Software defined vehicle : quand le logiciel redessine la chaîne de valeur automobile

"Vous avez aimé la voiture électrique ? Vous allez adorer le Software defined vehicle" : la formule en forme de boutade de Guillaume Crunelle, spécialiste de l’industrie automobile et directeur associé du cabinet Deloitte, en dit long sur la révolution qui s’opère dans l’automobile. D’ici quelques années, promet‑il, une voiture dont l’électronique ne se met pas à jour automatiquement ne sera plus acceptée par le marché.
L’électronique est devenue incontournable dans l’automobile. Les plus anciens se souviennent des couacs rencontrés avec les premiers véhicules multiplexés mais depuis, les puces ont envahi tous les modèles.
Jusqu’à présent, chaque voiture embarquait 50 à 80 calculateurs, chacun dédié à une fonction précise : essuie‑glaces automatiques, régulateur de vitesse, ESP, GPS, climatisation, airbags… Le véhicule moderne est truffé d’électronique.
Avec l’architecture SDV, la donne change : un seul supercalculateur centralisé devient le cerveau de la voiture. Celui‑ci communique avec des calculateurs secondaires qui font office de routeurs : ils distribuent les informations et recueillent les données des capteurs, qu’ils renvoient au "cerveau".
Mais la révolution va plus loin : le SDV induit un découplage entre la plateforme matérielle et le logiciel. Plusieurs applications peuvent ainsi fonctionner sur le même calculateur, indépendamment les unes des autres.
On peut les mettre à jour à distance, voire en installer de nouvelles, sans passage à l’atelier. "Avec les architectures SDV, nous arrêtons l’inflation du nombre de calculateurs et nous en supprimons déjà une dizaine. Et nous pouvons enrichir en continu le contenu visible par le client", explique Antoine Vuillaume, directeur du programme SDV chez Ampere.
Une révolution comparable au smartphone
La comparaison revient souvent : le SDV est à l’automobile ce que le smartphone est à la téléphonie. En transformant le véhicule en plateforme logicielle évolutive, il permet d’ajouter des fonctions après l’achat, de personnaliser l’expérience et de corriger des défauts sans intervention physique.
"Notre volonté est de doter la voiture d’un cerveau capable d’apprendre et de s’améliorer avec le temps", insiste Antoine Vuillaume. Comme pour les téléphones, les mises à jour deviennent une partie intégrante de la vie du produit.
Pour les flottes professionnelles, cette évolution est un levier stratégique : maintenance prédictive, disponibilité accrue et gestion affinée des usages. Bosch estime, par exemple, qu’en fusionnant infotainment et Adas, il est possible de réduire de 30 % les coûts. La promesse est double : mieux servir le client, tout en maîtrisant les dépenses.
Véhicule électrique et SDV : une convergence naturelle
Le SDV est aussi un atout pour les véhicules électriques, dont les systèmes dépendent de multiples capteurs : gestion de la charge et de la batterie, planification de trajet et régulation de puissance.
En centralisant et en rationalisant ces informations, le SDV optimise l’efficacité énergétique et ouvre la voie à de nouveaux services.
Cette convergence électrique logicielle correspond à la stratégie d’Ampere (Renault). Celle de concentrer d’abord le déploiement du SDV sur les utilitaires électriques. "C’est une bonne association : les utilitaires sont très adaptés à cette transformation, car les clients professionnels perçoivent immédiatement le bénéfice des services", explique Antoine Vuillaume.
Disponibilité accrue, réduction du TCO, personnalisation métier : autant de gains tangibles qui préfigurent un déploiement ultérieur sur les voitures particulières.
Un tremplin pour la conduite autonome
L’architecture SDV constitue également une aubaine pour la conduite autonome. Cette dernière, qui nécessite une profusion de capteurs, bénéficie au maximum de la centralisation des données.
Ultrasons, lidars, caméras : chaque technologie a ses limites. "Une caméra peut être aveuglée par le soleil là où un radar voit à travers le brouillard et un lidar, la nuit", souligne Antoine Lafay, directeur recherche & innovation véhicule autonome chez Valeo.
