Le virage de Ford pour rester dans la course automobile
Mais que fait l’ovale bleu ? Vu de l’extérieur, il semblerait que la marque la plus populaire d’Amérique ne sache plus sur quel pied danser. D’abord, d’un point de vue des produits. Ford réduit sa gamme comme peau de chagrin, supprime (pour des raisons de normes) l’E85, une de ses spécificités, tandis qu’il a pris beaucoup de retard sur les voitures électriques. Il diminue sa présence industrielle en Europe avec la fermeture du site de Sarrelouis (Allemagne) et baisse la production dans celui de Valence (Espagne).
En parallèle, la marque investit très fortement dans l’utilitaire avec une des plus grandes usines d’Europe, celle de Kocaeli en Turquie, qui aujourd’hui assemble 320 000 véhicules et compte augmenter sa cadence d’environ 150 000 unités dans les années à venir. Elle a également mis beaucoup d’argent sur la table pour reconvertir sa vieille usine de Cologne, qui a produit plus de neuf millions de Fiesta depuis la fin des années 1970, pour assembler l’Explorer et le Capri, les nouvelles armes du constructeur sur le marché de l’électrique.
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Une meilleure rentabilité
"Sur le véhicule particulier, la réduction de la gamme n’est pas propre à Ford, fait remarquer Louis‑Carl Vignon, président de Ford France. C’est une tendance lourde pratiquée par tous les constructeurs afin de réduire les coûts. Quand nous avions une offre de quinze modèles, nous en vendions réellement quatre." Certes. Mais chez Ford, la réduction a été sévère. La marque a arrêté la moitié de son portefeuille de produits et a abandonné des pans entiers du marché, le plus notable étant celui des petites voitures. En seulement deux ans, la Ka, l’EcoSport et surtout, plus récemment, la Fiesta ont quitté le catalogue du constructeur.
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Et l’avenir de la Focus est tout aussi sombre : fin 2025, elle ne sera plus disponible. En France, ces modèles ont représenté jusqu’à 30 % des ventes de Ford. Dès lors, comment un réseau d’une marque généraliste peut‑il survivre à de telles coupes ? "Nous n’avons jamais vraiment gagné beaucoup d’argent sur ces segments", lâchent d’emblée les concessionnaires interrogés. "Sur un segment largement dominé par les marques françaises, il est très difficile de faire autre chose que de la figuration", glisse un distributeur francilien. "Nous pratiquions beaucoup de remises pour rester dans la course, confie Gérald Richard, à la tête du groupement des concessionnaires Ford. En arrêtant de nous battre, notre rentabilité a progressé."
Car force est de constater que, pour l’instant, l’arrêt de la Fiesta n’a pas entaché la rentabilité du réseau. Au contraire. Avec 1,4 % en 2023, elle n’a jamais été aussi bonne. "Il s’agit du meilleur résultat depuis… 1998, précise Louis‑Carl Vignon. Le prix de transaction a augmenté de 40 % entre 2018 et 2023 et nous avons réalisé beaucoup de conquête, 60 % sur le Puma et 80 % sur le Mach‑E." Surtout, le volume global reste assez stable. "Nous commercialisons environ 50 000 véhicules par an", indique le président de Ford France. "Certes, nous ne perdons pas sur le sujet de la rentabilité, mais attention à ne pas perdre de clients avec une offre trop réduite ou pas adaptée au marché", tempère un distributeur du centre de la France.
Ne proposer plus qu’un seul modèle sur le segment B, alors que l’intégralité des marques généralistes commercialise une berline et un SUV, peut paraître, en effet, risqué. "Effectivement, nous avons perdu environ la moitié de notre clientèle", constate le réseau. Beaucoup sont partis chez Dacia, Suzuki, voire MG, ce qui permet aux groupes qui distribuent ces marques de conserver leur clientèle.
Pour les autres, c’est un peu compliqué. Néanmoins, au niveau national, la moitié des clients roulant en Fiesta ont basculé ou basculent vers le Puma, grâce à des loyers abordables, soutenus par le constructeur. Quant à l’arrêt de la Focus à la fin de l’année prochaine, le réseau compte orienter ses clients vers le Puma ou le Kuga selon les besoins et moyens.
Développer l’après‑vente
La crainte de perdre des parts de marché et, au final, de ne plus être dans la shopping list effleure le réseau. "C’est en effet un risque, glisse Gérald Richard. Mais j’estime qu’il est assez limité, car nous disposons de modèles forts. Nous allons vendre probablement moins de voitures, mais la marge unitaire sera meilleure."
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Un avis plus mitigé s’entend chez d’autres distributeurs. "Regardez les chiffres du Renault Scenic (2 095 unités sur les six premiers mois de 2024, NDLR) ou du Volkswagen ID.4 (1 678), fait remarquer un distributeur. Je n’ai aucun doute sur la qualité du produit, mais je note que le SUV électrique du segment C n’est pas particulièrement porteur, car il est encore trop cher. Surtout, les clients et nous n’avons aucune visibilité concernant la politique des pouvoirs publics, ce qui n’aide pas à stabiliser le marché. Nous sommes aujourd’hui au milieu du gué. Avec la suppression de nombreux modèles, la gamme manque de cohérence, d’autant plus que nous sommes en retard sur l’offre électrique par rapport à la concurrence." "Aujourd’hui, tout le monde n’est pas encore prêt à passer à l’électrique, commente Gérald Richard. C’est donc pour nous une belle opportunité de développer notre après‑vente, car les clients gardent leur voiture plus longtemps."
