Les véhicules électriques d'occasion mettent les garantisseurs au défi
Une nouvelle ère. Malgré une activité de l’occasion au plus bas (à ‑ 0,2 % selon AAA DATA, avec 5 196 224 transactions enregistrées en 2023), le marché de la garantie panne mécanique a terminé l’année sur une dynamique meilleure que celle imaginée, analyse Albert Étienne, directeur général d’Opteven.
La croissance s’explique par l’orientation des ventes vers des voitures d'occasion plus âgées et kilométrées. La tendance est soutenue par la hausse des prix des modèles neufs comme d’occasion. Elle favorise le développement de programmes de garantie à même de couvrir des véhicules jusqu’à 20 ans.
Du VO au véhicule reconditionné, les modèles électriques d’occasion s’inscrivent dans un écosystème basé sur un cycle de vie prolongé, observe Grégory Viollet, directeur de WTW NSA. "La tendance suppose d’étendre les conditions d’éligibilité des garanties, en prenant en compte qu’un véhicule d’occasion de 15 ans en 2024 n’est plus le même qu’en 2010." Face à la diversité des véhicules d’occasion d’un point de vue de l’énergie, de l’âge et du kilométrage, les garantisseurs élargissent et ajustent aussi leurs programmes.
À l’autre extrémité du marché de l’occasion, les véhicules électriques s’immiscent à pas feutrés. Ils représentent 1,6 % du marché de la seconde main, mais 4 % des VO de moins de cinq ans. Un chiffre qui pourrait doubler cette année pour les VO de moins de deux ans, d’après les prévisions du garantisseur Opteven.
Pour l’heure, si les volumes de vente des modèles électriques sur le marché de l’occasion restent "anecdotiques et atones", avance Gil Warembourg, directeur de CarGarantie France, leur part dans le portefeuille global des garantisseurs est appelée à progresser. De 2 % en 2022, elle devrait atteindre les 10 % en 2023 et entre 15 et 20 % à l’horizon 2025, selon Daniel Blanckart, responsable commercial France de Covéa Affinity.
Les risques avancés se révèlent en pratique davantage des craintes qu’une réalitéAlbert Étienne, directeur général d’Opteven
Face à cette réalité, il apparaît encore difficile d’extraire une analyse consolidée de la fiabilité dans le temps de ces modèles nés de la transition énergétique. "Nous pouvons tirer quelques enseignements des premiers indicateurs, suivre des directions notamment en termes de services et d’assistance, mais ils ne sont pas suffisants pour en extrapoler des conclusions immédiates en matière de garantie", explique le responsable.
Un surcoût de 20 % des réparations
Dans les faits, contrairement à une idée répandue, la fréquence des pannes d’un véhicule d’occasion électrique (VOE) n’est pas plus faible comparée à celle d’un modèle thermique, indique Pierre Syssau, directeur général adjoint d’Icare.
Les résultats sont toutefois à mettre en perspective avec des modèles électriques de première génération. Les pannes surviennent en moyenne à 4 ans et 45 172 km, d’après les relevés d’Opteven. Les dysfonctionnements concernent en particulier les chargeurs de batterie haute tension, les moteurs de traction, les climatisations, détaille Guillaume Cazenave, directeur marketing d’Opteven. "Au regard de notre portefeuille, la fréquence des pannes demeure similaire à celle des modèles thermiques", abonde Daniel Blanckart.
En revanche, le coût moyen des sinistres des véhicules électrifiés apparaît nettement plus élevé. Il atteint 20 % de plus et est jusqu’à 50 % supérieur sur des hybrides (exception faite de Toyota) ! Sur cette typologie de modèles, la cohabitation des technologies à la fois thermiques et électriques semble expliquer l’envolée des frais de réparation.
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Toujours selon les études d’Opteven, le coût moyen des pannes d’un modèle électrique a augmenté de 13 % en 2022 par rapport à une version thermique, soit 1 047 euros HT. Le recours à un technicien habilité et formé, tout comme la mise à disposition d’un espace dédié en atelier ou bien encore la nature des pannes, le prix des pièces détachées et un tarif horaire de la main-d'œuvre supérieur sur les modèles électrifiés alimentent l’inflation des coûts de prise en charge.
