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Industrie

Jacques Aschenbroich : "Valeo est devenu une machine de guerre"

Publié le 14 décembre 2022

Par Catherine Leroy
10 min de lecture
Dans quelques jours, Jacques Aschenbroich va refermer le chapitre automobile de sa carrière. Pendant ses treize ans de présidence, Valeo s’est profondément transformé et son chiffre d’affaires a triplé. Les décisions stratégiques prises durant ses mandats font du groupe un champion de l’innovation.
Jacques Aschenbroich quitte Valeo pour devenir président d'Orange le 1er janvier 2023. (©Mario Fourmy pour Valeo)

Le Journal de l’Automobile : Vous allez quitter la présidence du groupe Valeo le 31 décembre 2022 pour rejoindre celle d’Orange. Dans quel état d’esprit passez‑vous la main à votre successeur ?

 

Jacques Aschenbroich : La transition managériale s’est remarquablement déroulée. Ce n’est jamais facile pour un patron de mettre en place un successeur, qu’il soit adoubé par le conseil et que ce soit un succès. Christophe Périllat (actuel directeur général) a pris en charge la destinée de Valeo depuis janvier 2022 et il montre ses capacités d’entraînement de patron et de décideur. Gilles Michel, le nouveau président du groupe, prendra ses fonctions au 1er janvier 2023. C’est une vraie satisfaction et une fierté. Je suis également très fier des équipes de Valeo et du remarquable travail qu’elles ont fourni : elles sont très engagées et très innovantes. Ce sont elles qui ont développé et fait de Valeo un leader technologique qui reste le premier déposant de brevets dans le monde. Ce sont elles qui gèrent au quotidien nos relations, dans le monde entier, avec nos clients et les convainquent que nous sommes un fournisseur fiable, comme nous l’avons encore montré dans la période de pénurie des composants électroniques, période pendant laquelle nous n’avons jamais arrêté un client. Valeo a la meilleure équipe de l’industrie automobile et je le dis sans fausse pudeur. Valeo est devenu une vraie machine de guerre.

 

Je fais partie de ceux qui, depuis 2021, ont considéré que l’inflation n’était pas un phénomène provisoire, mais profond

 

JA. Quels sont les défis qui persistent ?

JA. Le premier défi aujourd’hui, c’est l’inflation. Ce phénomène a débuté dès 2021, bien avant le conflit en Ukraine. Et dans un monde inflationniste, que la plupart de nos collaborateurs n’ont jamais connu, il n’y a pas d’autres choix que de repasser intégralement cette inflation à nos clients. L’objectif, donné par Christophe Périllat en début d’année, sera rempli. C’est la priorité absolue. L’ensemble de l’industrie est confronté à ce sujet.

 

JA. Pensez‑vous ce phénomène durable ?

JA. Je fais partie de ceux qui, depuis 2021, ont considéré que l’inflation n’était pas un phénomène provisoire, mais profond. La lutte contre le réchauffement climatique, les transformations en profondeur de l’industrie nécessitent des investissements colossaux, au niveau de nos fournisseurs d’électricité, de cuivre, d’aluminium, de résine… Et pour réaliser ces derniers, l’ensemble de la chaîne logistique devra adapter les prix au nouveau coût des produits. Nous devrons vivre avec de l’inflation dans les années qui viennent, en veillant à ce qu’elle ne se répercute pas dans les salaires. Mais notre niveau de prises de commande reste extrêmement élevé voire record cette année. Ce qui veut dire que nous n’avons pas été pénalisés par cette répercussion de la hausse des prix sur nos clients. Sans doute parce que nous avons des produits exceptionnels (sourire).

 

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JA. L’inflation sur les marchés occidentaux est‑elle un handicap face à la Chine ?

JA. La Chine est le seul marché, avec l’Inde, en croissance en 2022 par rapport à 2019. En parallèle, et de façon assez paradoxale, la Chine est devenue un pays extraordinairement compétitif. Il y a une inflation très faible en Chine. Les prix des matières premières sont même en train de baisser et donc les coûts chinois sont beaucoup plus faibles que les nôtres ou même que ceux aux Etats-Unis. Prenez l’électricité, par exemple, le coût est aujourd’hui 5 à 6 fois plus bas qu’en France. Nous voyons d’ailleurs un regain de compétitivité et les exportations chinoises qui progressent. Le risque est de voir des véhicules électriques chinois alimenter nos marchés européens, américains… Après avoir vu la vague japonaise dans les années 70, celle coréenne dans les années 90, arrive la vague chinoise et d’ailleurs, nous l’avons vue au Mondial de l’Automobile. Renault et Stellantis étaient présents, mais aussi les chinois BYD, Great Wall… Nous avons vu que les chinois étaient là pour démontrer la qualité de leurs produits et leur volonté de conquête. Ils vont s’implanter en Europe et probablement sur le segment de marché qui, aujourd’hui, est un peu délaissé par nos clients : les produits d’entrée de gamme.

 

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JA. Que pèse la Chine pour Valeo ?

JA. La Chine est devenue et de très loin le premier marché au monde. C’est aujourd’hui 27 % de la production mondiale. Être en Chine est fondamental pour tout équipementier. Et c’est pour nous le premier pays : nous y employons près de 20 000 personnes contre 15 000 en France. Il faut savoir que l’Asie représente 34 % de notre chiffre d’affaires. En 2009, lors de ma prise de fonction, cette part n’était que de 17 %.

 

Malgré les crises, intrinsèquement, ou peut-être grâce à elles, Valeo est beaucoup plus fort qu’il ne l’était il y a 13 ans.

 

JA. Quelle est la plus grande fierté de votre présidence ?

