluée face à une concurrence agressive, juge Gérald Richard à la tête du groupement des concessionnaires Ford. Réutiliser le nom d’Explorer est une excellente idée, car cela a un impact dans l’imaginaire du public et permet de repositionner la marque." "Ford, c’est avant tout l’Amé­rique", rappelle un autre distributeur. Il n’est donc plus question pour l’ovale bleu de cacher ses racines. Une stratégie qui n’est d’ailleurs pas propre à Ford.

 

Il est intéressant de noter qu’avec l’arri­vée des constructeurs chinois, qui n’ont absolument aucune image, ni d’histoire à raconter, les marques "historiques", s’appuient désormais sur leurs origines. C’est par exemple le cas de Fiat, qui fait apparaître le drapeau italien sur sa nou­velle 600 ou, pour rester dans le groupe Stellantis, de Lancia qui joue à fond la carte de l’Italian way of life.

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