Au‑delà, les analyses d’Icare soulignent les extrêmes dans les frais engendrés par une défaillance sur un modèle électrique. De la reprogrammation d’un boîtier électronique à un défaut de la chaîne de traction électrique, l’étendue de la prise en charge passe d’une centaine d’euros à plusieurs milliers d’euros.
Selon le garantisseur, les dysfonctionnements associés au système de traction électrique représentent 40 % des coûts de réparation d’un VE. Un tiers des sinistres touche les équipements spécifiques à l’image des pièces électroniques ou des connectiques électriques.
Pour autant, du côté des garantisseurs, l’heure n’est pas à une revalorisation des coûts des contrats de couverture panne mécanique des VOE. La notion de mutualisation des risques prévaut. Mais l’évolution de la sinistralité, tant en fréquence qu’en coût, est surveillée comme le lait sur le feu, reconnaît Daniel Blanckart.
E‑move, electric drive, e‑pulse… les couvertures s’électrifient
Car la tendance est appelée à s’accentuer avec l’arrivée des SUV et des modèles premium sur le marché de l’électrique. Elle prendra une ampleur tout autre en cas d’usure prématurée ou de panne de la batterie de traction au‑delà de la garantie constructeur. La question mobilise les garantisseurs. Précurseur avec Icare et Cirano, Opteven table sur la réparation et la réparabilité des batteries pour les couvrir jusqu’à 12 ans à travers son programme e‑Move.
Le plafond de remboursement varie en fonction de la garantie souscrite. Il peut aller de 5 000 euros à près de 25 000 euros, attendu que le prix moyen d’une batterie de traction s’établissait à 17 000 euros en 2022. "L’objectif est de proposer au client final une véritable solution d’extension de garantie pour le neuf comme de garantie pour le VO, souligne Albert Étienne. Jusqu’à présent, les produits sur le marché n’étaient pas faits pour être utilisés."
Marketés ou non, les programmes des garantisseurs sont placés aujourd’hui sous le sceau de l’électrique. L’enjeu est de conserver la promesse client en matière d’assistance, de mobilité et de réparation, quelles que soient les énergies. "Nous avons retravaillé nos garanties pour inclure les spécificités des VE, explique Pierre Syssau. Ces modèles ne sont pas conçus de la même manière que les véhicules thermiques. Ils disposent de pièces spécifiques comme la pompe à chaleur par exemple."
Les garanties appliquées se veulent "couvrantes". Elles sont pensées sur le principe de "tout sauf" ou "bumper to bumper" et incluent systématiquement la couverture de la batterie de traction du côté d’Icare. À l’usage, les VE imposent également d’ajuster l’assistance dépannage et les durées de prise en charge des véhicules de remplacement, souligne le responsable au regard des délais d’immobilisation prolongés en cas de panne.
Innover dans les garanties
Au‑delà de l’appellation, "les produits vont être différents avec des couvertures adaptées", remarque Albert Étienne. Par nature, la traditionnelle "moteur‑boîte‑pont" réservée aux modèles thermiques ne sera pas compatible avec un VE, au risque de se révéler déceptive pour le client.
L’assistance comme les contrats d’entretien sont repensés également afin de faciliter la vente et le cycle de vie des VOE. "Il faut mettre en place des éléments de réassurance des conducteurs, même si les risques avancés se révèlent en pratique davantage des craintes qu’une réalité", nous indique‑t‑il.
Face au challenge de l’électrification, Real Garant annonce développer une approche spécifique en matière de couverture des véhicules électriques, hybrides rechargeables et hybrides. Le programme "ne ressemblera en rien aux modèles actuels", souligne Charles Buteri, responsable de Real Garant pour la France.
La nouvelle forme de garantie panne mécanique est attendue au cours du premier semestre de l’année. Exit les schémas conventionnels, moteur‑boîte‑pont ou tout sauf, le garantisseur promet une approche "tout autre" en termes de couverture des pièces et de risque financier.
Le futur dispositif répondra aux spécificités techniques de l’électrique, notamment aux difficultés à déterminer avec certitude l’usure réelle des batteries de traction, entre vétusté naturelle ou prématurée. "Les analyses actuelles se basent sur les tests SOH (state of health), mais en fonction des machines utilisées, les résultats peuvent se révéler différents", note le responsable.
En l’absence de fiabilité éprouvée des mesures et face aux difficultés de diagnostic, le garantisseur a donc choisi de refaire ses gammes. D’autant que les couvertures doivent tenir compte de la valeur résiduelle des modèles. Sur des véhicules électriques supérieurs à 8 ans, la condition générale représente une épée de Damoclès pour les consommateurs au regard du coût de remplacement d’une batterie de traction.
