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Distribution

Le "village gaulois" de Richard Drevet

Publié le 7 juin 2022

Par Jean-Baptiste Kapela
12 min de lecture
Le groupe Richard Drevet va bientôt fêter ses 30 ans. En trois décennies, le petit distributeur lyonnais a su se faire une place parmi les mastodontes locaux et nationaux qui l’entourent. Rencontre avec le fondateur au parcours atypique.
Richard Drevet dans le bureau de sa concession à Villeurbanne.

Un rhinocéros argenté, un rhinocéros en cuivre, un petit rhinocéros rouge, un autre marron et un grand portrait… de rhinocéros. Non, nous ne sommes pas en plein rêve psychédélique, ni dans une pièce d’Eugène Ionesco, mais dans le bureau de Richard Drevet. Situé dans sa concession, au cœur de Villeurbanne (69), le distributeur lyonnais a choisi pour totem l’animal cornu. "Depuis mon enfance, je suis impressionné par cette bête. Pour moi, le rhinocéros représente la force. Il s’agit d’un animal très calme, qui n’attaque qu’en cas de danger. Et lorsqu’il charge, il peut être très dangereux", sourit Richard Drevet avec fascination. Au vu de son parcours, son intérêt pour la bête devient parfaitement logique.

 

Au mois d’août 2022, il célébrera les 30  ans de son entreprise. Entouré de grands groupes régionaux et nationaux de distribution, il s’agit du dernier concessionnaire de taille "modeste" à rester à flot sur Lyon. Petit en taille, mais grand en matière de performances. Il est le quatrième distributeur Suzuki sur les 200 que compte la marque nipponne dans l’Hexagone. Fier de son entreprise, Richard Drevet qualifie lui‑même cette dernière de "village gaulois". Un village de 40 salariés, s’étalant sur 9000 m², idéalement situé en centre‑ville qui est composé de trois points de vente Suzuki, Citroën et Peugeot, Fiat et d’un atelier.

 

La concession de Richard Drevet se trouve dans une ancienne usine.

 

Le lieu a une particularité: c’est un agglomérat d’anciennes usines datant de 1905. Il est d’ailleurs possible d’apercevoir la vieille cheminée de l’une d’entre elles. "Je suis tout seul en centre‑ville et je me bats avec mes propres moyens. Contrairement aux autres groupes, je ne mise pas sur l’aspect financier, mais principalement sur le relationnel. Ce fut d’ailleurs compliqué de ce point de vue, mais j’ai eu la chance d’avoir rencontré les bonnes personnes tout au long de ma carrière professionnelle", précise Richard Drevet. Contrairement au village d’Astérix, le groupe s’est étendu avec deux garages Suzuki à Tassin et Villefranche (69) en 2019 et 20 collaborateurs, qu’il a récupérés au groupe Suma.

 

De carrossier à agent

 

Le groupe a, aujourd’hui, une bonne réputation et réalise de bons résultats avec 700 VN Suzuki, 103 VN Citroën, 99 VN Peugeot et 20 VN Fiat vendus et un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros en 2021. Mais avant d’en arriver à ce niveau, Richard Drevet a réalisé un véritable parcours du combattant. Si ses parents étaient agents Citroën, rien ne le prédisposait à travailler dans l’automobile. Il admet: "L’auto n’est pas une passion à la base. Je ne suis pas un fan de grosses voitures. Ça m’est tombé dessus et aujourd’hui, j’adore ça."

 

A  16 ans, il passe son CAP de carrossier et commence son apprentissage au garage Citroën de Lyon. "J’aimais bien la carrosserie. Ce qui me plaît dans ce métier, c’est la modification radicale du véhicule. D’une voiture abîmée, en ressort une plus belle, qui brille… J’aime cette transformation… cette propreté. La grande cathédrale Citroën rue de Marseille était un endroit incroyable ! L’espace est tellement vaste que les passants pensaient que des voitures étaient produites là‑bas", renchérit‑il en riant. Richard Drevet a travaillé quatre ans au sein de ce garage classé monument historique. Puis son père décide de le recruter pour développer la carrosserie. Il y restera six ans. Malheureusement, par surprise, ses parents se font exproprier des locaux de l’entreprise et Richard Drevet doit repartir de zéro.

 

La concession de Richard Drevet fête ses 30 ans cette année.

 

Licencié au même titre que les dix salariés du point de vente de ses parents, il aspire à monter son entreprise. Neuf mois plus tard, en août 1992, la société de Richard Drevet est créée à Villeurbanne à 27  ans. "J’ai démarré tout doucement, à partir de rien. Au bout d’un an, j’ai vu qu’il fallait prendre une marque et j’ai repris celle de mes parents: Citroën. J’ai eu de la chance, car elle a beaucoup évolué. La Xsara, ou encore le Picasso, ce sont de beaux modèles. J’ai les chevrons au cœur", revendique‑t‑il.

