Moretto, un groupe qui a de la ressource

"La quarantaine, n’est‑ce pas le bel âge pour investir ?" Cette réflexion, José Moretto a certainement dû l’avoir quand, au début des années 1990, après une carrière de commercial pour les lubrifiants Motul en Lorraine, il se lance dans la distribution automobile.
Ce vendeur hors pair décide alors de faire construire une concession à Verdun (55), son fief, avec son associé d’alors, Dominique Jean, un ancien agent Renault. Approché par une marque, cela sera finalement avec Ford qu’il signera.
Très vite, à une époque où la performance d’une concession est intimement liée à celle des ventes de véhicules, José Moretto explose les compteurs. Un résultat qui lui permet en 1998 de reprendre une deuxième affaire, toujours avec l’Ovale bleu sur le fronton, celle de Bar‑le‑Duc (55).
Cette première acquisition sera le départ de près de trois décennies de croissance externe non‑stop. C’est également à cette période, en 2000 pour être précis, que Fabien, l’un des deux fils de José, rejoint l’affaire familiale. Une envie particulière ? "De ses deux enfants, j’étais probablement celui qui était le plus dédié à l’accompagner dans cette activité", présente Fabien.
Après des études de commerce, il va donc s’occuper de la concession de Bar‑le‑Duc et part s’installer dans l’une des plus petites préfectures de France. Mais quelques mois plus tard, le décès soudain de l’associé de son père projette Fabien, accompagné rapidement par son frère Stéphane, encore plus dans l’entreprise.
Association familiale
En 2002, les trois hommes s’associent et les concessions gagnent des parts de marché en local. En 2004, comme beaucoup de distributeurs Ford, ils intègrent alors le panneau Mazda à leurs deux points de vente. Mais cela ne leur suffit pas.
Soutenu par les bons résultats "avec des performances deux fois supérieures à celles de la marque au niveau national", Fabien veut se développer avec Ford.
Au gré de l’évolution du réseau, Saint‑Dizier (52) et Vitry‑le‑François (51) sont disponibles. "D’une petite affaire de 25 personnes, nous sommes passés à une cinquantaine", se rappelle Fabien Moretto. C’est à cette période que le groupe commence à se structurer, tandis que José se retire progressivement pour laisser la barre à ses deux fils. 2009 marque l’entrée dans le réseau Nissan, de nouveau à Saint‑Dizier, qui est la plus grande ville de leur zone de couverture.
Vitesse supérieure
La décennie 2010 sera celle où le groupe passera à la vitesse supérieure. Jusqu’à présent resté dans son département d’origine, en débordant légèrement sur la Haute‑Marne, des territoires très ruraux et peu densément peuplés, le concessionnaire découvre la distribution automobile près d’une frontière.
En 2012, il reprend, en effet, Ford à Longwy (54), à quelques encablures de la Belgique et du Luxembourg. "Il s’agit d’un territoire très compliqué avec assez peu de vie commerçante locale et tendu pour le recrutement, le Luxembourg voisin attirant la majorité des emplois, explique Fabien Moretto. Les affaires frontalières sont difficilement rentables car le coût salarial y est plus important que dans les autres concessions."
Un an plus tard, une quatrième marque vient s’ajouter au portefeuille. "Nous distribuons Hyundai à Verdun, Longwy et Saint‑Dizier, des territoires qui n’étaient pas couverts ou très peu par la marque", indique le dirigeant qui, à cette époque, détient sept sites et emploie 85 personnes.
En 2016, il accélère encore en reprenant la concession Citroën et DS Automobiles à Saint‑Dizier. C’est à ce moment que le groupe se structure et intègre un nouvel associé, Morgan Mayor qui s’occupait précédemment de la concession de Saint‑Dizier.
"Nous avons donné une nouvelle impulsion, se rappelle Fabien Moretto. Le groupe se devait de grandir aussi bien par volonté que par nécessité." Il affiche la stratégie de doubler son chiffre d’affaires en cinq ans.
Pour y arriver, une opportunité s’offre à lui : la concession Ford de Metz (57), à laquelle est rattachée celle de Thionville (57). Jusqu’à présent détenues par le groupe Gerbier, ces affaires sont à vendre.
Le défi est de taille. L’agglomération compte, en effet, plus d’habitants que tout le département de la Meuse. "Nous avons découvert des habitudes de consommation et de travail très différentes de celles que nous connaissions dans nos autres affaires", se remémore Fabien Moretto.
Mais arrive, en mars 2020, le confinement. "Reprendre une telle activité pour l’arrêter contraint quelques mois plus tard a été un sacré coup dur", poursuit‑il.
Frontière allemande
Une fois la pandémie passée, il reprend en 2021 le panneau Ford à Stiring‑Wendel, dans la banlieue de Forbach (57), et à Sarreguemines (57).
Là aussi, c’est encore une autre façon de travailler, les deux adresses étant juste à la frontière allemande. "Celle de Sarreguemines est encore plus particulière, car elle est très liée au site de production Ford de Saarlouis, se trouvant de l’autre côté de la frontière, explique‑t‑il. Avec la fin programmée de l’usine, l’avenir risque d’être compliqué."
La même année, il se développe avec Mazda en reprenant les sites de Metz et de Thionville auprès de Philippe Blanquier, un des plus anciens et des plus importants concessionnaires Mazda de France. En 2020, ce dernier pointait effectivement à la 3e place.
