Voitures électriques : à l’heure des batteries jetables
La photo est éloquente : une mousse collante scelle complètement les modules de la batterie, empêchant toute opération de réparation ou de remplacement. L’élément le plus coûteux d’une voiture électrique – la batterie représente entre 30 et 40 % de son prix – est‑il en train de devenir une pièce irréparable ?
C’est en tout cas le sujet d’études assez édifiantes organisées par des sociétés d’ingénierie telles qu’A2MAC1 ou encore Mobivia par le biais de son centre de recherche et développement, CarStudio au sein de la move FACTORY. Dans ce centre, on démonte les véhicules connectés, électriques pour mieux apprendre sur le cœur de métier du groupe Mobivia : la réparation indépendante.
"Notre sujet porte plus précisément sur la manière de travailler l’avènement du véhicule électrique pour que la transition écologique soit réussie, explique Stéphane Derville, directeur de l’innovation du groupe Mobivia. Mais sur ce point, nous avons constaté que certains constructeurs avaient des batteries réparables. Mais d’autres, dans un souci d’augmenter l’autonomie du véhicule, tout en baissant son coût, n’ont pas la même stratégie."
"Nous avons pu observer, notamment sur des modèles plus récemment arrivés sur le marché français, des batteries totalement noyées dans la résine. Parfois, les packs de batteries ne peuvent pas être ouverts. Il est impossible de les réparer. Il semble que nous nous dirigions vers quelque chose qui ressemble de plus en plus à des batteries jetables. Et il n’y a pas de garde‑fous aujourd’hui pour éviter cela" poursuit le directeur de l'innovation de Mobivia.
Disparité des pratiques des constructeurs
Parmi les tests réalisés sur des modèles électriques français, chinois ou américains, le centre de recherche a mis en lumière que seule la moitié des constructeurs proposait des batteries réparables. Un comble lorsque l’on sait que la réglementation sur l’arrêt de la vente des véhicules thermiques a été adoptée en Europe à des fins environnementales.
Acquérir un véhicule électrique dont le prix est supérieur d’environ 25 % par rapport à son équivalent thermique et ne pas pouvoir réparer l’organe central semble aux antipodes des objectifs fixés.
Il semble que nous nous dirigeons vers quelque chose qui ressemble de plus en plus à des batteries jetables Stéphane Derville, directeur de l’innovation du groupe Mobivia
"L’alerte sur l’enjeu de la réparabilité des batteries porte en priorité sur la disparité des pratiques des constructeurs pour leur conception, mais également sur la circulation, la disponibilité et le coût de l’information sur les états de fatigue (ou les moyens de diagnostic) et enfin sur la disponibilité des composants de la batterie pour la réparation dans un marché ouvert aux indépendants", précise Jean‑Philippe Hermine, directeur général de l’Institut des mobilités en transition au sein de l’Iddri.
Et visiblement, tous les constructeurs n’ont pas la même approche en matière de réparabilité. Les tests réalisés montrent, en effet, des problèmes d’accessibilité, de packs de batteries complètement collés, de joints qui doivent être détruits pour accéder aux modules.
Pointés du doigt, certains constructeurs chinois, comme MG Motor, BYD ou même Tesla et son Model Y sur lequel les ingénieurs ont eu la surprise de découvrir des packs de batteries scellés entre eux par une résine rose impossible à enlever…
La batterie mais pas que…
"La réparabilité des batteries est un réel sujet que nous avons adressé dès le début de notre aventure électrique avec la Zoe en 2011. Cet enjeu a même fait partie du concept et des contraintes de notre cahier des charges", reconnaît Patrick Bastard, expert fellow et directeur de la recherche de Renault Group. Pour ce dernier, la batterie est un système complexe qui englobe différents sujets en dehors de la chimie.
