Gilles Vidal, Stellantis : "Le design est aujourd’hui l’un des seuls éléments de différenciation des véhicules"

Depuis le 1er octobre 2025, vous êtes le nouveau directeur du design des marques européennes de Stellantis. Quels sont les facteurs qui ont motivé votre retour chez ce constructeur ?
Gilles Vidal : Plusieurs éléments se sont alignés au même moment. Il y a d’abord eu le départ de Luca de Meo du groupe Renault en juillet dernier. C’est un homme assez extraordinaire avec qui j’ai beaucoup aimé travailler. Mais il y a également eu un appel du pied de Stellantis pour prendre la suite de Jean-Pierre Ploué, qui partait à la retraite. Même si l’entreprise a beaucoup changé depuis mon départ, avec cette dimension désormais mondiale, elle reste une maison où j’ai déjà passé plus de 25 ans. Et puis, l’opportunité de diriger le design des huit marques européennes de Stellantis n’arrive qu’une fois dans une vie donc la décision a été assez facile à prendre !
Quelle est votre vision sur la discipline du design automobile ?
G.V. : Le design automobile ne consiste pas uniquement à faire des jolies formes ou des jolies voitures. Il s’agit de concevoir une expérience humaine plaisante et pertinente, afin que celle-ci soit meilleure demain que celle d’aujourd’hui. Et l’esthétique n’est qu’une brique de la discipline du design. En tant que designer, il faut savoir mettre du soin et de l’amour à toutes les échelles de l’objet pour réussir à faire quelque chose d’émotionnel. Cela peut donc être au niveau de la morphologie du véhicule, mais aussi sur les matériaux utilisés dans l’habitacle jusqu’aux animations en motion design visibles sur les écrans de la voiture.
Chez Stellantis, nous souhaitons avoir autant de tendances de design qu’il y a de marques
Quelle est votre ambition pour les marques européennes du groupe Stellantis ?
G.V. : La notion de marque est importante aujourd’hui. Une marque automobile doit avoir une raison d’être. Pour exister, elle ne doit pas être seulement en mesure de proposer un bon produit mais elle doit également être capable d’apporter quelque chose d’unique. Le but étant de sortir du lot et de ne pas être noyé dans la foule. Le danger absolu, c’est de ressembler à tout le monde. L’objectif est alors de faire une icône, une voiture qui marque son époque mais qui traverse aussi les générations.
Mon ambition est donc de pousser loin la créativité. Car si le design d’un véhicule n’est pas choquant, c’est qu’il est déjà trop vieux. Mais il faut quand même savoir mettre de l’harmonie dans l’exécution afin que le design ait du sens et que cela ne soit pas non plus trop "bizarroïde". Nous devons donc réussir à être inventifs pour du meilleur et pas seulement pour du nouveau. Le groupe Stellantis compte aujourd’hui huit marques en Europe. Le but n’est pas qu’elles se concurrencent entre elles mais de les rendre performantes en cultivant les valeurs de chacune. Chez Stellantis, nous souhaitons donc avoir autant de tendances de design qu’il y a de marques.
Quelles sont les contraintes de votre métier ?
G.V. : Le métier de designer ne se cantonne pas au succès immédiat des modèles actuels. Il faut savoir se projeter sur les futurs produits de nos concurrents en partant du principe qu’ils vont être une réussite. Et c’est cela qu’il faut battre car nous (designers) sommes surtout là pour cultiver et façonner des marques qui doivent perdurer. Notre but est de consolider les marques et de les rendre intemporelles.
Toutes les marques automobiles savent faire du bon design. Mais elles sont aujourd’hui confrontées à des contraintes en termes de sécurité, d’aérodynamique ou d’intégration de certains équipements, qui sont les mêmes pour tout le monde, et donc qui tendent à faire que tout peut se ressembler très facilement. Le but pour nous designers est de parvenir à dépasser ces contraintes, tout en proposant un produit spécifique. D’autant que nous sommes dans une période où il n’y a plus autant de différenciants qu’avant, notamment en ce qui concerne les batteries, la performance, la technologie embarquée ou encore la connectivité des véhicules… Donc le design reste peut-être aujourd’hui l’un des seuls éléments de différenciation des véhicules.
L'intelligence artificielle ne remplacera pas l'intelligence créative humaine
L’émergence de l’intelligence artificielle impacte-t-elle le design automobile ?
G.V. : L’arrivée de l’intelligence artificielle est sûrement la plus grosse révolution que l’humanité ait connue. Dans le design automobile, cela fait maintenant trois ans que nous utilisons cette technologie. L’IA est un outil très puissant mais qui ne remplacera pas l’intelligence créative humaine. Car si je lui demande de me trouver les tendances de design du futur, en me générant par exemple une Citroën de 2050, elle va seulement se contenter d’aller piocher sur Internet et de me sortir une compilation de ce qui existe déjà et qui, au passage, a été créé par des humains, puisqu’il n’y a qu’eux qui sont capables de faire preuve de créativité et d’inventer des choses. En revanche, nous pouvons utiliser l’intelligence artificielle, via un outil maison, pour gagner du temps. Par exemple, en générant des alternatives d’un design déjà existant ou en créant un modèle 3D sur la base d’un croquis, et ce, en moins de 30 secondes.
Quel est votre avis sur la digitalisation des habitacles dans les voitures ?
G.V. : Sur ce sujet, je pense qu’il y aura des tendances relativement différentes. Mais selon moi, il ne faut pas commettre l’erreur de proposer une interface "cool", au détriment de l’expérience utilisateur. L’ergonomie, la lisibilité et la sécurité restent en effet des paramètres très importants. Il convient donc de trouver un juste équilibre et de ne pas tout mettre dans les écrans. Il faut par exemple garder des bons physiques qui permettent un accès instantané et spontané à certaines fonctions nécessaires.
Quelle est votre réaction sur le design du concept Polygon fraîchement présenté par Peugeot, qui préfigure la future e-208 ?
G.V. : J’ai été bluffé par ce concept que j’ai découvert en arrivant chez Stellantis. J’ai immédiatement reconnu plein de codes de la Peugeot 205 mais sans pour autant que cela soit du vintage ou du rétro design. Je trouve que c’est un vrai objet du futur très puissant, digne d’un film de science-fiction. Le concept est aussi très créatif dans ses volumes, graphiquement, mais aussi à l’intérieur avec les matériaux de sièges interchangeables ou encore l’intégration de l’hypersquare et de la direction steer-by-wire. De manière générale, je trouve que Polygon regroupe plein d’idées très justes et pertinentes sur ce que devrait être l’automobile de demain.
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