Si jusqu’à présent, le groupe n’a cessé de grandir depuis sa création, il est obligé en 2022 de céder l’affaire Citroën de Saint‑Dizier au groupe Féline. Avec le recul et la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la marque, c’est un soulagement pour le dirigeant.
Cette cession lui permet surtout de se tourner vers un autre constructeur aux exigences beaucoup moins importantes que celles de Stellantis. "Nous intégrons Suzuki avec la reprise de la concession de Metz au groupe PWA et nous ouvrons Verdun et Saint‑Dizier qui étaient des zones non couvertes", explique Fabien Moretto.
Diversification
Si le groupe Moretto fait une pause en 2023 dans l’acquisition de concessions automobiles, il ne cesse pas pour autant sa croissance externe.
Pour cela, il s’aventure sur d’autres terrains de jeu. Il se lance dans la voiture sans permis avec le panneau Ligier qu’il installe à Metz, tandis qu’à Verdun, il reprend son voisin, concessionnaire de deux‑roues (Yamaha et Husqvarna).
"Mon frère est un passionné de deux‑roues, cela a été une belle opportunité pour nous développer", présente le dirigeant. Ces deux acquisitions sont surtout l’occasion de changer d’air et de retrouver une certaine liberté dans le commerce, une liberté que le groupe dispose également avec le lancement, il y a quelques années, de son enseigne Labeloccaz, installée à Woippy (57), dans la banlieue de Metz. "Nous réfléchissons à la développer sur d’autres sites", glisse le dirigeant.
Seulement, le 10 janvier 2024, "je m’en souviens comme si c’était hier", s’émeut‑il, un coup de fil mettra en péril le groupe. "La concession Ford de Metz est en feu !", l’informe son interlocuteur au bout du fil.
"Tout s’arrête, lâche‑t‑il. C’est une situation pire que celle que nous avons connue à l’annonce du confinement." Un incendie accidentel dont les causes ne sont toujours pas expliquées un an après. "Même si notre siège est ici, à Belleville‑sur‑Meuse (55) [agglomération de Verdun, NDLR], tous nos serveurs informatiques étaient à Metz, poursuit‑il. Il a fallu très vite se remettre en ordre de bataille, trouver des solutions immobilières de repli, racheter tout le matériel. Les affaires de Metz, portées par Ford, représentent 30 % de notre activité", insiste Fabien Moretto.
Par chance, l’incendie, qui a pris en fin d’après‑midi, n’a blessé aucun des 46 collaborateurs que comptait le point de vente et a touché seulement une vingtaine de véhicules. "Nous avons la chance de disposer de deux autres sites, un à Woippy, un à Metz, tous deux avenue de Thionville, qui nous ont permis de relocaliser chacune de nos activités. Ford côté Woippy au 76 et Suzuki a rejoint nos locaux Mazda au 149", indiquait Morgan Mayor à nos confrères de France Bleu Lorraine un mois après le sinistre.
"Nous avons été très soutenus par nos marques qui ont accepté cette situation transitoire qui perdure encore, car rien n’a encore été reconstruit. Nous ne sommes d’ailleurs pas propriétaires des lieux et nous sommes encore en cours de discussion sur ce que nous allons faire."
Restructuration
Cet incendie a également fait prendre conscience de la relative fragilité du groupe. "Nous avions grandi de façon empirique, sans réelle structuration, constate Fabien Moretto. Nous pensions déjà en 2023 à faire évoluer notre organigramme, mais le sinistre a précipité notre réflexion." Le groupe a ainsi constitué une équipe dirigeante, présidée par Fabien Moretto, dont font partie Morgan Mayor, en charge de la partie automobile, Stéphane Moretto, qui gère le deux‑roues et l’immobilier, ainsi qu’Hélène Poirot‑Villano, directrice générale adjointe en charge des fonctions de support.
"Nous disposons de directions opérationnelles avec des responsables de pôle qui gèrent également des marques", poursuit le dirigeant. Car 34 ans après sa création, le groupe Moretto, qui est présent sur treize sites, réalise un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros, a commercialisé 2 000 VN et 1 500 VO et emploie 250 collaborateurs.
"Outre notre restructuration, nous travaillons activement pour optimiser les charges de nos points de vente, présente Fabien Moretto. En tant que distributeur dans des zones rurales, nous mutualisons sur un même lieu nos marques, tout en gardant bien sûr leurs univers respectifs. Notre politique est de disposer de concessions rentables plutôt que d’avoir de la rentabilité par marque."
C’est par exemple le cas à Saint‑Dizier où les quatre marques représentées (Ford, Hyundai, Nissan et Suzuki) vont être regroupées, tandis qu’à Verdun, une nouvelle concession va voir le jour pour accueillir Mazda et Hyundai, trop à l’étroit aujourd'hui, et Suzuki rejoindra Ford et prendra la place laissée par ces deux marques. "Nous sentons que dans le contexte actuel, les constructeurs sont aujourd’hui beaucoup plus souples qu’ils ne l’étaient auparavant concernant la politique des showrooms", indique le dirigeant.
Début 2025, le groupe Moretto n’a pas mis fin à sa volonté de grandir encore. Il est à l’affût d’opportunités, mais pour des questions de cohésion et de rentabilité, principalement sur son territoire et dans les marques qu’il représente.
Toujours dans une logique de diversification, il projette également de se développer dans d’autres activités. "Pourquoi pas la location courte durée ?", lâche Fabien Moretto. Eh oui, pourquoi pas ?
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