S'abonner
Constructeurs

Stellantis : pourquoi le marché ne croit plus en la méthode Tavares

Publié le 9 octobre 2024

Par Nabil Bourassi
6 min de lecture
Les investisseurs, qui portaient aux nues Carlos Tavares pour son bilan spectaculaire à la tête de PSA puis sa fusion avec Fiat Chrysler, estiment désormais qu'il est devenu le principal problème de Stellantis. Sa méthode focalisée sur la réduction des coûts aurait été trop loin. Le marché réclame un changement d'orientation stratégique, sans attendre la fin de son mandat.
Carlos Tavares
Carlos Tavares est dans le collimateur des marchés après le "profit warning" publié fin septembre 2024. ©Stellantis

C’est l’effondrement d’un château de cartes. Après le choc des avertissements sur les résultats de BMW, Mercedes et Volkswagen, celui de Stellantis a suscité une véritable onde de choc. Le groupe automobile dirigé par Carlos Tavares ne s’est pas contenté de revoir ses objectifs de taux de marge à la baisse, il a prévenu que son flux de trésorerie basculerait dans le rouge vif… Entre cinq et dix milliards d’euros de trésorerie en moins, alors qu’un an auparavant, il avait généré plus de 13 milliards de cash. Dans un secteur extrêmement capitalistique, le free cash flow est l’un des indicateurs financiers les plus suivis par les marchés.

 

A lire aussi : Stellantis annule ses objectifs financiers de 2024, le cours de Bourse dévisse

 

"Si la révision des objectifs était attendue, son ampleur surprend et est bien supérieure aux alertes observées jusqu'ici chez les constructeurs allemands", écrit UBS dans une note sévère.

 

Une action en chute libre

 

L’action n’a pas résisté à cette annonce et a dévissé de plus de 14 % sur la seule journée du lundi 30 septembre 2024. Depuis le 1er janvier, la capitalisation de Stellantis a fondu de plus de 40 %. Pour les marchés, le profit warning de Stellantis est plus qu’une déception, c’est une véritable rupture avec la stratégie suivie jusqu’ici. Avec Carlos Tavares, lui-même, dans le collimateur. 

 

"Stellantis, c’était une boîte qui se payait deux à trois fois les bénéfices, c’est relativement pas cher vu les standards du marché. Il versait un dividende généreux. Jusqu’ici, cela ressemblait à un long fleuve tranquille. La sanction est à la hauteur de la déception", résume Frédéric Rozier, gérant de portefeuille chez Mirabaud AM. 

 

"Ils ont trop tardé à communiquer sur leurs difficultés. Il y a eu des petites références ci ou là, mais rien qui laissait présager un profit warning de cette ampleur. Avant cela, le marché s’attendait à une marge à deux chiffres", ajoute-il. 

 

L'Amérique du Nord, caillou dans la chaussure

 

Depuis avril, Stellantis fait savoir que le marché nord-américain est en difficulté avec des ventes en forte baisse (-20 %). Lors des résultats semestriels, le marché apprend que Stellantis n’est pas parvenu à enrayer cette baisse, tandis que ses principaux rivaux n’ont pas plongé de la même manière, voire sont en hausse. Enfin, c’est la situation des stocks qui a surpris. Carlos Tavares a laissé les stocks s’accumuler aux États-Unis. "Nous avons été arrogants, et quand je dis nous, je parle de moi", a-t-il confessé auprès des investisseurs en août. Mais Stellantis laissait alors sous-entendre que la situation était sous contrôle et maintenait ses objectifs.

 

A lire aussi : Stellantis : Carlos Tavares tente de rassurer après un premier semestre 2024 compliqué

 

Pour Benjamin Sacchet, directeur-associé chez Avant-Garde Family Office, il faut relativiser. "C’est le jeu des sociétés cycliques qui sont soumises à des effets ciseaux entre la baisse de la demande et des coûts fixes importants. Il faut se souvenir que la marge était très élevée et qu’elle revient tout simplement à un niveau plutôt normatif. Pour l’heure, la trajectoire à long terme n’est pas remise en cause", explique-t-il. "Ils disposent d’énormément de cash, il n’y a donc, à ce stade, pas péril en la demeure en matière de trésorerie", rassure également Frédéric Rozier qui s’inquiète toutefois des conséquences sur les dividendes futurs.

