Skoda : itinéraire discret d’une marque devenue incontournable
Renault surclassée par Skoda en 2024. C’est peut‑être un détail pour vous, mais cela en dit long sur la remarquable trajectoire de croissance de la marque tchèque qui, affublée d’une piètre réputation de marque secondaire de la constellation Volkswagen, s’est imposée comme un pilier incontournable du marché européen. Vieille de 150 ans, elle a poussé l’insolence en faisant mieux que la plupart des autres marques de sa puissante maison mère.
Sur les trois premiers trimestres de l’année, Skoda a affiché une marge opérationnelle de 8,3 %, là où celle de la marque Volkswagen est en chute libre (3,4 %), tandis que celle du groupe plafonne à 6 %.
Les profits ont augmenté plus vite que les ventes (+35 % pour le bénéfice d’exploitation, contre une hausse de 4 % du chiffre d’affaires à plus de 20 milliards d’euros). Hors VU, elle s’octroie une part de marché de 6 % en Europe et frôle les 7 % en septembre. Skoda passe devant Renault et Peugeot qui se contentent chacune de 5,4 % du marché.
Et la marque est à l’aube d’une nouvelle vague de lancements de produits qui pourrait encore accélérer cette offensive commerciale. Elle vient de rafraîchir plusieurs modèles dont le best‑seller (de loin), l’Octavia, avec 165 000 immatriculations entre janvier et septembre 2024 (+14 %).
Le deuxième modèle le plus vendu, le Kamiq, avec 92 000 unités (+8 %) a aussi été restylé cette année. La marque a également profité du déploiement des nouvelles générations de Superb et Kodiaq dévoilées en 2023.
Désormais, Skoda va surtout consolider son emprise sur le marché de la voiture électrique où elle était peu présente. Ainsi, l’Enyaq sera rejoint par l’Elroq dont les premières livraisons sont attendues en 2025. Ce SUV sera plus compact et plus accessible que son aîné qui n’a pas démérité en décrochant la 4e place des voitures électriques en 2023.
Skoda va également diversifier sa gamme avec des PHEV (hybrides rechargeables) disposant d’une autonomie de plus de 100 km.
Les retraits de Chine et de Russie ont coûté 450 000 à 500 000 voitures
Avec ce rythme de renouvellement de sa gamme, Skoda consolide sa position de marque généraliste et peut désormais relancer sa stratégie d’internationalisation hors d’Europe.
Il faut dire que l’après‑Covid n’a pas été une mince affaire pour la marque tchèque. En 2023, elle a dû tirer un trait sur son deuxième marché mondial, la Russie, après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Soit 105 000 mises à la route. Ce marché devait représenter jusqu’à 150 000 immatriculations en 2025.
Autre déception, le retrait tactique du marché chinois où le tchèque a laissé la place à une marque du groupe, Jetta. En 2019, la Chine représentait 340 000 ventes. Au total, Skoda a perdu un potentiel de 450 000 à 500 000 immatriculations annuelles.
Cela a d’ailleurs pesé sur les comptes en 2023 où la marque a provisionné des frais de restructuration pour la fermeture de quatre usines (deux en Chine, deux en Russie).
Désormais, Skoda considère avoir redimensionné son appareil productif sur ses marchés prioritaires. Mieux, elle a compensé une partie de cette perte par des ventes en hausse en Europe et surtout un mix produits supérieur.
Pas question pour autant d’abandonner l’international et Skoda se concentre sur l’Inde où elle est particulièrement dynamique avec 53 000 immatriculations en 2024 (plus que Volkswagen). Elle dispose d’un centre de R & D sur place et espère percer avec une gamme spécifique aux pays émergents.
Après avoir commercialisé avec succès le Kushaq et la Slavia en 2021, Skoda veut relancer des ventes qui s’essoufflent avec l’arrivée d’un nouveau modèle, le Kylaq, un SUV de 3,99 m. Cette gamme doit permettre d’attaquer le marché plus large des pays émergents d’Asie, notamment à travers une base d’assemblage au Vietnam pour adresser la zone ASEAN.