Du côté de Covéa Affinity, l’évolution vers une garantie panne mécanique des VO électriques reprenant le principe du "péril dénommé" n’est pas exclue. Une tarification spéciale en fonction des résultats techniques enregistrés n’est pas écartée non plus.
Les incertitudes, en particulier sur le comportement de la batterie de traction, constituent le 2e frein à l’achat d’un VO électriquePierre Syssau, directeur général adjoint d’Icare
La démarche est déjà en vigueur sur des modèles thermiques spécifiques, comme les Jaguar ou certaines versions exclusives telles que l’Audi RS6 par exemple. "Certains clients expriment des craintes. Il va falloir innover dans les couvertures lorsque les batteries de traction ne seront plus couvertes par les constructeurs", observe Daniel Blanckart.
Attendu que si certains modèles électriques sont équipés de modules réparables comme Renault, à l’inverse, la conception intégrée au châssis des Tesla, par exemple, est sans appel. Le coût de remplacement représentant 40 % de la valeur du véhicule.
La batterie de traction dans la balance
"Les incertitudes en particulier sur le comportement de la batterie de traction constituent le 2e frein à l’achat d’un VO électrique derrière le prix", rappelle Pierre Syssau, citant la dernière étude Ipsos/Avere France/Mobivia Groupe : 5e édition du baromètre de la mobilité électrique.
Garanties par les constructeurs pendant huit ans, les batteries concentreront les pannes les plus coûteuses à l’avenir. Une situation qui explique la frilosité des spécialistes à couvrir l’équipement.
La question retient aujourd’hui l’attention de CarGarantie. Les études actuelles du garantisseur portent sur la fiabilité de manière à identifier les marques de véhicules qui pourraient faire l’objet d’une telle couverture. Sans davantage de recul, le spécialiste indique ne pas être en mesure de s’engager pour le moment.
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Les risques financiers peuvent s’avérer colossaux, remarque Gil Warembourg. Si le programme Electric Drive du garantisseur se rapproche d’une garantie tout sauf, l’accumulateur, le condensateur et la batterie de traction ne sont pas couverts.
Pour le responsable, la préoccupation concerne par ailleurs le retour de LLD des premiers modèles électriques dont l’autonomie apparaît en deçà comparée à celle des dernières nouveautés. La question de leur revente va se poser pour les distributeurs, estime‑t‑il.
L’électrique suppose d’avancer sur la pointe des pieds et de rester encore "prudent". Car si les résultats des tests SOH à huit ans font apparaître une tenue des batteries de traction supérieure aux prévisions des constructeurs, l’apparition tous les deux ans d’une nouvelle génération d’accumulateurs rend obsolète l’autonomie des précédentes. La valeur des VE de retour de LOA reste donc en suspens.
Si la transition énergétique représente "une opportunité" pour Pierre Syssau, elle s’accompagne aussi d’un challenge technique. L’électrique demeure "complexe", observe‑t‑il. "Certaines pièces sont couvertes par la garantie constructeur jusqu’à huit ans, d’autres pendant trois ans."
Dès lors, pour les distributeurs, la question de l’autogarantie se pose. "Sur les véhicules électriques, nous sentons une plus forte appétence des professionnels à externaliser la garantie panne mécanique", note le responsable. Le changement de pratique observé est lié non seulement à l’essor des VO électriques, mais également à l’inflation des coûts de réparation et au vieillissement du parc roulant.
Délia Ngongang, responsable marketing de Cirano
"Les acheteurs attendent la meilleure protection"
Quel premier bilan faites‑vous du lancement de la garantie E‑Pulse ?
Moins d’un an après sa présentation, nous notons des souscriptions en augmentation sur les véhicules électriques de 170 % et de 120 % sur les hybrides. La tendance semble démontrer une vraie appétence de nos partenaires. Sur les durées de souscription, les professionnels tendent toujours à favoriser des couvertures de longue durée et cela reste vrai sur l’électrique. L’enjeu est de répondre aux attentes des acheteurs qui veulent avant tout la meilleure protection.
Quels sont les premiers enseignements en matière de fiabilité des VOE ?