 

La méthode Tavares remise en cause

 

De nombreux analystes estiment cependant que Stellantis est arrivé au bout d’une méthode. La dégradation des objectifs "soulève des questions importantes sur la vision de la direction pour l'entreprise (...) et sa crédibilité auprès des investisseurs", note ainsi le cabinet Oddo BHF dans une note citée par l’AFP.

 

Les analystes remettent en cause le management Tavares qui a conduit à de très nombreux départs de talents, de figures de l’entreprise, et qui n’étaient pas toujours remplacés. De nombreux services vivaient sous pression et en sous-effectifs. De l’entreprise agile revendiquée lors de sa direction de PSA, Stellantis est devenue une immense structure paralysée par "les process". En quatre ans d’existence, Stellantis s’est séparé de près de 40 000 salariés… 

 

C’est l’autre critique adressée à Carlos Tavares. "Stellantis est peut-être arrivé au bout des économies d'échelle possibles grâce aux nombreuses synergies mises en œuvre et à du cost killing", admet Benjamin Sacchet. "Carlos Tavares a tout misé sur les coûts, Stellantis est désormais sur de l’incompressible, le cost killing ne suffira pas", abonde Frédéric Rozier.

 

Par exemple, les gammes ne se renouvellent pas suffisamment vite. Aux États-Unis, Chrysler ne voit toujours rien venir et le catalogue se limite désormais à un seul modèle, le Pacifica. Même sujet chez Maserati ou plus proche de nous, la marque DS, qui devrait enfin voir sa première nouveauté après quatre ans de silence radio. 

 

Le marketing a été sacrifié sous Tavares

 

Le cost killing a également fait des dégâts côté marketing. En coulisses, les marques se plaignent de disposer de peu de marges de manœuvre pour communiquer sur leurs produits ou tout simplement sur leur univers de marque grâce à du marketing corporate. "Une marque comme Citroën aurait dû redoubler d’efforts de communication pour mieux faire connaître son nouveau positionnement et ses produits… Citroën a raté de nombreuses opportunités de vente parce que le ROI n’était pas suffisant selon les standards de Carlos Tavares", nous confie un ancien de la marque. 

 

Stellantis a donc tranché. Après avoir annoncé une réflexion sur la suite du mandat de Carlos Tavares début 2026, sans exclure sa reconduction, le groupe a finalement annoncé qu’il ne rempilera pas. Une sanction sévère juge Benjamin Sacchet : "Il ne faut pas oublier malgré tout que Carlos Tavares a surpris les consensus depuis dix ans". 

 

A lire aussi : Carlos Tavares, Stellantis : "68 ans est un âge raisonnable pour partir à la retraite"

 

Le marché, lui, est prêt à tourner la page et le plus tôt sera le mieux car il n’aime pas le manque de visibilité sur le management. D’autant qu’une nouvelle détérioration de la situation pourrait précipiter le départ de Carlos Tavares. "Garder la même direction jusqu’en janvier 2026 risque d’être extrêmement tendu", s’inquiète Frédéric Rozier.

 

Redimensionner Stellantis

 

Mais le marché pourrait ne pas se contenter de la tête de Tavares et exiger de redimensionner Stellantis. "Trop de marques, trop d’usines, trop de marchés…" résume un analyste qui s’interroge : "Faut-il avoir trois marques premium et une marque de luxe ? Ne faut-il pas fermer une ou deux usines en Europe où le marché est en surproduction ?".

 

"Si Stellantis ne redresse pas sa situation en Amérique du Nord, ce sera l’échec de la fusion et conduirait le groupe à redevenir un groupe européen…" prévient-il.

 

A lire aussi : Carlos Tavares reste obsédé par la baisse des coûts

 

Lors de sa dernière présentation avec les journalistes, Carlos Tavares apparaissait décontracté, dédramatisant la situation. Il a préféré renvoyer la situation de Stellantis à une conjoncture défavorable, la réglementation européenne ou la concurrence chinoise. Droit dans ses bottes. 

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle