Poids lourds chinois : à la recherche d’un marché
À l’image de l’offensive chinoise dans l’automobile au début des années 2020, une nouvelle phase de conquête s’amorce discrètement sur un autre segment stratégique : celui du poids lourd.
Encore absents du paysage européen du véhicule industriel, les constructeurs venus de Chine prennent leurs marques, testent les salons, explorent les besoins des flottes et affinent leurs projets d’implantation.
Une dynamique qui rappelle fortement la décennie d’observation et de préparation des marques automobiles chinoises avant leur arrivée remarquée sur le Vieux Continent.
Mais contrairement au marché automobile, celui du poids lourd repose autant sur le produit que sur la densité et la fiabilité du réseau de distribution, un enjeu majeur pour ces nouveaux venus qui devront convaincre à la fois les professionnels du transport et les acteurs de l’après‑vente.
"Pour l’instant, à part JAC, présent dans le petit camion, et Maxus dans l’utilitaire, il n’existe pas encore de constructeurs chinois sur le marché VU/VI, pose Patrick Cholton, président de Solutrans et fin connaisseur du marché. Mais ils vont arriver. Pour la prochaine édition de Solutrans, nous avons eu beaucoup de demandes de la part de nouveaux entrants. Nous passons ainsi d’une douzaine de marques à vingt‑cinq avec, pour l’instant, pas mal d’acteurs dans le véhicule utilitaire léger. Nous avons dû d’ailleurs refuser certains constructeurs, car nous avons pour politique d’être pragmatiques et de libérer de l’espace aux acteurs implantés ou qui ont des projets sérieux."
Il rappelle que "beaucoup de constructeurs, principalement chinois, viennent sur les différents salons européens pour prendre le pouls du marché".
Mais certains sont déjà passés à la vitesse supérieure. Lors de la dernière édition de Choose France, le constructeur chinois de poids lourds électriques Windrose a, en effet, annoncé la création d’une usine à Onnaing (59).
Bénéficiant d’un investissement de 175 millions d’euros, ce centre de production, qui sera opérationnel en 2027, emploiera 300 personnes et assemblera 4 000 camions par an.
Et il n’y a pas que les Chinois qui ont des velléités sur le marché français. "Les Turcs de BMC seront également présents à Solutrans et ont de très fortes ambitions", indique Patrick Cholton, qui prend aussi pour exemple Ford Trucks, dont la production est assurée par Ford Otosan, un partenariat de longue date entre l’américain et le constructeur turc, et qui assemble également les utilitaires Ford en Turquie et en Roumanie.
BMC était présent en 2023 à Solutrans et une quarantaine de concessions avaient été annoncées, mais pour l’instant, le constructeur ne dispose pas encore de points de vente.
Services avant tout
"Malheureusement, la défaillance de certaines marques (comme Volta Trucks ou Nikola, NDLR) fait du mal aux nouveaux entrants, glisse Julien Bahri, directeur général de Tekauto et importateur de JAC (cf. encadré). D’une manière générale, les nouvelles marques peuvent être séduites par la France, car il reste un marché important en Europe, mais il est très conservateur."
Athina Argyriou, présidente déléguée de la CSIAM, et Marie Defrance, adjointe à la présidente déléguée, confirment : "À part JAC et Maxus dans l’utilitaire, aucun constructeur chinois ne commercialise de l’utilitaire ou du poids lourd sur le marché français. Contrairement à l’automobile et à l’utilitaire qui sont des mondes assez proches, celui du poids lourd est beaucoup plus complexe. En termes de distribution, il repose autant sur le produit que sur les services."
Les nouveaux entrants sont‑ils alors une opportunité pour les distributeurs automobiles qui commercialisent déjà du poids lourd ou qui souhaiteraient se développer dans cette activité ? "Au‑delà du produit, il y a la qualité du service qui est encore plus importante que dans l’automobile, insiste Athina Argyriou. Dans le poids lourd, 75 % des acheteurs sont des TPE/PME ; elles ont besoin de conseils, de suivi pour se retrouver dans une offre pléthorique."
En outre, elle estime qu’il existe un certain patriotisme dans l’achat des camions. "Toutes les grandes marques produisent en Europe et avec Renault Trucks, Volvo Trucks et Scania, la France est un important producteur de camions", précise‑t‑elle. Par ailleurs, le marché de l’électrique dans le poids lourd est aujourd’hui anecdotique.
En 2024, selon la CSIAM, bien qu’en progression de 18,9 %, les porteurs et les tracteurs routiers n’ont représenté que 1,4 % de part de marché, soit 653 véhicules. "Mais il est certain qu’à moyen terme, les nouveaux entrants vont souhaiter s’appuyer sur des réseaux de distribution existants, que ce soient des acteurs de l’automobile ou plus certainement du poids lourd", note Patrick Cholton.
Certains d’entre eux arrivent, en effet, avec des catégories de produits qui couvrent des niches ; ils pourraient dès lors être un complément d’activité pour ces distributeurs.
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