S'abonner
Industrie

Véhicule électrique : des pneus spécifiques ?

Publié le 24 octobre 2022

Par Romain Baly
9 min de lecture
Longtemps cantonnés à des enveloppes pour véhicules thermiques adaptées à leur usage et leurs spécificités, les modèles électrifiés bénéficient de plus en plus de pneumatiques qui leur sont entièrement dédiés. Les manufacturiers ont bien compris qu’ils ne pouvaient pas passer à côté de ce sujet incontournable même si, les concernant, les stratégies varient.
Après avoir longtemps été équipés d’enveloppes standard ajustées à leurs spécificités, les véhicules électriques disposent désormais de plus en plus de pneus totalement pensés pour eux.

Une révolution pour les uns, une évolution pour les autres. À l’heure où le parc automobile se réinvente à marche forcée, le développement à grande échelle des véhicules électrifiés (qu’ils soient 100 % électriques ou hybrides) ne revêt pas la même importance pour deux acteurs clés de cette industrie. Partie prenante de cette mutation, les constructeurs automobiles ont pris l’habitude depuis des décennies de travailler main dans la main avec les fabri­cants de pneumatiques pour faire rouler de façon optimale leurs mo­dèles.

 

Si les interrogations entou­rant ce big-bang technologique sont légion, une constante demeure. Les premiers comme les seconds savent qu’une voiture, qu’elle soit ther­mique ou électrique, aura toujours besoin d’enveloppes pour avancer. C’est bien là d’ailleurs un message partagé et rabâché par tous. Or, derrière cet état de fait, un para­doxe évident demeure. Si le sujet du VE est omniprésent dans ce secteur d’activité, cela résulte avant tout des défis énormes que doivent actuellement relever les construc­teurs.

 

Le parlement européen a acté la nouvelle au milieu de l’été : à partir de 2035, la vente de modèles thermiques sera proscrite ! De quoi mettre la pression sur les manufac­turiers ? Pas vraiment. C’est qu’en matière industrielle, il existe un vrai décalage dans les calendriers des uns et des autres, qui est dû en grande partie à un faux départ.

 

Une phase d’entre‑deux

 

Dans les années 2010, alors que ce segment grandissait doucement, porté essentiellement par la Nissan Leaf et la Renault Zoe, les véhicules électriques ne faisaient l’objet d’au­cun développement de pneuma­tiques spécifiques. Des montes été "classiques", parfois ajustées à la marge, équipaient alors ces véhi­cules. Ce que confirme, à demi‑mot, James Crisp, ingénieur principal et responsable de l’EV marketability chez Nissan Europe. "Hier comme aujourd’hui, notre exigence de ga­rantir les meilleures performances pour nos véhicules et nos clients reste la même", indique‑t‑il, avant d’admettre que "dans le détail, les performances ont changé au fil des ans en fonction des améliorations technologiques".

 

"Auparavant, le cahier des charges de nos partenaires constructeurs n’était pas le même qu’aujourd’hui. Concrètement, on répondait à une demande avec l’une de nos gammes qui était "typée" pour le véhicule électrique en question", abonde Vincent Pinot, en charge des activités première monte de Michelin pour l’Europe. Sauf qu’à mesure que la pression s’est faite plus grande sur leurs épaules, les constructeurs ont voulu aller cher­cher de la performance partout où il était possible d’en dégager et le pneumatique offrait à leurs yeux un potentiel indéniable. C’est comme ça que le sujet a pris de l’épaisseur dans les centres de R & D.

 

"C’est assez étonnant de le souligner mais, aujourd’hui, on est encore dans un entre‑deux dans le sens où on travaille énormément à toujours mieux répondre aux attentes des utilisateurs de ce type de véhicules, mais avec un historique qui est très récent. Il y a encore deux ou trois ans, la question des pneus pour vé­hicules électriques était un non‑su­jet", développe Christophe Bellier, responsable de l’intelligence mar­keting et du planning stratégique de Continental. "On est encore en phase d’apprentissage", confirme son homologue de Clermont.

