Groupe Hecquet : le héros normand
C’est un rituel bien installé. Les membres de la famille Hecquet partent chaque année en séjour en Auvergne. Une escapade qui a tout du pèlerinage sur les terres originelles car, avant de devenir un distributeur incontournable de Normandie, le groupe Hecquet a débuté modestement au centre de la France.
À l’époque, Rémy Hecquet, ingénieur civil passé par l’Afrique et l’Asie du Sud‑Est, est embauché en Auvergne pour construire un barrage. Mais une querelle avec son employeur le pousse à démissionner et à rebondir en tant que garagiste Renault, à Mauriac (15). Une histoire que personne ne veut oublier chez les Hecquet.
L’arrivée en Normandie a relevé tout autant du hasard. Au milieu des années 60, Rémy Hecquet se dirigeait vers Abbeville (80), sa ville natale, pour y racheter une concession. Faisant halte à Rouen (76) chez des amis, il apprend qu’une affaire est à vendre en ville.
Sautant sur l’opportunité, il devient alors représentant des marques Volvo, Lancia, Rover et Matra sous l’enseigne Garage Continental en référence au Café Continental de Saïgon, où il avait eu ses habitudes dans sa vie antérieure. Son fils, Jean‑Claude, bien plus passionné d’automobile que lui, l’accompagne dans cette aventure.
Changement de statut
Un site qui sera prochainement détruit, confie Thierry Hecquet, le petit‑fils du fondateur et président du groupe depuis plus de 25 ans. La mairie de Rouen, voulant aménager un parc de grande envergure, va expulser une partie des commerçants du quartier Mont‑Riboudet, lieu de concentration des distributeurs automobiles dans la cité préfectorale.
Il y a longtemps que les marques exploitées par son grand‑père ont quitté les murs. Au milieu des années 90, l’industrie automobile se réorganisant, la famille perd alors les panneaux Volvo et Lancia, réattribués de facto aux concessionnaires Ford et Fiat.
Ce vide doit être comblé et Audi représente l’opportunité idéale puisque le concessionnaire rouennais va lâcher le panneau pour ne garder que Volkswagen.
La tenue du Mondial de l’Automobile de 1998, où le concept TT se révèle, permet à Jean‑Claude et Thierry Hecquet d’aller rencontrer Philippe Talou‑Derible, directeur d’Audi France. "Il est venu nous rendre visite et il a découvert, derrière un rideau, notre collection. Fasciné, il a compris que mon père et moi sommes de véritables amoureux de voitures", se souvient, amusé, Thierry Hecquet.
Et de poursuivre : "Avec Audi, nous passions du statut de concessionnaire à groupe de distribution." Devant l’ampleur du projet qui se dessine, Jean‑Claude Hecquet juge qu’il est alors temps de passer les rênes à son fils, jeune trentenaire.
La fin de l’aventure basque
Une relation qui découle sur d’autres investissements, dont le rachat de la concession Bayonne Automobiles, au Pays basque. Le groupe y distribue Volkswagen, Audi et Skoda et doublera la taille des effectifs. Mais comme tout entrepreneur, le petit‑fils du fondateur finit par traverser sa période de difficultés.
Thierry se souvient du visage tracassé de son père en 1976, quand une secrétaire commerciale peu scrupuleuse a mis l’entreprise en péril. Lui, il accumule des déboires en 2017. "Jacques Chirac disait que les emmerdes volent toujours en escadrille. Je le confirme", en plaisante‑t‑il aujourd’hui.
À cette époque, en plus des remous de sa vie personnelle, il doit faire face à des difficultés financières à Bayonne (64). Ce qui tombe mal puisque le groupe vient de valider les plans d’un atelier Audi hors norme à 4,5 millions d’euros et reçoit l’aval de Lamborghini pour implanter la marque à Bordeaux (33) moyennant trois millions d’euros.
La décision est donc prise de couper la branche basque. "Ce fut un crève-cœur d’autant que mon fils, Louis, venait de nous y rejoindre. Il a décidé de poursuivre l’aventure avec le repreneur", referme‑t‑il ce chapitre, sans manquer de souligner le soutien indéfectible de son constructeur à l’époque.
À l’exception de Lamborghini à Bordeaux, le groupe Hecquet se concentre donc sur la Normandie, en ajoutant d’autres panneaux pour asseoir sa position géographique.
Nous réalisons une très grande majorité des immatriculations avec de vrais clients
Outre Seat et Skoda, Cupra et Kia font ainsi leur apparition. Et Thierry Hecquet de souligner le plaisir qu’il éprouve à côtoyer Robert Breschkow, ex‑patron de Seat‑Cupra France passé chez Audi, sa "deuxième belle rencontre automobile".
À l’inverse, la famille lâche aussi des enseignes. En effet, à l’été 2024, le manque de confiance dans la stratégie de Stellantis conduit à la sortie des réseaux Alfa Romeo et Jeep au profit de Jean‑François Evrard, président du groupe Polmar, par ailleurs son confrère dans l’univers Volkswagen.