Skoda doit ses performances à son positionnement, mais également à la constance de sa stratégie. La marque ne s’est jamais écartée de sa feuille de route, dessinée sous l’égide de Volkswagen.
"Skoda a suivi une stratégie de croissance saine et maîtrisée. Il n’y a jamais eu de grands coups de barre dans la stratégie qu’elle a posée brique par brique et est aujourd’hui à la tête d’une gamme qui couvre tous les segments", explique Julien Bessière, patron de Skoda France.
"Skoda n’a jamais été une marque low cost"
L’arrivée de la gamme des SUV Kodiaq‑Karoq‑Kamiq à partir de 2016 lui a permis de tourner la page du Yeti, vestige d’un Skoda postsoviétique. Les produits sont mieux finis et mieux équipés : infotainment, électrification…
Les prix sont désormais positionnés au niveau de son ambition de marque généraliste. "Skoda n’a jamais chassé dans les terres du low cost et s’est toujours projetée comme une marque généraliste", assure Julien Bessière.
Avec la gamme sport, elle prétend même disposer d’un pricing power suffisant pour aller chercher des niveaux de prix quasi premium. Non sans succès, puisque l’Octavia RS représente environ 10 % des ventes.
De plus en plus, Skoda s’affranchit également de Volkswagen, avec qui elle partage, il est vrai, technologies et plateformes, mais dont elle copie de moins en moins les modèles. La marque a ciselé son design et sa proposition de valeur pour se différencier de sa maison mère.
Skoda se veut davantage tournée vers les familles. "Aujourd’hui, on achète une Skoda parce que c’est une Skoda", se défend Julien Bessière.
D’ailleurs, l’évolution de la valeur résiduelle est l’autre levier de la robustesse du modèle économique de Skoda. Elle peut proposer des loyers particulièrement compétitifs et surtout sans apport. Grâce à cette force, la marque veut désormais être plus offensive sur le canal des particuliers où elle est historiquement faible.
En 2024, en France, elle devrait atteindre les 40 %, soit 10 points de plus en un an. Mais la bonne tenue de la valeur résiduelle est le fruit de cette stratégie de "croissance maîtrisée" qui a évité d’inonder le marché de produits Skoda. Et la discipline des prix a permis de ne pas dévaloriser le produit.
Pour préparer l’offensive en cours, Skoda a décidé de revoir son identité visuelle, lancée en février 2024, le réseau aura adopté les nouvelles couleurs de la marque à hauteur de 40 % avant la fin de l’année et 100 % avant fin 2025.
La France, rude challenge pour Skoda
Mais la marque ne doit pas négliger son marché domestique (l’Europe) et le marché français est probablement l'un de ses plus gros challenges dans les années à venir. "Historiquement, Skoda a toujours été mieux positionnée en Europe qu’en France où elle a pris du retard dans son développement", reconnaît Julien Bessière.
Avec une part de marché de 2,43 %, la pénétration de Skoda dans l’Hexagone est 2,5 fois moins élevée qu’en Europe. Il faut dire qu’elle a longtemps hésité à affronter frontalement les marques généralistes bien installées que sont Renault, Peugeot et Citroën. Mais depuis l’offensive sur les SUV, Skoda se veut plus ambitieuse. Et pas qu’un peu.
"J’ai tendance à penser que le potentiel de la marque est inouï en France. Il y a dix ans, nous étions à 1,2 % de part de marché. Nous avons le double aujourd’hui. Il y a eu une nette accélération depuis deux ans. On a trouvé la juste tonalité", juge Julien Bessière qui estime que Skoda peut raisonnablement atteindre une pénétration de 3,5 %. Pas d’euphorie donc… Rien ne sert de courir, Skoda part à point.
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