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Industrie

Laurent Favre, Plastic Omnium : "La demande ne suivra pas la hausse des prix des voitures électriques neuves"

Publié le 12 octobre 2023

Par Catherine Leroy
14 min de lecture
L’adaptation au marché n’est pas un vain mot pour le directeur général de Plastic Omnium. Alors que la demande en véhicules électriques neufs ne suit plus les hausses de prix, l’équipementier français s’oriente vers d’autres technologies et secteurs. En 2030, Plastic Omnium devrait doubler son chiffre d’affaires pour atteindre plus de 15 milliards d’euros.
Laurent Favre, directeur général Plastic Omnium
Laurent Favre, directeur général de Plastic Omnium. ©Plastic Omnium

Le Journal de l’Automobile : Le secteur automobile vit des bou­leversements technologiques histo­riques. Quel regard portez‑vous sur cette industrie ?

Laurent Favre : Après une pé­riode de croissance quasi ininter­rompue de presque vingt ans, le marché mondial a atteint un plafond, depuis 2018. Les régulations de plus en plus importantes et une certaine incertitude sur les choix technolo­giques poussent les consommateurs à la prudence dans leur achat. Puis, l’impact du Covid, le redémarrage plus douloureux que prévu, la crise de la logistique et la pénurie de se­mi‑conducteurs n’ont pas permis au marché de retrouver son niveau d’avant-crise. Depuis 2020, c’est la ca­pacité à produire qui guide la taille du marché plutôt que la demande. Les plans de relance ont accéléré la transition énergétique et beaucoup d’argent a été mis sur la table pour se diriger plus vite vers l’électrique.

 

 

J.A. : Dans ce contexte, quelles sont vos pré­visions de marché pour 2023 et 2024 ?

L.F. : Le premier semestre 2023 a été relativement dynamique en termes de volume. Mais la seconde partie de l’année se profile avec plus d’incerti­tudes. Les prises de commande chez les constructeurs ralentissent, ce qui impacte la production. Ces derniers ont également augmenté leurs prix de vente. En partie à cause de l’in­flation mais surtout pour améliorer leurs marges et financer cette tran­sition vers l’électrique. Le prix des voitures a augmenté parfois de 20 à 30 %, soit beaucoup plus que l’infla­tion. Nous savons que la demande ne suivra pas. Nous pensons que le marché mondial mettra du temps à retrouver les niveaux d’avant-Covid. Et nous ne pensons pas qu’il arrivera à 100 millions comme le prévoient d’autres acteurs.

 

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J.A. : L’Europe souffre‑t‑elle plus que les autres marchés ?

L.F. : Certainement, l’Europe va de­venir de plus en plus importatrice de véhicules. Aujourd’hui, nous es­sayons de nous protéger, mais nous avons structurellement des faiblesses par rapport à d’autres. Les coûts de l’énergie sont toujours deux à trois fois plus élevés chez nous. Ce phé­nomène est extrêmement pénali­sant. Tout cela commence à avoir un impact négatif sur la productivité européenne. Dans le même temps, la Chine restera stable tout comme le marché américain. D’autres pays vont se développer comme l’Inde ou encore l’Afrique du Nord.

 

 

J.A. : Quelles sont les conséquences pour Plastic Omnium ?

L.F. : Nous diversifions notre por­tefeuille pour équilibrer nos risques géographiques, technologiques et clients. Comme nous réalisons 50 % de notre chiffre d’affaires en Europe, il est important de réduire cette dé­pendance. D’ailleurs, au premier se­mestre, 70 % de nos commandes pro­viennent de l’extérieur de l’Europe. Nous nous adaptons et investissons hors d’Europe avec l’objectif de passer de 50 % de notre chiffre d’affaires à 40 % environ dans 5 ans. Nous tra­vaillons par ailleurs sur des technolo­gies qui sont de moins en moins dé­pendantes du type de motorisations. Nous aurons toujours nos réservoirs à essence, mais nous développons aussi des solutions hydrogène et à batterie. Par ailleurs, nous sommes déjà présents dans tous les pays qui porteront la croissance dans l’avenir. Il s’agit donc d’implanter des capaci­tés de production près de nos clients, dans ces pays en croissance. C’est ce que nous faisons.

 

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J.A. : Comment évoluent vos propres car­nets de commandes ?

