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La mutation des infomédiaires est lancée

Publié le 26 novembre 2025

Par Gredy Raffin
8 min de lecture
2025 restera une année charnière pour le secteur des petites annonces. Les sites spécialisés dans leur diffusion ont pris une nouvelle dimension. Exit l’appellation d’infomédiaires, ce sont désormais des places de marché à part entière avec des enjeux concurrentiels bien plus forts et une avancée technologique forcée par l’IA.
Infomédiraires voitures d'occasion
Les distributeurs sont au centre d'une rivalité entre des places de marché aux moyens toujours plus conséquents. ©Le Journal de l'Automobile

Que feriez‑vous de 400 millions d’euros ? Avec un tel budget, deux entreprises peuvent avoir des trajectoires bien différentes. Deux des infomédiaires majeurs en sont la preuve car, en ordre de grandeur, telle a été la somme investie, d’un côté, par Providence Equity dans le rachat de La Centrale en 2021, et, d’un autre côté, par les action­naires de Heycar, dont Volkswagen et Daimler depuis 2018.

 

Pourtant, dans un remarquable jeu de hasard du calendrier, à l’automne 2025, ces deux acteurs majeurs de la diffusion des offres vivent des scénarios dia­métralement opposés.

 

La Centrale a été valorisée 1,1 milliard d’euros auprès d’un acquéreur de réputa­tion planétaire, alors que Heycar achève son processus de clôture des comptes en Allemagne, au Royaume‑Uni et en France.

 

Tout le monde dans ce microcosme s’étonne de la situation. Comment Providence Equity a pu si bien revendre La Centrale ? Pourquoi Heycar a échoué dans une période si propice au service rendu ? "Les défenseurs du paiement à la perfor­mance perdent un soldat", dira un déçu de l’affaire. Telle est la dure loi du marché des plateformes de diffusion des annonces. Le secteur tend à la concentration en Europe.

 

Si La Centrale peut se prévaloir d’une place de choix en France, Heycar jouait les outsiders sur trois marchés, après avoir jeté l’éponge en Espagne et aux Pays‑Bas. Ce qui ne suffit pas.

 

Volkswagen France aurait, d’après nos informations, envisagé de jouer les repreneurs, mais le calendrier en a voulu autrement. Ironie du sort : La Centrale sortira prochainement une section dédiée aux voitures électriques d’occasion, ce qui avait été l’ultime initiative novatrice de l’équipe tri­colore de Heycar, en mars dernier.

 

Les leaders se renforcent

 

Dans bien des pays du Vieux Conti­nent, le marché des plateformes de petites annonces est désormais do­miné par une ou deux sociétés. En France, malgré le retrait de Heycar, la dynamique concurrentielle reste soutenue, selon le panel Joreca, filiale d’Autobiz spécialisée dans l’analyse du secteur.

 

Il y a un duopole très puissant, composé de Leboncoin et La Centrale, et trois alternatives que sont ParuVendu, Zoomcar et AutoScout24. Un ensemble qui se partage autour d'un million d’annonces avec une très grosse majorité pour les deux têtes de file.

 

Le site Leboncoin affiche une sta­bilité globale de ses volumes d’an­nonces professionnelles (‑2 % sur un an), tout en enregistrant une hausse du nombre de profession­nels actifs (+8 %). Pour sa part, La Centrale progresse de 14 % sur le même indicateur. On assiste­rait donc, en d’autres termes, à un rééquilibrage des parts de marché, avec un renforcement des positions des acteurs les plus solides.

 

Le coup de poker tenté par Zoom­car commence à payer. Il aura bien fallu un an pour franchir un palier "et faire de la BU une véritable en­treprise autonome", comme le dit Didier‑Louis Mahe, directeur général. Hormis quelques annonces de particuliers dont le volume dé­cline, la plateforme dénombre désormais pas loin de 180 000 voi­tures d’occasion proposées par des concessionnaires, notamment la quinzaine de groupes unis dans HDD (Holding des distributeurs), la holding devenue coactionnaire en fin d’année 2025.

 

 

Cette concentration des marchés at­tire naturellement les investisseurs. Parce qu’elle est donc gage d’un ren­dement élevé. "Le marché arrive à un niveau de maturité qui attire le regard de ceux qui cherchent du ren­dement. Les leaders sont particulière­ment privilégiés dans chaque pays", interprète Vincent Hancart, direc­teur général Belgique et France d’AutoScout24, entreprise qui, l’an passé, a repris la plateforme de référence au Canada.

 

Il tente ainsi d’expliquer les sommes folles misées sur Adevinta (12 milliards en juin 2024), sur La Centrale par OLX Group ou encore sur ParuVendu par le groupe Arche (le montant n’a pas été révélé). Le cas d’Adevinta ayant rebattu les cartes, aussi bien en France, qu’en Es­pagne, en Allemagne et en Italie, dès lors que la nouvelle stratégie consiste à revendre les actifs non stratégiques d’abord et à décentraliser les compétences ensuite. "Les autres doivent réagir", lance un observateur.