 

La résistance au roulement comme premier défi

 

Longtemps d’ailleurs, les travaux des manufacturiers se sont concen­trés sur une vieille lubie que les constructeurs avaient pour les ther­miques et qu’ils ont reportée sur les électriques. La fameuse résistance au roulement est un pilier essentiel dans le package performance d’une voiture. Réduire cette donnée, c’est consommer moins de carburant… ou d’électricité. Et donc contribuer à augmenter l’autonomie.

 

"Nous, sur cette évolution, on a très tôt compris que c’était une chance. Quand vous dites à un conducteur qu’il y gagnera X dixième sur sa consommation d’essence, ça ne si­gnifie rien pour lui. En revanche, quand vous lui expliquez que l’au­tonomie de son VE va augmenter de X % alors là, ça a beaucoup plus de valeur à ses yeux", détaille Vincent Pinot. Et leurs efforts ne sont pas restés vains.

 

 

"A date, les niveaux de résistance au roulement de nos pneumatiques sur les dernières gé­nérations de véhicules vont d’ores et déjà bien au‑delà des classifications de labelling et des réglementations, se félicite Franck Dutheil, pilote transversal concept et expert pneus chez Peugeot. Les évolutions en ma­tière de résistance au roulement sont construites avec nos manufacturiers et nous repoussons continuellement avec eux les limites."

 

Les manufacturiers connaissent la recette

 

Chemin faisant, cette "brique" technique a été enrichie par d’autres éléments. La résistance à l’usure et la capacité de port de charge des enveloppes utilisées sont ainsi de­venues des sujets centraux pour les manufacturiers dans la mesure où un modèle à batterie use "naturel­lement" plus de gomme de par son poids et son couple (plus élevés que sur un véhicule thermique), ainsi que par ses mécaniques de freinage régénératif. Enfin, les ingénieurs se sont aussi attelés à limiter les nui­sances sonores de leurs pneuma­tiques. Un sujet d’autant plus capi­tal que, comme le rapporte Vincent Pinot, "avec un VE, la source de bruit est davantage liée aux pneus qu’au moteur".

 

Autant de dévelop­pements qui servent la cause des constructeurs automobiles, mais ne changent pas fondamentalement la vie des manufacturiers pour qui ces critères étaient déjà identifiés. "L’électrique est devenu un nou­veau "normal" dans notre société, mais dans l’absolu, pour nous, il n’y a pas de différences majeures entre un pneu pour un véhicule thermique et un autre pour un véhi­cule électrique, commente Daniele Lorenzetti, directeur technique d’Apollo Tyres Europe. Ce n’est pas disruptif de développer ces produits. La résistance au roulement, l’usure, le bruit… on maîtrisait déjà tous ces points. Les exigences sont plus fortes actuellement, mais ce chemi­nement technologique s’inscrit dans la continuité."

 

Le développement s’accélère

 

Pour Christophe Bellier, "les constructeurs ont toujours été exi­geants et ça reste le cas. La vraie évo­lution tient dans l’accélération du temps de développement des nou­veaux produits". "Nous sommes passés de deux‑trois ans de travail à environ un an", précise Daniele Lo­renzetti. Fidèle aux habitudes de cette industrie, l’équipement d'origine a ainsi claire­ment boosté le marché du pneu de remplacement. Chez les pneumaticiens et les revendeurs, les enveloppes pour voitures électri­fiées prennent de plus en plus de place et 2022 est, de ce point de vue, une année particulièrement riche. Avec des stratégies qui diffèrent chez les fabricants.

 

Au printemps, Goodyear s’est illustré en lançant l’Eagle F1 Asymmetric 6, dernier‑né de sa gamme été ultra‑hautes per­formances. Un pneu qui embarque avec lui un vrai parti pris puisqu’il s’avère être compatible et non dédié aux modèles zéro émission. "Nos pneumatiques sont adaptés à une utilisation sur des véhicules électri­fiés, quels qu’ils soient, dont les spé­cificités – poids, puissance, couple, autonomie, bruit – ont été identifiées par Goodyear il y a déjà un long mo­ment, présente Mario Recio, direc­teur général de la division consumer France. La conception de tous nos produits prend en compte ces diffé­rentes exigences mais, pour nous, ces véhicules représentent une évolution plus qu’une révolution dans notre feuille de route technologique."

 

Vredestein et Hankook cassent les codes

 

Un choix partagé avec Continen­tal, Bridgestone ou encore Pirelli qui, depuis son lancement il y a trois ans, voit son marquage Elect (soulignant le fait que le pneu en question convient aux modèles électriques ou hybrides) être ap­posé sur plus de 250 références. Au cours de ce quatrième tri­mestre 2022, deux autres manufac­turiers feront leur apparition sur ce marché avec une stratégie opposée. Vredestein et Hankook prennent, en effet, le pli de lancer des enve­loppes exclusivement pensées et développées pour les véhicules électriques. Du côté du batave, on a fait le choix d’attaquer ce segment par son versant le plus prospère actuellement, à savoir en misant sur le toute saison.

 

 

"Tout pousse dans cette direction, pose Danie­le Lorenzetti. Déjà notre histoire, car cela fait quasiment 30 ans que nous sommes des experts du toute saison. Ensuite, le contexte avec un marché français où le véhicule électrique est en forte croissance et où la loi Montagne booste les pneus toute saison. Enfin, les utilisateurs avec des profils très similaires entre les conducteurs qui roulent en VE et ceux qui achètent ce type de pneus."

 

Le sud‑coréen, quant à lui, pousse même l’initiative jusqu’à proposer avec sa nouvelle gamme iON une offre totalement unique disponible en été, hiver et, dans un second temps non précisé (proba­blement en 2023), toute saison. Que pense la concurrence de cette tac­tique à rebours des usages ? "Je ne suis pas certain qu’on soit obligé de créer des gammes qui soient dédiées à ces véhicules, analyse Christophe Bellier. Chez Continental, ce qui nous importe, c’est d’exceller sur tous les items qui entourent le pneu­matique. Aujourd’hui, l’ensemble de notre gamme peut être utilisé sur des véhicules électriques."

 

L’importance du "faire savoir"

 

Côté Michelin, on oscille entre l’adaptable et le spécifique. Pour ne pas se mouiller ou pour ne pas se tromper ? "Ce qui compte vrai­ment, c’est le travail mené avec les constructeurs. L’équation est telle­ment complexe qu’elle nécessite une collaboration encore plus forte avec leurs équipes et ça, c’est clairement une chance", déclare Vincent Pinot. Poussant la réflexion, le respon­sable admet également que "pour le consommateur, il est très impor­tant de bien identifier les produits concernés et de faire en sorte qu’ils répondent à ses besoins."

 

Une récente étude menée par Apollo Tyres, maison mère de Vre­destein, a révélé que 66 % des per­sonnes interrogées ne savent pas qu’il existe des enveloppes dédiées aux VE. "Les pneus spécifiques aux VE ont le potentiel d’offrir de nou­veaux avantages utiles aux proprié­taires de véhicules rechargeables et notre enquête suggère qu’une fois informés sur ces pneus, les automo­bilistes en apprécient rapidement les avantages, éclaire Yves Pou­liquen, responsable des ventes et du marketing chez Apollo Tyres. Alors que nous faisons la transition vers un avenir dominé par les VE, il est évident que nous devons aider les automobilistes à comprendre les propriétés des différents types de pneus afin qu’ils puissent profiter au maximum des avantages."

 

Le savoir‑faire n’est rien sans le "faire savoir". Après avoir beaucoup tra­vaillé pour aider les constructeurs automobiles, pour voir leurs tech­nologies monter en niveau et pour structurer leur offre commerciale, les manufacturiers sont désormais confrontés à un nouveau défi : celui de communiquer sur leurs nom­breux atouts.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle