Remboursement des bonus : les concessionnaires prêts à bloquer le système
Le niveau d'irritation est plus que palpable. Pire, les concessionnaires sont prêts à bloquer les livraisons des véhicules électriques sur les prochaines semaines si la situation ne s'améliore pas.
En cause, la mission de l'Agence des services et des paiements (ASP), qui n'est plus assurée depuis le début de l'année.
Cette agence, qui dépend de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), se charge de rembourser les distributeurs automobiles qui avancent, pour le compte de l’État, des aides accordées pour l'achat d'un véhicule électrique, que ce soit pour les bonus classiques ou le leasing social.
Les relations entre l'ASP et les réseaux sont toujours assez tendues. L’État, fidèle à sa réputation de mauvais payeur, traîne régulièrement des pieds pour rembourser ces avances.
Ainsi, il est courant, selon les professionnels interrogés, que la plateforme de l'ASP ferme à l'automne quand le budget de l'année est éclusé et réouvre vers le mois de février, quand l'agence récupère des lignes de crédits.
Pendant cette période, l'agence en profite pour mettre à jour son système informatique pour la conformer au montant des aides qui évolue chaque année.
Plus de 100 millions d'euros d'avance de trésorerie
Habituellement, pendant environ quatre à cinq mois, les distributeurs puisent dans leur trésorerie pour continuer à livrer leurs clients. Mais cette année, la fermeture du portail dépasse les limites.
Aucun dossier n'a pu être déposé par les distributeurs automobiles depuis le mois de février car la plateforme est toujours en cours d'actualisation. Et elle ne sera pas en état de fonctionner avant le 30 mai prochain.
La situation est d'autant plus catastrophique, qu'en plus du bonus classique, les distributeurs ont fait l'avance de l'aide pour le leasing social qui s'élève à 13 000 euros par voiture.
Selon un rapide calcul effectué sur la quinzaine de groupes de distribution membres du syndicat Mobilians, les sommes avancées atteindraient déjà 25 millions d'euros. À l'échelle du territoire, le manque de trésorerie dépasserait certainement les 100 millions d'euros.
"C'est tout simplement scandaleux", dénonce un distributeur qui attend le remboursement de 3,2 millions d'euros. Par malchance, ce dernier distribue les marques du groupe Stellantis qui s'est glorifié d'être le premier bénéficiaire des 50 000 dossiers acceptés par le gouvernement.
"J'ai livré près de 150 voitures mais je suis obligé d'arrêter car je n'ai plus les moyens d'avancer les montants du bonus et les voitures attendent sur le parking. J'ai demandé à la banque des lignes de crédits supplémentaires, fait un emprunt mais vu le coût de l'argent, ce n'est plus possible. On arrive au bout du processus," explique-t-il.
Pour cet autre distributeur, la coupe est pleine. "Nous entendons les déclarations du gouvernement sur la volonté d'accompagner la vente de voitures électriques et d'atteindre 800 000 ventes en 2027. Mais ce sont nos entreprises qui sont mises à mal par ces déclarations. Ce n'est pas sérieux."
A lire aussi : Un nouveau contrat de filière automobile basé sur la fin du thermique en 2035
Pas de délai sur les remboursements
Si l'ASP promet l'ouverture du portail le 30 mai 2024, aucune date n'est cependant avancée sur le délai de remboursement. Aucun dirigeant ne croit à un retour des avances sous un mois.
Dès la mise en service de la plateforme, les distributeurs vont s'empresser d'entrer les dossiers des 50 000 voitures issues du leasing social, sans compter le rattrapage des commandes classiques de voitures électriques.
"Ce sera un engorgement complet", assure Marc Bruschet, président des concessionnaires chez Mobilians. Et nous ne savons même pas si les lignes budgétaires du gouvernement seront suffisantes pour rembourser nos avances. Mais c'est simple, cela ne passe plus en trésorerie dans nos entreprises. Surtout pour les distributeurs du groupe Stellantis. Nous avons connu une situation similaire il y a deux ans, mais à cette époque, nos trésoreries nous le permettaient. Aujourd'hui, ce n'est pas possible, cela ne passe plus."
Des contrôles et des ordres de recouvrement
Un mouvement de colère qui atteint son sommet avec les ordres de recouvrement reçus de l'ASP par certains dirigeants. Une procédure qui oppose les services de l’État et les sociétés de financement captives des constructeurs, dont les concessionnaires font les frais.
Les captives réclament aux réseaux lors du financement d'une voiture électrique une facturation au tarif normal (sans soustraction du bonus). Les réseaux suivent cette procédure, obligatoire, en indiquant sur cette facture l'aide accordée par l'État.
Mais la pratique est illégale selon l'ASP qui invoque les risques encourus par un contrôle de la Commission dans le cadre des aides européennes accordées pour la transition écologique.
Résultat, dans le cadre de ces contrôles, l'ASP a retoqué de nombreux dossiers imposant le remboursement des aides jugées comme perçues indument. Un concessionnaire a même été obligé de demander à ses clients une preuve écrite de l'avance accordée pour le bonus, afin d'éviter la sanction du contrôle.
Une situation difficilement tenable
"La situation est inacceptable. L'ASP doit s'engager, d'une part, sur l'apurement des dossiers passés et les problèmes de recouvrement dont nous faisons les frais sans raison, d'autre part, sur des délais réels de remboursement des dossiers en cours dès que le portail est ouvert. Ce sont nos entreprises, nos emplois", ne décolère pas Marc Bruschet.
Sans réponse, les réseaux sont prêts à bloquer le système. Pas d'engagement, pas de livraison et pas d'immatriculation... Les constructeurs devraient rapidement se sentir concernés.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.