Une batterie, c’est aussi de la mécanique, des éléments thermiques (comprenant le système de refroidissement ou de chauffe selon les saisons), mais c’est également de l’électronique avec un calculateur dédié. Ce calculateur a pour mission de surveiller l’état de la batterie, les températures, la tension, les niveaux de charge… "C’est donc un système très savant. Et lorsque l’on dit que la batterie est en panne, celle‑ci peut venir de n’importe quel élément", poursuit Patrick Bastard.
"Tout le monde se focalise sur la batterie en oubliant l’onduleur, les relais, les fusibles, les conducteurs rigides… tous ces éléments devraient pouvoir être remplacés", complète Éric Blaizeau, responsable du pôle mécanique et électronique au sein de Cesvi France.
Une réparation dès la conception
Certaines opérations sont assez simples à effectuer dans des garages formés disposant de l’homologation nécessaire. D’autres sont, en revanche, bien plus délicates, comme le remplacement d’un module. Il faut ouvrir la batterie, accéder aux éléments de puissance.
Et pour y parvenir, encore faut‑il que la batterie ait été conçue dans cette optique et que des salariés aient été formés. Chez Renault, la compétence a été dédiée à l’usine de Flins (78).
"Quand vous ouvrez une batterie, vous déposez le carter supérieur et vous devez enlever un joint qui garantit son étanchéité. Si le joint n’est pas conçu pour être réparable, il sera très compliqué de le refaire en atelier avec les mêmes qualités que celui produit en usine dès la première monte", avance Patrick Bastard.
Autre problème soulevé : si la batterie n’a pas été conçue pour que les modules soient facilement extractibles, impossible de les changer sous peine de devoir faire du « bricolage » qui peut être extrêmement dangereux…
"Lorsque l’on voit certains modules complètement coulés dans une matière qui assure la fonction thermique, on peut légitimement se poser la question de la réparabilité", s’interroge Patrick Bastard.
Les principes de l’économie circulaire
À ce jour, il n’existe que très peu de chiffres concernant les véhicules électriques qui doivent être réparés ou qui ont été accidentés. Par souci de sécurité et parce que la phase d’apprentissage ne fait que commencer, le remplacement est plutôt la règle.
"Si un carter de batterie est déformé suite à un choc, beaucoup de constructeurs ne fournissent pas de carters de remplacement considérant que les cellules ont sans doute été dégradées. Résultat, la batterie part en granulat", explique Éric Blaizeau. Par scepticisme ou simplicité, un véhicule électrique part plus vite à la casse qu’un véhicule thermique. Mais à l’heure où tous les constructeurs sécurisent leurs approvisionnements en matières et métaux précieux, les broyer comme combustible peut étonner.
"L’électrification ne sera pertinente que si elle inclut les principes de l’économie circulaire : bien entendu, la possibilité de recycler et de réutiliser en boucle fermée les métaux critiques, mais également des enjeux de durabilité, réparabilité ou modularité des batteries pour leur donner une seconde vie en usage stationnaire", avance Jean‑Philippe Hermine.
Toujours en cours de développement, le segment du véhicule électrique demeure un marché d’équipement, ce qui selon nos interlocuteurs peut expliquer ce manque de vision sur le long terme. Mais pour tous, le problème de la batterie reviendra comme un boomerang dans cinq ou dix ans.
"Si l’on doit changer l’ensemble du pack et qu’en plus, on ne peut pas le recycler, cela veut dire que nous sommes face à une obsolescence programmée et que l’on va à l’encontre de l’objectif de recyclabilité qui est la préservation des ressources", n’hésite pas à dire Stéphane Derville.
Mais dans cette course à la vente, le coût reste un enjeu primordial pour faire baisser les prix des véhicules électriques. Multiplier les contraintes dans un cahier des charges oblige forcément les équipes d’ingénierie des constructeurs à renchérir le coût des packs de batteries.
"Même si ce renchérissement est très difficile à chiffrer. Mais il faut garder en tête que plus on ajoute de contraintes, plus on restreint le champ du possible", reconnaît Patrick Bastard.
