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Industrie

Contenu local, normes CO2, e-car... pourquoi le paquet automobile européen risque de dérailler

Publié le 1 décembre 2025

Par Catherine Leroy
6 min de lecture
Ce qui devait être un texte fondateur pour sécuriser l’industrie automobile européenne tourne à l’affrontement. Équipementiers et constructeurs s’opposent sur le seuil et le calcul du contenu local. La France n’affiche plus une ligne unifiée et la Commission européenne peine à arbitrer. À une semaine des annonces de Bruxelles, les mesures pourraient être amputées ou repoussées.
Le paquet automobile européen vacille : les États membres s’opposent sur le contenu local et les normes CO₂, alors que les constructeurs alertent sur une urgence industrielle majeure pour les VUL.
Le paquet automobile européen vacille : les États membres s’opposent sur le contenu local et les normes CO₂, alors que les constructeurs alertent sur une urgence industrielle majeure pour les VUL. ©JA

La Commission européenne doit présenter, le 10 décembre 2025, son très attendu paquet automobile. Un ensemble de mesures cruciales pour une industrie européenne "qui joue sa survie", comme l'indiquait Luc Chatel, président de la Plateforme automobile (PFA) lors de la journée de la filière organisée le 4 novembre 2025 à Paris.

 

Mais les décisions qui devaient initialement se cantonner à une révision des normes d'émissions de CO2 et à un avancement de la clause de revoyure en 2025 contre 2026, comme le prévoyait le règlement, pourraient décevoir beaucoup d'acteurs.

 

Car le paquet automobile prend aujourd'hui l'allure d'un chantier réglementaire tentaculaire. Un fourre-tout auquel est venu se greffer la création d'une petite e-car européenne, le verdissement des flottes d'entreprises, un volet de simplification administrative et aujourd'hui un minimum de contenu local demandé par les équipementiers.

 

Le contenu local devient une ligne de fracture

 

Porté depuis des mois par Christophe Périllat, directeur général de Valeo, puis par l’ensemble des grands équipementiers comme OPmobility ou Forvia, le contenu local européen est devenu un sujet explosif. Son objectif est de protéger l'industrie automobile européenne et notamment les fournisseurs des rangs 2, 3, voire 4 qui sont aujourd'hui les plus exposés aux délocalisations et à la concurrence chinoise.

 

Le gouvernement français en a même fait un point non négociable dans ses discussions avec l'Allemagne, en contrepartie d'une ouverture technologique avec les PHEV, les biocarburants et les modèles électriques à prolongateurs d'autonomie (REEV) après 2035. Berlin pousse, de son côté, pour assouplir l’interdiction totale du thermique en 2035.

 

 

"Nous devons avoir une réelle préférence pour le fabriqué en Europe, afin que nous puissions nous battre avec nos propres armes. Le libre-échange ne fonctionne que si tout le monde joue avec les mêmes règles", affirmait Roland Lescure, ministre de l'Économie, devant les industriels réunis à la journée de la filière automobile.

 

Mais une fois le principe accepté, la question de son application révèle des divergences profondes. Les équipementiers militent pour un seuil élevé, proche de celui observé sur les thermiques. Selon eux, il faudrait que 75 % de la valeur ajoutée d’un véhicule électrique soient produits en Europe pour éviter un affaissement des commandes et garantir la montée en puissance des filières stratégiques : batteries, électronique et moteurs électriques.

 

Un double filet de protection pour les équipementiers

 

Le Gerpisa, qui a travaillé sur le principe de contenu local, propose même un double filet de protection. Les constructeurs devraient être soumis à 80 % de la valeur des pièces achetées pour assembler un véhicule d'origine européenne.

 

"80 %, ce n’est pas une camisole. Aujourd’hui, on est déjà au-dessus. C’est un filet de protection : ça empêche simplement les constructeurs de faire demain ce qu’ils ne font pas encore aujourd’hui, à savoir basculer massivement leurs achats en Chine", affirme Tommaso Pardi, économiste et chercheur au CNRS, président du Gerpisa.

 

Enfin, le cabinet d'études propose un minimum de 70 % d'achats locaux pour les fournisseurs de rang 1.

 

"Si on ne protège que le sommet de la filière, les rangs 1 vont être contraints de se sourcer massivement en Chine pour rester compétitifs. Et derrière, ce sont les rangs 2 et 3, les plus fragiles, qui trinqueront. D’où l’idée de deux «poupées russes» : 80 % pour les constructeurs, 70 % pour les rangs 1", poursuit-il.

 

Les constructeurs soutiennent, eux, un dispositif bien différent. Renault, Stellantis et Volkswagen plaident pour un seuil fixé à 60 % et calculé non pas modèle par modèle, mais sur l’ensemble des ventes réalisées en Europe. Selon eux, seule une approche par flotte permettrait de tenir l’équilibre déjà fragile entre coût, compétitivité et maintien d’une offre accessible pour les consommateurs européens.

 

 

Pour ces constructeurs, une méthode centrée sur chaque véhicule renchérirait mécaniquement les petites voitures, segment où les marges sont les plus étroites. Une conséquence en contradiction totale avec l’objectif politique d’encourager des voitures électriques abordables.

 

Divergence de méthode pour calculer le contenu local

 

Reste que cette position du groupe Renault a mis le feu aux poudres dans ses relations avec l'administration française.

 

La divergence ne porte pas seulement sur le seuil à atteindre, mais aussi sur la manière de calculer l’origine européenne d’un véhicule. Les pouvoirs publics militent pour la méthode fondée sur la "dernière transformation substantielle" du produit.

 

Une règle habituelle dans les échanges commerciaux mondiaux. Concrètement, il suffit d’acheter des matières premières en Chine, de les transformer en Europe pour considérer le produit comme européen.

 

"Cette définition ne dit rien du sourcing réel. Elle n’a jamais été conçue pour protéger une filière, mais pour définir administrativement ce qui est «produit en Europe». Si on s’en contente, on laisse les rangs 2 complètement exposés à un basculement massif vers la Chine", explique Tommaso Pardi.

 

Renault, tout comme Stellantis et Volkswagen, estiment qu’une telle approche ferait naître une bureaucratie impossible à gérer pour les fournisseurs européens, qui devraient démontrer, pièce par pièce, l’origine des composants jusqu’aux rangs les plus profonds de la chaîne d’approvisionnement.

 

Une voiture électrique comptant plus de mille composants référencés, le constructeur juge que cette méthodologie transformerait le dispositif en véritable "usine administrative", inapplicable dans les délais impartis.

 

Les constructeurs défendent donc un critère plus opérationnel : la dernière transformation industrielle, quitte à ajouter des garde-fous pour éviter les dérives consistant à requalifier artificiellement des pièces importées.

 

Un "paquet automobile" devenu ingérable

 

L’extension du périmètre du paquet et l’inflation du débat sur le contenu local ont rendu les discussions extrêmement complexes.

 

Au sein même du collège des commissaires européens, plusieurs directions générales défendent des intérêts divergents : la DG Climat campe sur une lecture stricte des objectifs environnementaux, la DG Commerce s’inquiète des risques de non-conformité aux règles de l’OMC, et les services de la présidente Ursula von der Leyen tentent de maintenir une cohérence politique globale.

 

Pendant ce temps, les constructeurs alertent : l’enlisement du débat sur le contenu local occulte les sujets les plus pressants.

 

L'urgence de traiter les émissions des utilitaires et l'échéance 2030

 

Le premier concerne les véhicules utilitaires légers. Les objectifs 2025-2027, tels qu’ils sont aujourd’hui définis, sont jugés inatteignables par l’ensemble de la filière. Les constructeurs plaident pour un allongement de la période de moyenne à 2029. Faute de quoi ils devront prendre, dès l’an 2026, des décisions industrielles lourdes aux conséquences immédiates.

 

Le second point critique est la trajectoire 2030. Avec un marché électrique qui plafonne autour de 16 %, loin des 22 à 25 % requis pour suivre la pente réglementaire, les industriels considèrent l’objectif comme hors de portée. Nombre d’entre eux estiment que, sans ajustement rapide, le mur de 2030 sera percuté de plein fouet.

 

Dans ces conditions, la perspective d’un paquet complet présenté le 10 décembre 2025 apparaît de plus en plus improbable.

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