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Quand la recharge dépasse les bornes

Publié le 22 janvier 2021

Par Catherine Leroy
10 min de lecture
À quelques mois de l’objectif des 100 000 points de recharge en France, les acteurs se démènent pour accroître l’installation de bornes dans les lieux publics, les copropriétés, les entreprises et les grands axes routiers. Avec en ligne de mire, le gâteau que vont représenter à terme la vente et la gestion de l’énergie nécessaire à la recharge.
Avant la fin 2021, la France doit tripler le nombre de bornes installées sur le territoire pour atteindre l'objectif gouvernemental de 100 000 point de recharge.

 

En octobre 2020, l’Avere (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique) mettait à jour les compteurs concernant le nombre de bornes installées sur le territoire français. Alors que le gouvernement s’est mis la pression, un peu tout seul, avec la fixation d’un objectif de 100 000 bornes implantées en France, pour accompagner le développement des véhicules électrifiés, (électriques et hybrides rechargeables) à la fin de l’année 2021, l’association découvre non sans stupeur que le nombre de prises pour la recharge, au lieu de progresser comme prévu, doit être revu à la baisse, s’éloignant ainsi du but.

 

"Il y a bien sûr plusieurs aspects à prendre en compte dans la baisse du nombre de points de recharge. D’un côté, nous avons enregistré la fermeture de deux réseaux d’importance à Bordeaux (Bluecube) et à Lyon (Bluely), ce qui a réduit l’offre d’environ 900 points de charge, ce qui n’est pas rien. Mais nous nous sommes rendu compte également qu’il y avait un problème dans la façon dont sont déclarées les bornes qui possèdent des prises et donc des connecteurs différents. Dans certains cas, le branchement d’une prise condamne l’accès aux autres, réduisant d’autant le nombre de points de recharge", reconnaît Cécile Goubet, déléguée générale de l’Avere France, qui a réalisé un gros nettoyage de la base de données afin d’obtenir une meilleure visibilité du travail qu’il reste à accomplir.

 

Résultat : en France, 28 928 points de recharge ouverts étaient recensés à la fin du mois d’octobre. "Cet objectif du gouvernement va nécessiter la mobilisation de tous les outils existants, tant financiers que législatifs pour obtenir le nombre fixé", poursuit Cécile Goubet.

 

200 M€ de subventions

 

Pour y parvenir, l’aide publique reste donc primordiale. C’est la raison pour laquelle le plan Advenir, créé à la fin 2016, a été reconduit par le gouvernement jusqu’en 2023, avec une enveloppe de 200 millions d’euros (100 millions d’euros pour les grands axes routiers et 100 millions d’euros pour le reste des infrastructures), afin de créer 45 000 points de recharge supplémentaires.

 

Les montants des aides ont également été revus à la hausse. Globalement, le taux de la subvention atteint 60 % du prix de l’installation, quelle que soit la puissance de la borne.

 

Reste également à organiser les mises à jour technologiques et le rétrofit des premières bornes installées, dont certaines sont complètement hors service. Mais plus encore que le nombre de bornes, pour Cécile Goubet, l’essentiel réside dans le maillage de ces dernières, avec une répartition optimisée entre la voirie publique, les domiciles et les grands axes routiers.

 

"Aujourd’hui, l’implantation des bornes de recharge ne rend pas bien compte du service rendu. Le maillage doit être réfléchi autrement avec comme point d’orgue, le ratio point de recharge par véhicule électrique. Ainsi, l’Île‑de‑France semble être la région la mieux équipée. Or, avec 4500 points recensés, on ne compte que 1 point pour 16 véhicules, alors que la préconisation a été fixée à 1 point pour 10 véhicules, ce qui montre le niveau de tension", fait observer Cécile Goubet.

 

Un principe également mis en exergue par l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles), dont le directeur Eric‑Mark Huitema mettait en garde récemment contre un phénomène de détournement de la clientèle, pourtant séduite par les véhicules électrifiés : "Il y a un vrai risque que l’on arrive à un point où la croissance des ventes de véhicules électriques cale, si les consommateurs voient qu’il n’y a pas assez de bornes là où ils veulent se déplacer." L’organisation met également l’accent sur la faible puissance de plus de 170 000 de ces bornes, qui restent sous la barre des 22 kW, ne permettant pas une recharge rapide des véhicules.