L’accès à la réparation indépendante
En réalité, trois éléments interviennent dans la possibilité de disposer de moyens de réparation peu coûteux : la conception de la batterie pour que chaque composant soit accessible et démontable, l’accès à un marché ouvert de composants pour la réparation (à l’instar de ce qui se fait pour les autres pièces du véhicule) et, enfin, l’accès à l’information sur l’état de fatigue ou d’usure de la batterie ou de ses composants.
Ce sont des données nécessitant l’accès à celles du véhicule (qui pourraient rester le monopole des constructeurs et de ce fait renchérir les coûts sur le cycle de vie de la voiture). Pour l’instant, aucun de ces trois éléments ne répond à la problématique de la possibilité et du coût de réparation.
"De la même manière, le statut de la santé de la batterie n’est que très rarement évoqué, y compris dans la manière de recharger son véhicule. Le constructeur aura une obligation de donner les éléments de durabilité de sa batterie, mais la vraie question est quelle est sa qualité ? Son état ? Sa capacité ? Quelle est sa performance réelle ?", s’interroge Stéphane Derville.
Toutes les réponses à ces questions ne figurent pas dans le règlement sur les batteries, pourtant adopté par l’Union européenne en juillet 2023. Elles seront néanmoins au cœur du sujet du véhicule d’occasion électrique, qui va démarrer réellement à partir de 2025.
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Lente maturation du contexte réglementaire
Adopté en juillet 2023 par le Conseil de l’Union européenne, le règlement sur les batteries balaye large. Dans un seul texte, l’impact carbone des batteries, tout comme l’approvisionnement responsable et sociétal des matériaux clés que sont le cobalt, le nickel, le lithium ou encore le graphite sont certifiés dès 2025.
De la même manière, le remplacement facile et la réparation sont également réclamés dans ce texte. Mais la Commission européenne et les États membres ont choisi la facilité en englobant toutes les sortes de batteries dans un seul texte réglementaire : de la batterie de la brosse à dents électrique à celle de la voiture électrique. Si l’intention est louable, la réalité est souvent bien plus complexe. Car le règlement sur les batteries impose bien la réparation, le démontage facile, l’interdiction de colle rendant irrécupérables les piles et batteries… sauf pour celles des voitures !
"Il faudrait un vrai standard compréhensible par tous sur la performance dans le temps de la batterie. Dans le cas contraire, cela peut être vu comme un manque de transparence. Dans un texte global, couvrir l’intégralité d’un sujet est difficile même si les intentions sont bonnes : réduire l’empreinte carbone, garantir la sécurité physique, préserver la chaîne de valeur durable et les gisements de matériaux. Mais l’enjeu de la réparabilité n’y est pas suffisamment adressé. Le statut des réparateurs et des opérateurs indépendants n’y est pas non plus précisé ", regrette Stéphane Derville, directeur de l’innovation du groupe Mobivia.
Un état de fait qui pourrait entraîner des situations de quasi‑monopole sur ce qui devient l’essentiel de la valeur des véhicules. "Nous pourrions arriver à une distorsion de marché. Ce qui représente un coût pour les assurances et donc pour les automobilistes. La sinistralité d’un véhicule électrique coûte 30 % de plus pour un assureur", poursuit‑il.
Une directive spécifique pourrait intervenir sur les batteries des véhicules électriques. Mais comme le précise Jean‑Philippe Hermine, directeur général de l’Institut des mobilités en transition au sein de l’Iddri, le contexte réglementaire met du temps à arriver, "la réglementation européenne ou française sur ces points n’est pas mature, ce qui permet une disparité des pratiques des constructeurs au stade de la conception des batteries et pose de nombreuses questions quant aux possibilités pour des réparateurs indépendants de proposer demain des solutions de diagnostic et de réparation abordables pour les clients de certains modèles."
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