Stellantis : les revers de la méthode Tavares
Chez Stellantis, le mois d’octobre n'est pas forcément rose. Certes, Antonio Filosa vient d'annoncer un investissement colossal de 13 milliards de dollars aux États-Unis pour augmenter de 50 % sa production sur le sol américain et le lancement de cinq nouveaux modèles. Mais ce virage stratégique vers le pays de l'Oncle Sam masque à peine ses problèmes sur le Vieux Continent.
Le groupe automobile, qui réunit quatorze marques dont Peugeot, Citroën, Fiat et Opel, s’apprête à mettre six usines européennes à l’arrêt temporaire. En France, celle de Poissy (78) est particulièrement touchée : 2 000 salariés sont au chômage technique depuis le 13 et jusqu'au 31 octobre 2025, faute de débouchés pour l’Opel Mokka.
"Si l’on continuait à produire, les parkings déborderaient", résume un syndicaliste. Cinq autres sites, en Pologne, en Allemagne, en Italie et en Espagne, sont également concernés. Partout, le même constat : les voitures se vendent mal.
En Europe, entre janvier et août 2025, le groupe a perdu près de 9 % de ses volumes avec 1,143 million de voitures immatriculées. La comparaison est d'autant plus difficile que l'année 2024 était déjà marquée par une baisse de ses ventes.
Le constructeur assure que ses facturations ont augmenté sur le troisième trimestre 2025, en Europe mais aussi aux États-Unis. Mais le redressement se fait toujours attendre et surtout les 534 000 facturations annoncées sur le troisième trimestre 2025 intègrent également les ventes aux réseaux de distribution.
Autre nouvelle qui a plombé l'humeur des historiques de l'ex-maison PSA : le remaniement surprise de l'état-major du constructeur.
Jean-Philippe Imparato, qui avait été nommé à la tête de la région en octobre 2024, a été évincé de ses fonctions de patron de l'Europe élargie. Il garde Maserati (dont il avait déjà la direction) et reprend le pilotage de Stellantis & You, la filiale de distribution.
De fait, ce dernier se retrouve sous la direction de son successeur, Emanuele Cappellano. Autre nomination qui montre une plus grande mainmise des anciens FCA au sein du nouveau Stellantis : Francesco Ciancia succède au poste de directeur du manufacturing à Arnaud Deboeuf, qui quitte Stellantis.
Redresser les finances
Au premier semestre 2026, avec un décalage de quelques mois sur le calendrier prévu, le nouveau boss du constructeur dévoilera son plan stratégique qui sera scruté de près par les marchés financiers.
Stellantis a publié un chiffre d’affaires de 74,3 milliards d’euros au premier semestre 2025, en repli de 12,5 % par rapport à la même période en 2024, et une perte nette de 2,3 milliards d'euros en partie liée aux droits de douane mis en place par Donald Trump.
C'était une période magique où les constructeurs ont pu augmenter leur prix et booster leurs marges
Après une décennie triomphale, Stellantis paie aujourd’hui les revers de la méthode Tavares. Stellantis n’a pas perdu son potentiel, mais la stratégie de l'ancien directeur général, taillée pour une ère de pénurie et d’optimisation extrême, ne suffit plus à conquérir un marché fragmenté et exigeant.
"La surperformance affichée par Stellantis pendant ces dix dernières années a été permise grâce à un contexte de pénurie de l'offre dominée par la Covid-19, la crise des semi-conducteurs mais aussi la guerre en Ukraine. C'était une période magique où les constructeurs ont pu augmenter leur prix et booster leurs marges", affirme un fin connaisseur du secteur.
Le groupe affichait alors une insolente santé financière assez remarquable dans le secteur avec une marge opérationnelle de 13 % en 2023, alors que la tendance pour un constructeur généraliste ne dépassait pas les 6 % quelques années plus tôt.
Le temps du "multi-énergie"
Avant même la fusion qui a donné naissance à Stellantis, Carlos Tavares avait bâti son succès sur un principe simple et pragmatique : proposer chaque modèle en multi-énergie – essence, hybride ou électrique – selon les besoins des marchés. Ce choix, appliqué dès 2019 avec la Peugeot 208, s’était révélé payant. Les clients pouvaient choisir sans contrainte, les usines tournaient, et les coûts étaient maîtrisés grâce à la mutualisation des plateformes.
Baptisé "roi du mécano industriel", Carlos Tavares a ainsi redressé PSA, racheté et relevé Opel et permis la fusion avec FCA, grâce à une rationalisation au maximum des plateformes. Cette stratégie, généralisée à presque toutes les marques du groupe, a permis à Stellantis d’optimiser le coût de développement à un niveau rarement atteint.
Les clones se sont multipliés, les marges ont explosé, et même l’électrique semblait réussir. Jusqu’à ce qu’un grain de sable vienne enrayer la machine. D'une crise de l'offre, le secteur automobile subit de plein fouet une crise de la demande. La logique de la hausse des prix et la stratégie du pricing power ont atteint leurs limites et font plonger les ventes.
Les erreurs industrielles et la qualité en question
À partir de 2024, la situation s’inverse. Le marché passe d’une crise de l’offre à une crise de la demande. Inflation, taux d’intérêt, incertitude réglementaire : les clients hésitent ou reportent leurs achats. "Les gens ne savent plus s’ils doivent acheter de l’électrique, de l’hybride ou du thermique. Ils attendent", faisait observer un syndicaliste du groupe en France. Sur les neuf mois de 2025, les ventes de voitures neuves ont chuté de 9,5 % en France.
Pour Stellantis, ce retournement est rude. Le pricing power qui avait permis d’augmenter les prix en période de pénurie n’existe plus. Et dans un marché saturé, la méthode – fondée sur la rigueur et la chasse systématique aux coûts – montre ses limites.
La stratégie de conformité absolue aux normes d’émissions de CO2 imposées par Bruxelles a conduit à des décisions brutales, comme l’électrification intégrale de Fiat. Résultat : un effondrement des ventes et un retour précipité aux moteurs thermiques. Même désillusion avec les motorisations PureTech : cette technologie, utilisée sur plusieurs marques, a souffert d’un défaut de courroie de distribution pouvant aller jusqu’à la casse moteur. "On le traîne comme un boulet", reconnaît un salarié du groupe.
Ces problèmes techniques ont entamé la confiance des clients – et même celle des salariés. Jean-Philippe Imparato, lors de son arrivée à la tête de l'Europe, n'a pourtant pas ménagé ses efforts pour inverser la tendance : repositionnement des prix de Peugeot et de Citroën, garantie de 8 ans étendue pour tous les nouveaux clients de Peugeot... Mais regagner la confiance va prendre du temps.
Tout comme le repositionnement de Fiat et d'Opel dont les prix aujourd'hui ne correspondent pas à la clientèle traditionnelle des deux marques.
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