Le parfait équilibre
À ce jour, le groupe Hecquet a des intérêts dans trois villes de Seine‑Maritime, à Rouen, Le Havre et Dieppe. Les frontières s’étendront‑elles de nouveau ? La réflexion est ouverte pour le président. Il ne néglige aucune opportunité, tout en jurant par la notion de héros local, lui qui prête un œil à tous les verbatims.
D’autant qu’en restant à la taille intermédiaire, le petit‑fils du fondateur trouve certains avantages. Il maîtrise la qualité de ses ventes en choisissant ses canaux et les conditions. "Nous réalisons une très grande majorité des immatriculations avec de vrais clients, ceux qui reviendront à l’après‑vente", explique‑t‑il.
Il le faut bien, puisque la concurrence s’enhardit. "Avec Audi, nous affichons une pénétration de 25 % sur le marché premium et sur le marché global, les marques chinoises viendront grappiller ce gâteau. Il faut le défendre", clame‑t‑il. Ces dernières sont venues frapper à sa porte avec des propositions.
À ce jour, le groupe Hecquet les a toutes repoussées. Le concessionnaire ne remet pas en question leur potentiel, mais, dans le fond, il aimerait davantage mettre ses ressources au service du groupe Volkswagen, notamment d’Audi, son partenaire de la première heure.
2025 sera une grande année pour Audi
Sur une année, il écoule autour de 1 100 voitures de la marque aux anneaux dans ses trois concessions. "Et 2025 sera une grande année pour Audi", est‑il convaincu de la sortie de l’ornière. À ceci, s’ajoutent un peu plus de 2 000 unités cumulées avec les autres marques, dont 800 Kia environ.
Avec l’aide de son comité de direction, il fixe précisément les valeurs résiduelles de base de chaque modèle et seuls les chefs des ventes peuvent accorder des jokers pour débloquer une négociation. Le président ne cache pas sa vigilance vis‑à‑vis des risques financiers et ce, en dépit de sa bonne structuration du VO.
Au lendemain de la pandémie, la famille a fondé Groupe Hecquet Occasions. Cette filiale a débuté dans les murs d’Audi au Havre, avant de disposer de son propre local de 1 600 m2, depuis 2023, au sud de Rouen, pour y revendre plus de 600 voitures d’occasion par an, majoritairement des reprises hors marques du groupe et des achats extérieurs. "Grâce à elle, nous atteignons un ratio de 1 VO à particulier pour 1 VN dans le groupe", se félicite le président aux 200 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Son fils Thomas Hecquet en a pris la responsabilité. Un moyen pour lui de se former, épaulé par des cadres du groupe comme le veut la méthode familiale. Le président raconte que lui aussi, auparavant, avait été envoyé faire les foires et autres formes d’expositions pour combattre sa timidité avant d’être nommé chef des ventes.
Un projet de grand village
Le prochain cycle du groupe et de ses 270 collaborateurs se prépare de fait en douceur. Thierry Hecquet dit avoir vendu aux constructeurs ce scénario dans lequel ses trois fils et sa femme, Sabrina, 42 ans, pourront aisément prendre la relève.
Cette dernière a joué un rôle important dans le redressement du groupe. Après un long parcours chez Volvo et Volkswagen, elle s’est imposée à la direction opérationnelle de la plaque Audi. Il a un projet d’envergure sur la table pour ses successeurs désignés et pour que la concession Garage Continental puisse poursuivre son histoire.
Le groupe vient d’acquérir un terrain de 20 000 m2 à La Vaupalière (76), une commune au nord de Rouen. Sous forme de village automobile, les marques Seat, Cupra, Skoda et Kia vont y être réunies dès 2027.
Il y aura également un pôle après‑vente de grande envergure comprenant un atelier, un centre de réparation de batteries de VE, une carrosserie et un site de préparation des véhicules d’occasion. D’ailleurs, un point de vente GHO à ciel ouvert s’ajoutera.
Un outil de travail faisant dire au président de 58 ans qu’il se voit bien "continuer 15 ans" à la tête de l’entreprise. "Surtout si je trouve de petits moments pour la pratique du sport", sourit ce passionné de cyclisme, qui remet donc à plus tard les escapades avec d’autres retraités dans les montagnes d’Auvergne.
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L’engagement RH
Du temps de sa présidence, Jean‑Claude Hecquet avait instauré des mécanismes novateurs encore en vigueur, comme la participation aux bénéfices et l’augmentation de salaire automatique de 1 % par an jusqu’à la 17e année de service. La nouvelle direction des ressources humaines perpétue la tradition en s’attaquant à la parité des genres et au renouvellement des talents. Sur les 270 employés du groupe Hecquet, la moyenne d’âge est de 36 ans et il y a désormais 30 % de femmes. Elles représentent 40 % du comité de direction et leur salaire est systématiquement revalorisé après leurs congés de maternité. Le groupe comprend aussi 10 % d’alternants chargés de missions concrètes, dès leurs premiers jours.
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