L.F. : Le marché se fragmente. Les segments du premium et du moteur à combustion restent à des niveaux de production très solides. La de­mande demeure importante sur les petits véhicules à moteur thermique. Mais celle concernant le véhicule électrique est beaucoup plus incer­taine. On assiste à des arrêts ou des ralentissements de production en Europe comme aux États‑Unis chez des constructeurs traditionnels. Mais cette tendance ne concerne pas les nouveaux arrivants, tels que Tesla ou les marques chinoises, qui gardent des volumes très impor­tants. C’est aussi parce qu’ils vendent des voitures à des prix plus accep­tables pour le consommateur final.

 

 

J.A. : Cela signifie‑t‑il que les ventes de vé­hicules électriques ne vont pas mon­ter en puissance comme envisagé jusqu’en 2035 ?

L.F. : Le choix de l’Europe est unique, en imposant une solution technologique de manière dogma­tique au lieu de donner des objectifs d’émission. Nous sommes évidem­ment favorables à l’idée de décarbo­ner mais contre celle d’imposer une solution technologique pour y parve­nir. Cette décision n’a pas été prise en écoutant le consommateur final et ses besoins, mais entre nos gouvernants. Il est légitime d’avoir un doute sur l’envie du consommateur d’avoir un véhicule tout électrique qui ne répond pas forcément à ses besoins d’autono­mie, de prix, d’infrastructure… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces véhicules sont subventionnés de fa­çon très importante. Compte tenu de l’endettement des États européens, je me pose la question de la persistance de ces aides.

 

La stratégie de Plastic Omnium est d'intégrer différemment l’éclairage dans les pare‑chocs pour répondre aux futurs besoins de ses clients. ©Plastic Omnium

 

J.A. : Que pensez‑vous du futur bonus éco­logique dont l’attribution sera déterminée par un score environnemental ?

L.F. : J’appelle cette nouvelle pro­position un sparadrap. L’Europe décide de mettre en place une régu­lation et une contrainte technolo­gique, non pour répondre aux be­soins des consommateurs mais par dogme. Cela revient à couper toute innovation technologique pour ar­river à la meilleure solution pos­sible. Nos gouvernants se rendent compte aujourd’hui de ce que tout le monde dans l’industrie avait anticipé. C’est‑à‑dire qu’ils ouvrent la porte à des concurrents asiatiques et améri­cains qui ont dix ans d’avance dans l’électrique, avec des coûts de struc­ture beaucoup plus compétitifs. L’Eu­rope croit pouvoir réindustrialiser ses marchés. Il risque de se passer le contraire. Et aujourd’hui, on essaie de rétropédaler avec un mécanisme que personne ne comprendra. Cela ne règle pas le problème structurel. Nous allons peut‑être réduire les impor­tations chinoises, mais ces derniers seront très créatifs dans leur manière d’augmenter le prix des matières pre­mières qu’ils nous vendent. À la fin, les voitures européennes seront sans doute encore plus chères.

 

 

J.A. : Les dés sont donc jetés ?

L.F. : Je pense qu’il serait encore temps de réfléchir et de travailler pour que la mobilité se décarbone rapidement, que l’on réponde aux en­jeux climatiques et sociaux, tout en préservant l’industrie européenne. Nous connaissons de très fortes ten­sions en Europe d’un point de vue social. Mais dans cinq ans, ce sera trop tard, car des usines risquent de fermer sur le sol européen. Les constructeurs vont transférer leur production dans d’autres régions du monde pour exporter. Nous aurons alors détruit un savoir‑faire et un outil industriel par pur dogmatisme.

 

 

J.A. : Comment évoluent les marges des équipementiers ?

L.F. : Les marges des constructeurs sont beaucoup plus élevées que les nôtres, avec moins de pro­duction. Cela s’explique principale­ment par leurs hausses de prix et cela ne sera pas pérenne. Dans la transi­tion énergétique, les équipementiers supportent une grande partie des investissements. Nous ressentons plus fortement les effets de l’inflation car nous avons nous‑mêmes des fournisseurs, plus petits, et qui n’ont pas la capacité de l’absorber. Réguliè­rement, nous devons aider financiè­rement certains d’entre eux. Et les négociations avec nos clients sur le sujet de l’inflation restent tendues.

 

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J.A. : Pensez‑vous retrouver vos marges d’avant-crise dans les années à venir ?

L.F. : Oui, parce que le marché est assez cyclique. Ensuite, nous avons fait les bons choix stratégiques avec des acteurs solides qui vont sans doute moins souffrir de l’électrifica­tion. Enfin, nous renouvelons notre chiffre d’affaires tous les 3 à 4 ans avec l’arrivée de nouveaux modèles de véhicules qui appellent également de nouveaux produits qui prennent en compte l’inflation. Donc, nous devrions retrouver des marges plus conformes aux niveaux d’avant crise. De plus, le marché va poursuivre sa consolidation. Qui dit consolidation, dit également pricing power pour les équipementiers.

 

 

J.A. : Cela veut donc dire que les construc­teurs doivent sacrifier une partie de leurs marges ?

L.F. : Cela veut dire qu’ils doivent travailler sur leurs coûts et leur effi­cience. Aujourd’hui, il peut sembler étrange qu’un constructeur bénéfi­cie d’une subvention de 5 000 euros pour une voiture électrique, alors que lui‑même a augmenté ses prix de 20 à 30 % pour améliorer ses marges.

 

 

J.A. : Quel est selon vous le différentiel « nor­mal » de prix entre une voiture thermique et une électrique ?

L.F. : Difficile à dire. Une batterie est constituée à 70 % de matières premières et de terres rares, et pèse environ 40 % de la valeur de la voi­ture. Ce sont des éléments que per­sonne ne peut réellement influencer. Tout le monde estime la convergence des prix entre 2028 et 2030. Mais l’inflation des matières premières est venue contrebalancer les avan­cées technologiques des batteries. Cela va‑t‑il s’atténuer ? Nous savons qu’il n’y a pas assez d’exploitations minières aujourd’hui pour répondre à la demande des véhicules élec­triques. La tension notamment sur le lithium reste très forte. Le recyclage des batteries aidera mais avant que l’on puisse récupérer la matière, il va encore s’écouler entre cinq et dix ans. Pour atténuer cet effet, de nombreux constructeurs essaient de simplifier beaucoup d’éléments pour réduire leurs coûts. Nous allons vers une sim­plification des gammes.

 

Plastic Omnium dispose d'un carnet de commandes d’environ 4 milliards d’euros dans l’hydrogène dont 99 % viennent de la mobilité lourde ou commerciale. ©Plastic Omnium

 

J.A. : Est‑ce pour cette raison que Plastic Omnium investit dans d’autres mobili­tés que la voiture ?

L.F. : Tout à fait, notamment par le biais de l’hydrogène qui nous ouvre la porte du marché du transport de marchandises. Ces transports com­merciaux, ou de mobilité lourde, ont tendance à croître, alors que le véhi­cule particulier est préalablement ar­rivé à une sorte de plateau.

 

 

J.A. : Quel développement envisagez‑vous pour la pile à combustible ?

L.F. : Depuis 2015, le groupe regarde l’hydrogène comme étant une source potentielle de croissance. Fort de notre savoir‑faire dans le réservoir à essence, nous avons étudié le stockage de l’hy­drogène. L’hydrogène, pour la mobilité lourde, est une énergie très pertinente. Cette solution permet en effet de com­biner une autonomie très importante, des temps de recharge très rapides et un poids acceptable. Tous les fabricants de camions auront dans leur gamme des véhicules à hydrogène avant 2030. L’accélération est visible également pour les véhicules commerciaux. Nous disposons d’un carnet de commandes d’environ 4 milliards d’euros dans l’hy­drogène, dont 99 % viennent de la mo­bilité lourde ou commerciale. Il y a une exception : Hyundai qui fait partie des premiers constructeurs à s’être lancés dans cette technologie. D’ailleurs, Plas­tic Omnium produira les réservoirs de la prochaine Nexo.

 

 

J.A. : Le véhicule particulier peut‑il être éga­lement un relais de croissance dans l’hydrogène ?

L.F. : Nous regardons l’évolution dans le véhicule particulier. Parmi les constructeurs qui veulent développer la solution hydrogène, figurent notam­ment Toyota, Hyundai et BMW. Nous verrons si ce segment peut être un re­lais de croissance supplémentaire. Ma conviction est que l’avenir sera plus multiple que ce que l’on veut bien ima­giner. Il y aura de l’essence, du diesel, de l’e‑fuel, de la batterie, de l’hydro­gène, en fonction des capacités d’in­frastructure et d’énergie. L’électrique à batterie sera la solution de masse pour les usages urbains à terme car facile­ment rechargeable, avec une énergie réutilisable stockée dans les batteries. C’est sans doute le sens de l’histoire. En revanche, pour les gros SUV et dans certains pays, l’hydrogène par­viendra à prendre des parts de marché. Mais nous n’envisageons pas qu’il soit dominant dans le VP.