 

Commençant avec quatre salariés issus du garage de ses parents, son entreprise grandit et Richard Drevet embauche davantage d’employés, dont son père. En 1994, il est l’un des premiers agents en France à avoir recruté un vendeur Citroën en alternance. Ce dernier vendait à la fois des voitures neuves et des voitures d’occasion. "Si vous n’avez pas votre propre vendeur, vous dépendez d’une succursale et ce n’est pas possible. Ce n’était pas compatible avec mon idée de faire du commerce." Son affaire marche bien, mais son ambition ne se tarit pas.

 

Un jour, je serai concessionnaire

 

Dorénavant, il n’a qu’un seul objectif: devenir concessionnaire. "Je ne sais pas pourquoi, mais mon rêve, c’était d’être concessionnaire. Depuis que je suis dans l’automobile, c’est cet objectif que je souhaite atteindre. En tant qu’agent, nous n’achetons pas, nous ne revendons pas, nous sommes des intermédiaires." Il ajoute avec fermeté : "Ce qui était important pour moi, c’était de facturer, d’acheter et de refacturer derrière au client. Que sur la facture soit marqué "Richard Drevet Automobiles". Que le client ait l’impression d’acheter la voiture chez nous."

 

Son entreprise se développe et, en 2007, Richard Drevet monte sur Paris pour potentiellement ouvrir une agence de location de véhicules. En empruntant un taxi, il se rend compte qu’il s’agit d’un modèle qu’il ne connaît pas. Il demande alors au chauffeur: "C’est une bonne marque ça… Hyundai ?" Le conducteur lui répond: "J’en suis super content, c’est une super marque ! Elle a déjà 200 000 km."

 

Intrigué, Richard Drevet se rend sur le site Internet de Hyundai dans l’espoir de prendre le panneau en tant que concessionnaire. Après s’être vendu avec ténacité auprès du constructeur sud-coréen, il signe son premier contrat de distributeur… le Graal. "J’ai voulu aller au bout des choses. J’ai un seul mot d’ordre, ne rien lâcher. Je fais un peu de sport, je cours un peu. Quand vous souhaitez abandonner, il faut continuer, c’est du mental", exprime‑t‑il avec fierté.

 

L’objectif étant atteint, rien ne peut arrêter le désormais concessionnaire lyonnais. Il ouvre son point de vente et réalise de bons chiffres. Hyundai sponsorisant l’Olympique Lyonnais, Richard Drevet signe un partenariat avec le célèbre club de foot. "Je vis une très belle aventure avec mes collaborateurs, le chiffre d’affaires explose, tout va bien, tout roule…" Une histoire d’amour qui se déroule sans accroc pendant plusieurs années.

 

Richard Drevet devient concessionnaire Suzuki en 2014.

 

Néanmoins, au bout de sept ans de bons et loyaux services, la marque décide de restructurer son réseau. Sur les 200 points de vente dans l’Hexagone, 40 sont résiliés dans l’objectif de ne garder qu’un seul gros distributeur par grande ville. En dépit de résultats honorables et de 150 voitures Hyundai vendues par an, le contrat de Richard Drevet est rompu. Un coup dur pour celui qui avait concrétisé son rêve.

 

"Ils m’ont dézingué, il n’y a pas d’autres mots. Ce fut un réel traumatisme. J’ai perdu des collaborateurs et près de 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. Je ne pensais pas faire partie des 40  concessions concernées, car je croyais que la ville de Lyon était suffisamment grande pour deux distributeurs Hyundai. Eh bien non, tout s’est fait dans mon dos et c’est le groupe Central Autos qui a été retenu." Il devient donc agent de la marque, ce qui ne lui convient pas du tout.

 

De la Corée au Japon

 

A deux doigts de la faillite, Richard Drevet a bien cru que c’était la fin de son entreprise. Il se désole: "2014 a été l’une des années les plus compliquées pour moi. Ça m’a tellement fait mal, mais j’avais la rage de rebondir. J’aurais pu déposer le bilan car ça joue à pas grand‑chose, quand vous êtes seul, que vous n’avez pas de financier derrière. Heureusement que j’étais bien entouré." En effet, au bord du précipice, les liens d’amitié deviennent essentiels. Jean‑Pierre Rinaudo, PDG du groupe Vulcain, a été l’un des principaux soutiens moraux de Richard Drevet dans ce moment difficile.

 

A lire aussi : Trois garages déboutés de leur plainte contre Hyundai

 

Ce dernier le considère comme son mentor. Il va donner à l’agent une information qui va lui changer la vie. En 2014, Vulcain distribue les marques Volvo, Land Rover ou encore Opel et annonce qu’il compte céder le panneau Suzuki. "Jean‑Pierre Rinaudo m’a dit d’envoyer une candidature à Suzuki France avec une lettre de motivation et mon CV. "Ils cherchent la bonne personne et je suis convaincu que tu es la bonne." C’est ce que j’ai fait… Trois à quatre mois plus tard, j’avais des voitures Suzuki dans ma cour", s’amuse Richard Drevet.