Le supercalculateur du SDV combine ces données, les met en cohérence et les transmet à une intelligence artificielle embarquée, indispensable pour orchestrer l’ensemble.
Avec un niveau de robustesse et de redondance comparable à celui exigé dans l’aéronautique, cette centralisation pave la voie vers des véhicules toujours plus autonomes. En tout cas, sur le papier, la promesse est bien là.
Partenariats technologiques
Mais construire un OS automobile robuste et pérenne ne peut se faire seul et l’investissement est lourd. Renault a choisi de collaborer avec Qualcomm, Google et Valeo pour y parvenir. "Nous faisons le choix d’un écosystème ouvert, à l’image d’Android dans la téléphonie. Plus la base installée est large, plus les développeurs viendront proposer des innovations", résume Antoine Vuillaume.
L’objectif est clair : maximiser l’effet plateforme et attirer un large écosystème de développeurs, contrairement au modèle fermé de Tesla. Ce choix est stratégique : aucun constructeur ne peut prétendre couvrir seul tous les besoins logiciels.
Le constructeur devient un chef d’orchestre : il garantit la sécurité, la cohérence et la qualité, tandis que des partenaires enrichissent l’écosystème.
Des cycles plus courts
La bascule vers le SDV demande un investissement massif, mais les gains sont considérables. "Après l’effort initial, nous visons jusqu’à 30 à 50 % de réduction sur les délais de développement des nouveaux modèles", affirme Antoine Vuillaume.
Mutualisation des briques logicielles, intégration continue, mise à jour over‑the‑air (OTA) : la chaîne de conception est simplifiée et accélérée.
Dans un contexte de pression réglementaire, cette agilité devient un avantage concurrentiel déterminant. Car le vrai marqueur différenciant reste la vitesse de développement des véhicules et leur cadence de lancement.
Mais cela signifie également un changement profond dans l’organisation du constructeur en "cassant" les silos de l’ingénierie en développant du code par IA.
Une évolution qui préfigure également une révolution dans les organisations sociales. "Les grandes software factories se trouvent aujourd’hui en Roumanie, en Pologne, mais aussi en Inde", fait observer Guillaume Crunelle.
Une part de délocalisation qui questionne sur la pérennité des organisations, mais aussi sur la localisation cette fois des données du véhicule et des clients.
Côté après‑vente, le SDV ne manque pas non plus d’interroger. Les mises à jour over‑the‑air devraient profondément bouleverser les ateliers des réseaux.
À quand les premiers modèles ?
Tous les constructeurs ont lancé des programmes SDV. Mais tous n’en sont pas au même niveau d’avancement !
Selon un classement réalisé par S&P Global Mobility, Nio, XPeng et Tesla sont les acteurs les plus avancés.
En Europe, les marques premium ouvrent la marche : Mercedes‑Benz avec sa nouvelle plateforme MMA (CLA, Shooting Brake, SUV, mini‑Classe G), BMW avec son Neue Klasse iX3 présenté au salon de Munich au début du mois de septembre.
Certains généralistes suivent de près. Renault va dévoiler au salon Solutrans, qui se déroulera en novembre prochain, trois utilitaires d’un nouveau genre : Estafette, Trafic et Goelette, qui sortiront au premier semestre 2026 et seront les premiers du groupe à profiter de cette technologie.
Mais d’autres ralentissent. Volkswagen, qui a largement sabré dans les effectifs de sa filiale Cariad, dédiée au SDV, avec la suppression de 1 600 salariés, s’est désormais tourné vers Rivian et XPeng pour accélérer.
Stellantis ne prend plus la parole sur ce sujet et le futur Alfa Romeo Stelvio, attendu pour fin 2025 et devant embarquer la plateforme STLA Brain, ne sera dévoilé qu’au cours de l’année 2026.
Enfin, Ford a stoppé son programme FNV4 basé sur la construction d’une architecture de nouvelle génération.
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