JA. Tout d’abord, les équipes, qui sont formidables. J’ai toujours considéré que j’étais avant tout un détecteur de talents. Et ensuite, grâce à elles, d’avoir positionné Valeo sur les marchés en hypercroissance de l’industrie automobile. En 2009, l’un des reproches faits à Valeo était d’être une société dont on ne voyait pas la stratégie, qui n’était pas rentable et qui avait un problème existentiel. En réalité, Valeo était mal géré et n’avait pas su suivre l’évolution du marché automobile.

 

JA. En quoi l'entreprise péchait-elle ?

JA. C’était une société très décentralisée avec 132 divisions, 11 branches, des surcoûts et des frais généraux insupportables. Dès le 1er janvier 2010, soit 9 mois après mon arrivée, nous avons mis en place une nouvelle organisation avec quatre pôles d’activité et des services centralisés. Pendant ces douze années, notre chiffre d’affaires est passé de 7,5 milliards à près de 20 milliards cette année. Notre Ebitda a été multiplié par 3,4, notre trésorerie a doublé et notre cours à la Bourse a été multiplié par 5,5. Mais le plus important pour moi est que nous sommes devenus le numéro 1 mondial de l’électrification (basse et haute tensions), de l’Adas, de l’éclairage, ou des produits du thermique pour les véhicules électriques. Toutes les plateformes technologiques créées nous servent à standardiser nos produits et nos procédés industriels et nous permettent d’optimiser nos coûts de développement, tout en baissant nos coûts de production. Malgré les crises, intrinsèquement, ou peut-être grâce à elles, Valeo est beaucoup plus fort qu’il ne l’était il y a 13 ans.

 

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JA. Avec le recul, quelles ont été vos décisions les plus importantes pour Valeo ?

JA. Plusieurs décisions ont été prises dès 2009. Nous nous étions épuisés pendant des années à vouloir devenir un grand du diesel, alors que nous possédions cette perle qui était le Stop-and-Start, avec des performances proches du diesel. Or, l’antidiesel comme l’anti-OGM ou encore l’antinucléaire étaient et sont toujours des sujets tabous notamment pour les écologistes. Nous avons présenté pour la première fois le 48 V au Mondial en 2010. Déjà à cette époque, nous avions dit que notre ligne directrice serait l’Asie et la réduction des émissions de CO2. Mais tout le monde était dubitatif et nous n’avons même pas eu un succès d’estime. Mais nous avons persévéré sur le 48 V. Cette décision a été notre première incursion dans l’électrique et ce qui est devenu le mild hybrid est à l’origine de notre leadership dans l’électrique. Une autre décision, grâce à notre présence dans les capteurs à ultrasons, a été de développer toute une gamme de produits dans l’assistance à la conduite, les caméras, les radars, le LiDAR ou les "domaines contrôleurs".

 

Le plus grand danger serait de se considérer comme un leader. Valeo doit garder cette mentalité et cette humilité d’outsider

 

JA. Quelle activité présente un potentiel à ne pas négliger ?

JA. Nous sommes désormais présents sur l’ensemble de la chaîne. Pour nous, l’Adas, c’est une activité en pleine croissance, de l’ordre de 20 % par an, et qui conduira à la voiture autonome. Une voiture autonome est une voiture qui voit, comprend son environnement pour mieux l’analyser et prendre les décisions à la place du conducteur. Et pour passer du niveau 2+ actuel au niveau 3, il faut des LiDAR. C’est un marché qui demande énormément de développement dans les capteurs et les logiciels et qui nous pousse à faire des produits de plus en plus sophistiqués. Mais c’est aussi le marché sur lequel nous avons la meilleure rentabilité. Là aussi, nous avons eu raison d’y persévérer. De même, le 48 V nous a ouvert la porte sur des segments de marché adjacents à ceux plus classiques comme les 2 ou 3 roues et les voitures citadines, comme l’Ami.

 

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JA. Quel est le plus grand risque pour Valeo ?

JA. J’ai toujours pensé que ce qui distinguait les entreprises, c’était à la fois la technologie et le rythme. Sur le premier point, nous n’avons pas beaucoup de trous dans notre raquette et peu de produits sont condamnés à terme. Et après, il y a le rythme. L’a-t-on eu ? Je crois que oui, même si l’on peut toujours aller plus vite. Valeo a toujours été regardé comme un outsider, ce qui oblige à courir plus vite que les concurrents. Le plus grand danger serait de se considérer comme un leader. Valeo doit garder cette mentalité et cette humilité d’outsider et en même temps être fort et imposer ses standards et sa vision du marché à nos clients. C’est ce qui sera le plus difficile. Mais le fait que nous ayons passé toute cette crise sans jamais avoir eu besoin d’augmenter le capital, de faire appel à nos actionnaires et que nous ayons pu financer notre développement est une force incroyable.

 

JA. Pourtant, la Bourse est assez peu clémente avec les industriels dits traditionnels…

JA. Bien sûr, c’est une frustration. Mais pour autant, fallait-il faire autrement ? Je pense que non. Il fallait avoir le courage de nous développer. Les actionnaires sont très importants, quand on regarde dans le détail, notre actionnariat est resté relativement stable et semble nous faire confiance.

 

Peut‑on quitter facilement l’automobile ?

J.A. : J’ai adoré travailler pendant plus de 30 ans dans l’automobile. Je découvre un nouveau métier, celui d’Orange qui est passionnant et dont les caractéristiques sont proches de celles de l’automobile. La technologie y joue un rôle important, tout comme les défis stratégiques et la concurrence très forte. Mais comme pour Valeo, j’ai la chance d’avoir à mes côtés, encore une fois, une directrice générale exceptionnelle, Christel Heydemann, avec qui il est formidable d’échanger et de préparer l’avenir d’Orange.

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