 

C’est à partir de là que commence une véritable histoire d’amour entre le Lyonnais et la marque nipponne. Soif de revanche, il revient en force sur la plateforme lyonnaise de la distribution automobile en moins d’un an, avec la volonté de prouver au secteur qu’il n’est pas là par hasard. "Je veux vraiment montrer que mon équipe et moi nous sommes toujours présents et que nous allons réussir. Nous explosons les compteurs et dès le départ, je m’éclate, j’apprécie le relationnel avec les personnes du siège de la marque." Dès la première année, l’affaire marche et il arrive à vendre 100 voitures.

 

Le salon automobile de Lyon, son rendez-vous incontournable

 

Un an après avoir pris le panneau Suzuki, Richard Drevet participe à son premier Salon automobile de Lyon en 2015, qu’il fera chaque année et qui lui apporte une certaine notoriété. Pour lui, il s’agit d’un événement très important qui offre de réelles opportunités de vente. Il réunit beaucoup de clients potentiels, avec beaucoup d’incertitudes sur le choix de leur voiture face aux réglementations. La première année, en 2015, a permis à Richard Drevet de vendre 40  véhicules, 60 en 2017, 80 en 2019, puis 69 en 2022, sur le stand Suzuki.

 

Jean-Pierre Rinaudo (Vulcain), Stephane Magnin (Suzuki France) et Richard Drevet, directeur de trois sites Suzuki dans la région lyonnaise.

 

"Il s’agit d’un très bon record. Au regard d’autres marques généralistes, l’équipe a été très performante. J’aime beaucoup ce salon, car tout est carré et simple. Ce n’est pas celui qui aura le plus gros stand qui attire le plus de clients. Les gens s’y retrouvent et ils aiment que ce soit familial", précise le concessionnaire. L’édition  2022 a été particulièrement fréquentée avec 5 % de visiteurs en plus par rapport à 2019, soit 65 000 personnes présentes pour les cinq jours. Pour motiver ses troupes, Richard Drevet précise à ses collaborateurs au début du salon: "Vous avez une chance inouïe d’être là, jamais vous ne verrez autant de prospects. Même si la société tire sur l’automobile, elle fait encore rêver."

 

Le relationnel à cœur

 

En amoureux du commerce, Richard Drevet aime le management et met l’accent sur le relationnel, qui est le socle de son succès. Ses collaborateurs sont le fer de lance de sa stratégie et la plupart d’entre eux ont été recrutés au sentiment. Il explique : "Je suis très proche de mes collaborateurs, c’est important pour moi. Si je suis là, c’est grâce à eux, puis aux clients. Je préfère être juste avec mes salariés et les écouter. Il y a un véritable partage avec eux et ils savent qu’ils peuvent me parler de leurs problèmes."

 

60  collaborateurs travaillent avec lui, mais il n’a pas peur de recruter et de former des jeunes. Certains d’entre eux restent d’ailleurs en contact avec lui après leur période d’apprentissage. Richard Drevet les qualifie affectueusement de "bébés Drevet". "Beaucoup d’entre eux ont commencé avec un bac pro, un CAP, une licence ou un BTS chez moi et ont gravi les échelons. Ça fait chaud au cœur, vous formez les gens, ils sont reconnaissants et parlent de vous comme d’une bonne école. Il faut former les jeunes, car il est tellement difficile de recruter du personnel, affirme‑t‑il. Parmi les "bébés Drevet", certains sont devenus des agents, d’autres ont ouvert leur garage et puis certains sont devenus chefs des ventes pour des marques premium. D’ailleurs, c’est assez dingue, ceux qui travaillent chez Porsche et Audi à de belles places sont venus au stand Suzuki pour boire un verre au salon de Lyon."

 

 

Lors de l’édition 2022 de ce dernier, sa fille, âgée de 19 ans, fait partie de son équipe de vendeurs. En alternance dans l’entreprise de son père, il s’agit de son premier salon. Par ailleurs, avec son fils âgé de 31 ans, conseiller clientèle Peugeot depuis trois ans et Catherine, sa femme, comptable de la société, l’affaire prend un virage familial.

 

"Le fait d’avoir mes enfants qui ont rejoint l’entreprise me fait voir les choses différemment. Ce fut une réelle surprise quand ils m’ont annoncé, le jour de mon anniversaire, qu’ils avaient pris la décision de travailler dans le secteur. Je m’en souviens encore, nous étions dans un restaurant en 2019." La question de l’héritage commence à faire réfléchir Richard Drevet. Il se concentre désormais sur la stabilisation post-crise sanitaire et la poursuite de son développement.

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