 

Le score environnemental qui déterminera le futur bonus automobile est un sparadrap.

 

J.A. : Vous n’êtes pas présents dans le véhi­cule électrique à batterie. Pourquoi avoir pris une participation au capital de Verkor qui doit installer sa gigafac­tory à Dunkerque dans le nord de la France ?

L.F. : Parce que Verkor est une jeune entreprise française en premier lieu mais aussi parce que nous voulons mieux comprendre la technologie de la batterie. La meilleure façon de comprendre, c’est de participer et nous souhaitons par ailleurs disposer d’une capacité de cellules de batterie réservée pour nous si nous devions développer des solutions commer­ciales. Nous n’avons pas l’intention d’investir davantage.
Nous sommes présents dans le vé­hicule à batterie depuis 2022, grâce à l’acquisition d’Actia Power qui fa­brique des packs de batteries pour la mobilité lourde, comme les trains par exemple.

 

 

J.A. : Quelle évolution prévoyez‑vous sur vos activités historiques pour véhi­cules thermiques ?

L.F. : En 2019, 30 % de notre chiffre d’affaires était lié à l’activité de réservoirs pour les modèles ther­miques. Cette activité de réservoirs à essence et de systèmes de dépollution reste stratégique pour nous parce que nous sommes persuadés qu’entre 40 et 50 % de la production mondiale portera toujours sur des moteurs à combustion. Nous possé­dons environ 20 % de ce marché et nous passerons à 30 % à la fin de la décennie. Notre capacité à consolider le marché devrait compenser partiel­lement la baisse de production des moteurs thermiques au moins dans les 5 à 10 ans qui viennent. Lorsque l’on se projette à 2030, le groupe ne sera plus dépendant du moteur ther­mique que pour 15 % environ contre 30 % aujourd’hui. De même, 15 à 20 % de notre chiffre d’affaires se fera en dehors de la voiture particulière.

 

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J.A. : Et pour les pièces extérieures ?

L.F. : Nous voyons un essor de l’éclairage. Cette fonction remplace le chrome qui permettait la person­nalisation des véhicules. Comme le chrome n’est pas compatible avec les enjeux environnementaux et reste très difficile à recycler, ce dernier dis­paraît. L’éclairage permet de renou­veler cette signature des véhicules, notamment par une intégration plus élégante dans les faces avant et arrière. L’éclairage est devenu une façon de connecter le véhicule avec le monde extérieur. Demain, les voi­tures communiqueront de plus en plus entre elles ou avec les autres oc­cupants de la route. Les clignotants, par exemple, vont aller vers des sys­tèmes de projection de lumière vers le sol. Ce qui permettra aux vélos ou trottinettes dans les grandes villes de mieux anticiper quand le véhi­cule va tourner. C’est donc aussi une question de sécurité. De plus, les vé­hicules électriques disposent d’une surface disponible avant plus impor­tante, puisqu’ils n’ont pas besoin de système de refroidissement. Nous pensons que demain nos clients au­ront besoin d’intégrer différemment l’éclairage dans les pare‑chocs.

 

 

J.A. : Quels sont vos objectifs de chiffre d’af­faires d’ici cinq ans ?

L.F. : Nous avons organisé un Ca­pital Market Day en 2022 où nous avons annoncé plus de 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2030, dont 40 % de ce dernier généré à partir de ces nouvelles activités comme l’hydrogène, l’éclairage et tout ce qui est lié à la batterie. En début d’année, nous avons revu à la hausse notre objectif de chiffre d’affaires à 11,5 milliards d’euros à l’horizon 2025, contre 11 milliards annoncés initialement.

 

 

J.A. : Ces nouvelles activités génèrent‑elles autant de marge ?

L.F. : Pas encore. Notre activité hy­drogène est en pleine croissance avec la construction actuellement de quatre usines, en France, aux États‑Unis, en Corée du Sud et en Chine et devrait atteindre l’équilibre à l’horizon 2025‑2026. C’est évidem­ment beaucoup d’investissements mais également beaucoup de valeur pour le futur. Dans l’éclairage, nous avons fait des acquisitions qui nous permettent déjà d’enregistrer un mil­liard d’euros de chiffre d’affaires. Il s’agissait d’entreprises en souffrance après la période du Covid. Nous sommes en train de les redresser. Mais le groupe est suffisamment solide avec ses activités historiques en termes de profitabilité et de liquidités pour financer cette diver­sification. Notre actionnaire nous supporte pleinement pour aller dans cette direction.

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