 

Optimiser charges lentes, rapides et puissantes

 

Un récent baromètre réalisé par EVBox (fournisseur de bornes) nous montre que 73 % des conducteurs d’un VE en Europe rechargent leur véhicule à domicile et 40 % sur leur lieu de travail. Dans ce cadre, une recharge normale (sur une borne de 7,4 à 22 kW) permet de gagner jusqu’à 120 km d’autonomie en 1 h de recharge.

 

"L’important est d’adapter les solutions de recharge aux besoins des utilisateurs, car le coût d’installation des bornes n’est pas anodin", avance Jean‑Baptiste Guntzberger, directeur général de NewMotion France. Quand une borne dont la puissance est inférieure à 22 kW coûte environ 1 200 euros, une installation de recharge rapide (dont la puissance est supérieure à 50 kW) vaut près de 10 fois plus. Il s’agit donc d’affiner au plus juste la typologie des bornes et de les répartir selon les usages et le parcours du client. Sur la voie publique avec une recharge lente et peu chère, avec des bornes rapides pour ceux qui traversent la France ou même les frontières.

 

 

"Tandis que la recharge de véhicules électriques dans les centres‑villes a connu une croissance importante ces dernières années, l’absence d’infrastructures de recharge développées et fiables dans les zones rurales et en dehors des grandes villes a représenté un frein envers les véhicules électriques pour de nombreux conducteurs", explique David Mignan, directeur Europe de l’Ouest du réseau de bornes rapides Ionity.

 

Société créée par un consortium de constructeurs en Europe (BMW, Mercedes-Benz, Ford, Audi et Porsche, puis rejoints par Hyundai et Kia), Ionity est l’un des rares réseaux spécialisés dans les bornes de recharge ultrarapide, dont la puissance est supérieure à 350 kW, dont 63 stations sont installées le long des autoroutes en France.

 

Il vient juste d’être rejoint par Fastned, un opérateur néerlandais qui a obtenu le contrat avec APRR (Autoroutes Paris-Rhin-Rhône) pour développer et exploiter 9 stations de recharge le long de ses autoroutes, pendant une durée de 14 ans. Ces deux opérateurs viennent compenser la fin du réseau Corri-Door dont l’exploitation revenait à Izivia (filiale d’EDF), alors que l’installation avait été réalisée par EVBox. Le premier accusant le second de mauvais entretien et au final de dangerosité de ses bornes.

 

D’ici à 2023, le groupe Total a également annoncé vouloir créer dans 500 stations-service en Europe des bornes HPC (High Power Charge), soit environ un point de recharge tous les 150 km.

 

L’avancée des pétroliers

 

D’autres bonnes nouvelles sont intervenues également sur le front du nombre de points de charge, notamment grâce à la reprise par Total de l’ancien réseau de bornes de recharge Autolib’, créé par le groupe Bolloré.

 

Grâce à la modernisation des équipements existants et à la création de nouveaux points, à terme, ce sont 2 330 points de recharge qui viendront compléter le maillage à Paris. Le pétrolier n’est pas à son premier coup d’essai.

 

En 2020, Total s’est porté acquéreur des 1 600 Blue Point de Londres (également créés par Bolloré), mais a aussi remporté l’appel d’offres aux Pays-Bas pour implanter dans la région d’Amsterdam 20 000 bornes de recharge, sans compter les acquisitions en Allemagne ou à Bruxelles. "La stratégie du groupe Total pour l’accompagnement vers la transition énergétique est visible, que ce soit au travers de l’électrique, le GNV ou l’hydrogène. La conséquence de cette stratégie de transformation est que nous ne sommes plus un groupe pétrolier mais un énergéticien", explique Maxime Dupas, chef du département nouvelles énergies chez Total.

 

Le mouvement opéré par Total, s’il reste sans aucun doute le plus massif, n’est bien sûr pas unique dans le paysage. Le britannique BP a racheté en 2018 Chargemaster et depuis 5 ans, Shell opère également en France suite à l’absorption du réseau NewMotion fort de 170 000 bornes en Europe. Mais ce dernier investit en priorité les sociétés ainsi que le foncier à usage du public. En France, ce sont près de 4 000 bornes qui ont été installées depuis avril 2016.

 

"L’entreprise représente la majorité de notre business (environ 75 %) et nous nous déployons avec les constructeurs sur le résidentiel. Nous travaillons en partenariat avec les loueurs de longue durée qui veulent pouvoir apporter un service de recharge en même temps que le véhicule. Ainsi, nous travaillons avec Arval depuis trois ans et depuis un mois environ avec le loueur Athlon", explique Jean-Baptiste Guntzberger.

 

Mais que ce soit Total Mobility ou NewMotion, le business model de ces nouveaux énergéticiens ne repose pas uniquement sur l’installation de bornes. Pousser les portes de ce marché a d’abord consisté à proposer une carte de services pour la recharge des véhicules. Les pétroliers, étant déjà fortement implantés et en toute logique sur le segment des cartes carburant, c’est donc naturellement que ces acteurs ont ouvert leur carte de services à la fourniture d’énergie électrique.

 

Si NewMotion gère 8 900 cartes de recharge, Total Mobility revendique plus de 2 millions de porteurs d’une carte de services. "Les deux business models sont complémentaires. Nous offrons un écosystème complet composé de plusieurs briques : des bornes aux cartes de recharge en incluant des services de recharge intelligente. Car le véhicule électrique possède un inconvénient: celui d’une consommation importante d’électricité au même moment. Actuellement, le parc de véhicules électriques en Europe consomme 0,03 % de l’électricité produite. En 2030, ce sera 4 à 5 % et en 2050, on estime le besoin à 9 % de notre production européenne. Nous aurons besoin de plus d’énergie et de recharge intelligente", analyse Jean-Baptiste Guntzberger.

 

Des propos relayés par Maxime Dupas de Total : "Le smart charging sera d’autant plus important que l’électrification du parc va progresser. Si le réseau va alimenter la recharge des véhicules, il faut bien imaginer également que les véhicules en charge pourront aussi, de leur côté, alimenter le réseau en cas de besoin." Une pratique qui se base sur les usages de la recharge : environ 80 % de cette dernière s’effectue ou à domicile ou à l’entreprise, pour 15 %, elle se fait dans les lieux publics (stations-service, parkings privés des hypermarchés ou grandes surfaces, parkings et uniquement 5 % en stations rapides).

 

Tension sur le réseau

 

Récemment, les Français ont reçu un courrier de la part de leur gestionnaire d’énergie les prévenant d’une possible tension à venir sur le réseau en France. "Certains jours, les moyens de production pourraient ne pas être suffisamment disponibles et conduire localement à des coupures d’électricité pour éviter un black‑out total."

 

Un courrier qui a dû effrayer plus d’un utilisateur de véhicule électrique. D’autant que la situation a obligé RTE, qui est le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité en France, de rallumer 4 centrales à charbon dès le mois de septembre dernier. Un comble pour un automobiliste qui achète un véhicule électrique pour limiter les émissions de CO2 !

 

Et pourtant, selon Frédéric Renaudeau, président et cofondateur de Zeplug, l’avantage de la recharge d’un véhicule électrique se fonde clairement sur le pilotage possible de son moment. "Nous suivons d’ores et déjà le principe des heures pleines et heures creuses, mais nous pouvons travailler plus finement encore. Grâce au compteur Linky, nous recevrons une impulsion qui nous permettra d’orienter la recharge au moment le plus opportun. Grâce à ce mécanisme, nous pourrons garantir à l’utilisateur une maîtrise du prix", poursuit-il.

 

Car au-delà de la tension sur le réseau, réside aussi le montant de la facture. Cette évolution signifie également une hausse du prix de la recharge, comme en témoigne l’évolution de la tarification qui se déplace vers un prix au kWh et non plus à la recharge comme il y a encore quelques mois.

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