Multi‑énergie
Quant à la rentabilité, le réseau s’attend à une année plus compliquée que 2023, bien que certains estiment qu’il y a de belles cartes à jouer sur le marché du véhicule utilitaire et de l’électrique avec l’Explorer. "Nous rajeunissons la gamme avec le restylage du Puma doté du système multimédia Sync 4 et d’un nouvel intérieur, très éloigné de celui de la Fiesta. Il préfigure celui du Puma électrique qui sera lancé l’année prochaine. Nous comptons aussi sur l’arrivée d’un profond restylage du Kuga", indique Louis‑Carl Vignon, qui rappelle que la version hybride rechargeable est le modèle le plus vendu en France sur son segment.
D’ici 2026, Ford va réactualiser son offre avec une vingtaine de nouveautés et mises à jour de produits, ce qui devrait lui permettre de rajeunir sa gamme.
Une activité portée par le VU
Si le bilan sur le VP est compris et accepté par le réseau, mais qui attend de voir, le message a été en revanche reçu 5/5 sur l’utilitaire. Depuis l’arrivée de l’E‑Transit, Ford a entamé un profond changement dans son offre sur ce marché. Avec les Transit/Tourneo Custom, les Transit/Tourneo Connect et Transit/Tourneo Courier, dont ce dernier est présenté comme le véhicule d’entrée de gamme par le constructeur, bien que sans micro‑hybridation, il n’échappe pas au malus, le renouvellement de la gamme VU et des dérivés VP est complet.
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"En France, notre croissance sur l’utilitaire est constante, analyse Louis‑Carl Vignon. En 2023, nous avons réalisé notre meilleure performance avec une part de marché de 9,1 % avec de beaux résultats notamment sur le Transit 2T et le Ranger, qui est le leader incontesté sur le marché du pick‑up depuis une dizaine d’années. De son côté, le nouveau Transit Custom, qui a été élu Van de l’année, connaît actuellement un excellent démarrage." "On a tendance à l’oublier, mais Ford est avant tout un constructeur de véhicules utilitaires, rappelle Gérald Richard. Le F‑150 est, en effet, l’un des véhicules les plus vendus au monde." Et qui dit utilitaire, dit marge plus élevée. "Une politique forte sur le VU nous permet de vendre du VP et parfois de l’électrique aux entreprises qui sont soumises à la loi d’orientation des mobilités", constate un distributeur dans la région Auvergne‑Rhône‑Alpes.
Malgré ces fortes ambitions sur le VU, rémunératrices pour le réseau, ce dernier appelle néanmoins de ses vœux une nouvelle Fiesta. Pour l’instant, Ford exclut l’idée, se focalisant sur l’arrivée d’un véhicule du segment C issu d’une plateforme multi‑énergie qui sera produite à Valence en 2027. Il change également de fusil d’épaule en ne faisant pas de 2030 une date butoir pour l’arrêt des modèles thermiques, comme il s’y était engagé il y a deux ans.
"Le pragmatisme revient", glisse un distributeur. Un pragmatisme qui a fait changer d’avis le constructeur sur les contrats d’agent, projet abandonné, il y a quelques mois. Pour le plus grand satisfecit du réseau.
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Ford renoue avec ses origines américaines
Jusqu’à peu, il n’y avait que la Mustang qui évoquait les racines outre‑Atlantique du constructeur. Une exception dans la communication. Car pendant très longtemps, contrairement à Jeep, par exemple, l’américanité de Ford a été volontairement mise de côté.
Mais depuis le succès du Raptor et la commercialisation du Bronco, Ford joue à fond la carte US. Reprendre le nom Explorer pour son nouveau SUV électrique conçu et assemblé en Europe, bien différent de sa déclinaison américaine, en est le parfait exemple. "Depuis de trop nombreuses années, l’image de Ford s’était trop diluée face à une concurrence agressive, juge Gérald Richard à la tête du groupement des concessionnaires Ford. Réutiliser le nom d’Explorer est une excellente idée, car cela a un impact dans l’imaginaire du public et permet de repositionner la marque." "Ford, c’est avant tout l’Amérique", rappelle un autre distributeur. Il n’est donc plus question pour l’ovale bleu de cacher ses racines. Une stratégie qui n’est d’ailleurs pas propre à Ford.
Il est intéressant de noter qu’avec l’arrivée des constructeurs chinois, qui n’ont absolument aucune image, ni d’histoire à raconter, les marques "historiques", s’appuient désormais sur leurs origines. C’est par exemple le cas de Fiat, qui fait apparaître le drapeau italien sur sa nouvelle 600 ou, pour rester dans le groupe Stellantis, de Lancia qui joue à fond la carte de l’Italian way of life.
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