Paquet automobile européen : un retour au pragmatisme salué par les distributeurs

"Tout ça pour ça !", brocarde Philippe Dallard, président du groupe de distribution éponyme dans la région toulousaine. Comme attendu, la Commission européenne a assoupli sa réglementation en maintenant l’objectif de décarbonation, mais en permettant jusqu’à 10 % d’émissions résiduelles après 2035. Cela sous-entend la fin de l'interdiction totale de vendre des véhicules non électriques après 2035 et ouvre la voie à une commercialisation limitée de modèles thermiques et hybrides. Une proposition qui ne laisse pas indifférents les distributeurs français, qui avaient tendance à appréhender l'échéance brutale de 2035.
"Ce paquet automobile européen est la preuve d’une réintroduction d’un certain pragmatisme dans la réglementation européenne. Au moins, ils se sont rendu compte que la trajectoire, telle qu’elle avait été définie à l’origine, n’était pas tenable sans véritable étude d’impact. Sur le plan social, ils constatent que cette trajectoire est difficilement soutenable : le prix des véhicules augmente et la voiture tend à devenir un produit de luxe. Sur le plan économique, la filière est en train de se fragiliser", résume Marc Bruschet, président de la branche concessionnaires de Mobilians et distributeur dans le sud-est de la France.
"Il faut toujours faire attention quand ce sont les dogmes qui pilotent les décisions, et notamment les décisions économiques. Ce dogme de la voiture 100 % électrique était, selon moi, impossible à résoudre", affirme pour sa part Philippe Dallard. Néanmoins, pour le distributeur du Sud-Ouest, "le mal est fait", mais "le bon sens fait son retour". "Depuis le début, nous aurions dû prendre plus de temps, avec davantage de flegme et d’analyse. Je ne veux pas crier victoire trop vite. Toutefois, je le prends comme un nouveau point d’achoppement, un nouveau point d’entrée", ajoute-t-il.
Des propositions qui peuvent redynamiser le marché
"Pour les distributeurs, c’est plutôt une bonne nouvelle, parce que cela va desserrer la contrainte sur le mix VN et, par là même occasion, donner un bol d’air frais au marché", se rassure Marc Bruschet. Une légère flexibilité accordée aux constructeurs, perçue comme une opportunité de proposer d’autres alternatives aux véhicules à batterie. "Il s’agit de redonner à l’industrie automobile sa capacité à faire de la recherche et développement et à trouver des solutions, y compris sur l’électrique, pour atteindre les objectifs de décarbonation", présente Christophe Maurel, directeur du groupe éponyme dans la région Occitanie.
"L’électrique est une bonne chose, mais les solutions alternatives embarquant des biocarburants, les véhicules hybrides, rechargeables ou non, sont aussi des solutions intéressantes parce qu’elles permettent, au moins de façon transitoire, de passer le cap", assure-t-il. Le distributeur y voit également l’occasion, par le biais de l’ouverture accordée aux technologies de biocarburants plus vertueux, de décarboner le parc existant.
Des incitations pour les petites voitures bienvenues
Le paquet automobile européen propose d’améliorer l’accessibilité des véhicules électriques de petite taille avec la création d’une nouvelle sous-catégorie M1e, le petit véhicule européen. Celle-ci concerne les modèles de moins de 4,2 mètres de long. Ces modèles bénéficieraient d’un superbonus dans le calcul CO₂ des constructeurs en cas de fabrication européenne, ainsi que d’un gel de la réglementation les concernant pendant dix ans. Une initiative qui suscite l’intérêt de Marc Bruschet. "Pour relancer le marché, il faut baisser les prix. C’est plutôt une bonne chose", assure le distributeur.
Cependant, pour le président de la branche concessionnaires de Mobilians, la Commission aurait pu aborder différemment le sujet de la réduction des prix. "J’aurais préféré la solution évoquée par Luca de Meo (ex-directeur général du groupe Renault, ndlr), c’est-à-dire alléger les normes sur les véhicules de segment A ou B. Une Clio n’a pas besoin d’avoir les mêmes aides à la conduite qu’une berline destinée à faire plus de kilomètres. À quoi ça rime d’avoir un avertissement de franchissement de ligne avec intervention sur la direction, un système anticollision ou encore un freinage d’urgence sur une Clio ?", souligne Marc Bruschet.
De nombreuses zones d’ombre restent à éclaircir dans les propositions de la Commission européenne. " Il demeure pas mal de points en suspens. Ce qui est important, c’est que la fiscalité française suive la position européenne et se détende, notamment sur les questions de malus au poids, tout en encourageant l’achat de véhicules électriques. Il faudrait également revoir les dispositifs de mise au rebut des véhicules les plus polluants. Il doit y avoir une corrélation entre l’assouplissement du cadre européen et la fiscalité française", expose Christophe Maurel.
Une baisse des ventes de VE à prévoir ?
De son côté, Rodolphe Touquet, directeur de concession au Havre (76), salue également les propositions de la Commission européenne. Néanmoins, le distributeur normand s’interroge sur l’évolution des ventes de véhicules 100 % électriques. "Le gouvernement avait décidé de prendre ce qu’il y avait sur l’étagère et d’obliger les constructeurs à faire des véhicules électriques. Ils y sont donc allés à marche forcée, constate-t-il. Aujourd’hui, ce n’est ni le gouvernement ni les constructeurs qui décident : c’est le client. S’il se rend compte qu’il peut continuer à acheter du thermique, peut-être que cela freinera les ventes de VE". Selon Rodolphe Touquet, l’engagement vers l’électrique est toutefois si avancé que cet effet ne devrait être que temporaire.
"Aller vers l’avenir du véhicule électrique, c’est le sens de l’histoire, mais il faut le faire à certaines conditions : s’assurer que la motorisation corresponde aux attentes du client, notamment sur le plan économique. Le client aura désormais le choix, et ce sera un choix raisonné. Oui, cela aura un impact, mais ce sera fait en bonne intelligence et en adéquation avec l’utilisation réelle de son véhicule", assure le directeur d’un groupe de distribution qui souhaite rester anonyme.
"Les ventes de voitures 100 % électriques ne progressent pas aussi vite que nous le pensions. Finalement, les propositions de la Commission européenne sont intéressantes, car elles donneront plus de temps aux clients pour s’orienter vers l’électrique", estime de son côté Philippe Dallard.
Si tous les distributeurs que nous avons interrogés semblent unanimement satisfaits de l'inflexion de la Commission européenne, la marge de manœuvre risque d'être serrée. En effet, la part des motorisations thermiques et hybrides accordée sera très limitée et soumise à des contreparties strictes en matière de compensation d'émissions de CO2. Comme le faisait remarquer Jean-Philippe Hermine, directeur de l'Institut mobilités en transition (IMT), au lendemain de l'annonce du 16 décembre 2025 : "Il ne faut pas surestimer la portée des flexibilités accordées ni l’intérêt à long terme des hybrides rechargeables ou des agrocarburants, qui resteront strictement encadrés et relégués à des niches en 2035, probablement concentrées sur des gammes plus coûteuses".
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