 

Interaction d’un autre type

 

L’enjeu est peut‑être moins de ré­agir que d’aller de l’avant. "Notre fonction va dépasser sa frontière naturelle, analyse Philippe Chai­nieux, président de La Centrale. Nous allons accompagner les ache­teurs dans chacune des étapes al­lant du choix de la voiture d’occa­sion au financement, en apportant aussi des informations spécifiques et des moyens de réassurance.

 

Un propos dans lequel ses concur­rents mais néanmoins confrères disent se retrouver. Et plusieurs d’ailleurs appellent alors à gom­mer l’appellation d’infomédiaire. "Elle est tombée en désuétude, elle nous renvoie à un rôle de journal qui expose un stock. Alors que nous rendons bien plus de services aux professionnels et aux acheteurs", milite l’un d’eux, comme un porte‑parole de la cause. Les in­fomédiaires d’hier sont désormais des places de marché.

 

Cette évolution de statut (ou de vo­cabulaire) ouvre bien des perspec­tives. L’interaction avec les indivi­dus derrière leur écran prend une autre tournure. "Mais notre compé­tence reste fondamentalement de conduire les leads les plus qualitatifs vers les points de vente, car les tran­sactions se feront toujours chez nos partenaires", trace Olivier Flavier, VP de Leboncoin en charge des produits de mobilité. Et d’ap­puyer : "Les mois à venir seront consacrés à la consolidation des ser­vices pour assurer un suivi complet du lead jusque dans le traitement des appels."

 

Pour visionner le replay de l'émission spéciale VO : les nouveaux codes de la vente de voitures d'occasion

 

Outre l’évidente guerre des chiffres, la prochaine grande bataille semble se jouer sur la couche d’intelligence que l’on peut mettre par‑dessus les données. La suite logicielle Pilot de La Centrale illustre ce virage vers l’aide à la tarification pour améliorer la rotation.

 

Le distributeur peut jauger la pertinence d’une op­portunité à l’approvisionnement, positionner ensuite son offre VO, réévaluer en fonction de l’évolution de l’environnement concurrentiel et recevoir des conseils détaillés pour optimiser son stock.

 

Pour parvenir à de tels outils, l’IA est indispen­sable et, de fait, les diffuseurs des petites annonces font face à des en­jeux technologiques d’une nouvelle dimension. Sans ressources finan­cières solides, ils ne pourront pas te­nir dans la durée la course à l’arme­ment qui démarre. L’argent pourrait prochainement être le filtre. Aucun ne le nie. Les distributeurs comme les consommateurs réclameront des niveaux de service plus élevés que seuls des moyens de pointe pour­ront permettre d’atteindre.

 

L’avènement des GPT, la révolution ?

 

Ce paramètre économique met­tra‑t‑il à mal les projets des conces­sionnaires ? Ils tenaient à avoir leur propre site Internet pour ex­poser leurs voitures d’occasion, faisant l’économie d’un abonne­ment chez un partenaire spéciali­sé. "Cette stratégie ne fonctionne pas. Nous voyons bien que les sites des concessionnaires ne sont pas au niveau espéré, car il faut avoir une certaine expérience pour être inter­médiaire", clame Laurent Radix, patron de ParuVendu.

 

Une aubaine pour les pure players qui feront valoir leurs arguments, comme un coût de déploiement de l’IA bien moindre. Ce qui pourrait aider à faire avaler la pilule de la hausse ta­rifaire à venir. "Tant que les leads gagnent en qualité, nous ne pouvons fondamentalement pas nous plaindre", déclare la responsable mar­keting d’un réseau de franchise VO.

 

L’IA n’en est pas moins une menace aussi à considérer par les majors. Les sauts technologiques sont bien plus souvent une chance pour des trublions de venir provoquer du remue‑ménage. Un costume que se voit endosser Jimmy Cohen, cofondateur de Weespots. Avec pas loin de 80 000 voitures d’occasion de professionnels en ligne, la plate­forme prend du poids.

 

 

Surtout, ses développeurs ont œuvré afin que Weespots soit considéré par les IA génératives, anticipant les futurs modes de recherche des internautes. Une connexion directe de ChatGPT et autres Perplexity au stock en ligne de l’intermédiaire garantit que pour répondre aux questions des clients, les IA iront se renseigner auprès de Weespots pour trouver des voitures d’occasion à proposer.

 

La fin du sys­tème de filtres tel qu’on le connaît depuis que les annonces ont investi le Net. "Les plateformes ont dépensé des sommes faramineuses pour figu­rer en tête des résultats sur Google. Tout cela va changer avec les GPT", approuve le responsable marketing d’un groupe de distribution. N’ou­blions pas que la refonte de l’expé­rience digitale par l’IA, tout comme l’évolution des notions de fiabilité de l’information sont deux des éléments disruptifs que Matthieu Mellul, di­recteur de Joreca, prédit au secteur. La mécanique est en marche.

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