Le volume des véhicules électriques en gestion de garantie reste encore faible pour pouvoir le comparer, à isopérimètre, avec celui des énergies thermiques. Toutefois, nous constatons que la fréquence des pannes est moindre sur les pièces qui impliquent des frais de réparation très importants comme la batterie de traction ou le moteur électrique. Mais elle reste équivalente à celle des thermiques sur les pièces "communes" à toutes les énergies (électronique, éclairage, transmission, freinage…).
Comment prenez‑vous en compte cette réalité ?
Sur les VO électriques, nous avons intégré des garanties à "pièces listées". De la couverture type constructeur à la couverture intermédiaire, notre force est que toutes les pièces purement spécifiques à l’électrique sont comprises à tous les niveaux. Seul le plafond de prise en charge diffère. Nous considérons notamment la batterie de traction comme une pièce à part entière du véhicule électrique. Elle ne doit pas avoir de limitation spécifique dans sa prise en charge, même si cette dernière coûte cher en cas de défaillance. Le parc automobile s’électrifie. Il va sans dire que les garantisseurs doivent répondre aux nouveaux besoins des distributeurs afin d’accompagner cette évolution.
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WTW NSA présente sa garantie en pièces listées
Le spécialiste a annoncé le lancement de son programme de couverture dédié aux modèles électrifiés (VE, hybrides rechargeables et hybrides), cet hiver. "Nous allons expérimenter l’intégration d’un nouveau format en pièces listées, explique Grégory Viollet, directeur de WTW NSA. Cette dernière approche permettra de couvrir les VE de 15 ans ou 180 000 km pendant 12 à 24 mois, soit jusqu’à 17 ans avec un niveau supplémentaire." En complément, une version tout sauf répondra aux VE de dix ans et 120 000 km.
Les couvertures se veulent "exhaustives" (intégrant les faisceaux électriques, le système de refroidissement de la batterie, le convertisseur, l’onduleur, le calculateur, le moteur de traction…), tout en prenant en compte qu’un modèle électrique partage près de 60 % de pièces avec un modèle thermique. Les formules intègrent également la garantie de la batterie de traction. Le garantisseur prévoit de déplafonner sa prise en charge, tout en la conditionnant au reconditionnement. L’objectif avancé est de limiter l’impact de l’inflation et des coûts : une batterie reconditionnée étant accessible à partir de 3 000 à 5 000 euros. Le dispositif permettra de lever en partie la problématique de la valeur résiduelle des VO, attendu qu’un garantisseur ne couvre pas les réparations au‑delà. À noter qu’une grille de vétusté sur les VE de 15 ans, 180 000 km, prendra en compte l’usure naturelle de la batterie.
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Un marché de la garantie sous influence
Sur le plan réglementaire, l’inversion de la charge de la preuve, qui est passée de 6 à 12 mois l’an dernier, a conduit les professionnels à prolonger les couvertures souscrites sur les véhicules d’occasion commercialisés. Une autre tendance du marché de la garantie repose sur l’âge avancé des VO intégrés dans les labels des marques.
Sur les modèles récents, la demande des constructeurs porte sur des couvertures étendues. Mais sur des véhicules de dix ans, l’enjeu est de trouver le juste équilibre, observent les garantisseurs.
Dans le même temps, l’augmentation sans précédent des coûts moyens de réparation (une hausse de près de 20 % en cinq ans, à 618 euros par sinistre, selon les statistiques publiées par CarGarantie en 2023) a incité les professionnels à se prémunir en prévision des prises en charge à venir. "Pendant longtemps, le coût des réparations n’avait pas évolué, analyse Daniel Blanckart, responsable commercial France de Covéa Affinity. L’âge et le kilométrage des VO étaient aussi stables depuis 2019. Mais ils sont passés de 43 mois en 2018 à 49 mois en 2023, pour un kilométrage de 50 000 km contre 45 000 km." La raréfaction de matériel et la hausse des prix des VO et du coût des sinistres ont fait le jeu des garantisseurs.
À l’échelle du marché du véhicule d’occasion, 2023 restera une année de "transition", remarque Gil Warembourg, directeur de CarGarantie France. "L’étau s’est desserré sur les approvisionnements et les prix, mais les clients ne savent pas véritablement vers quelle motorisation s’orienter. Nous traversons une période inédite, avec des acheteurs partagés entre l’électrique, l’hybride, l’essence et le diesel."
Dossier réalisé par Ludovic Bellanger
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