Belgique et Luxembourg : l’arrière‑cour des groupes de distribution français
Pour la plupart des distributeurs œuvrant de Dunkerque (59) à Thionville (57), la Belgique et, dans une moindre mesure, le Luxembourg, ont toujours été des voisins envahissants. La concurrence était farouche avec des pratiques concurrentielles que certains n’hésitaient pas à qualifier de "grand n’importe quoi".
À tel point que certains constructeurs, côté belge, fixaient à leur réseau des objectifs de 20 à 30 % supérieurs à ce que le marché national pouvait supporter, le reste se faisant avec les clients français. Ces pratiques ont aujourd’hui pris fin, d’autant plus que les prix des voitures neuves en Belgique ont augmenté, si bien que ce sont parfois les Belges qui viennent faire leurs achats en France.
Sans frontière
De plus, désormais, se trouvent en partie, des deux côtés de la frontière, les mêmes acteurs. En l’occurrence, français. Depuis une dizaine d’années, une demi‑douzaine de groupes tricolores se sont déployés en Belgique et au Luxembourg. Le groupe CAR Avenue a été le premier. Originaire de Metz (57), il a toujours eu une vision paneuropéenne. "Nous vivons sans frontières comme beaucoup de nos clients dans un large espace transfrontalier de quatre pays (France, Belgique, Luxembourg, Allemagne, NDLR*), il était naturel que nous nous dévelop‑ pions en dehors de la France", explique Stéphane Bailly, président du groupe CAR Avenue.
L’aventure a commencé au début des années 2010 avec l’installation d’Infiniti chez son voisin direct, le Grand‑duché de Luxembourg. S’en est suivi le rachat de concessions familiales.
Aujourd’hui, CAR Avenue y est l’unique distributeur Nissan et Lexus, le principal Toyota et il représente les deux tiers des ventes de Peugeot, Citroën, DS Automobiles et Opel, le tout sur cinq sites. Avec 7000 VN, entre 1200 et 1500 VO et un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros, il est devenu le deuxième distributeur du pays.
L’aventure a continué en Belgique en 2013. Au fil des années, CAR Avenue a ainsi acquis en Wallonie des affaires Nissan, Toyota, Lexus et Mercedes‑Benz. Il se positionne comme le premier distributeur français en Belgique par le nombre de sites. Cette plaque pèse 275 millions de chiffres d’affaires, 4700 VN et 4200 VO.
Des enjeux importants
Si CAR Avenue est le seul acteur français dans le grand‑duché de Luxembourg, ce n’est pas le cas dans le Plat pays. Pourtant, loin de leur base, le vendéen RCM‑Saga, le nantais Pautric et le nîmois Maurin s’y sont aussi développés. Le premier uniquement avec Mercedes‑Benz, le second, avec BMW et Mini.
Premier distributeur BMW et Mini de France, le groupe Pautric est présent en Belgique depuis juillet 2019. Il commercialise les marques BMW, Mini et Alpina dans trois concessions de l'agglomération bruxelloise (Drogenbos, Woluwé et Zaventem) pour un total de 2 100 VN. Il est le seul groupe français distributeur du constructeur munichois à être présent en Belgique.
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Quant au groupe Maurin, il revendique être le premier ou le deuxième distributeur de Mercedes-Benz selon les années, y est également présent avec Ford, Nissan et Honda. À noter qu’il est aussi le seul acteur à évoluer en Flandre, les autres groupes étant en Wallonie.
Un large panel de marques
Ces opérateurs ont été suivis depuis peu par BYmyCAR, aussi présent avec Mercedes‑Benz après le rachat de deux succursales dans la métropole bruxelloise, et par le choletais GCA. "Nous nous sommes installés en Belgique avec Toyota, fin 2020, présente David Gaist, président du groupe GCA, dans un bureau de sa concession bruxelloise. En 2022, nous avons commercialisé 1 783 VN, 656 VO et réalisé un chiffre d’affaires de 69 millions d’euros."
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Avec ses six sites, GCA est devenu le premier distributeur belge de Toyota. Pour rappel, la marque est ici distribuée par un importateur (Inchcape) et non par une filiale, alors que celle européenne du constructeur est à Bruxelles. La raison de cette expatriation belge pour GCA ? "Nous représentons 18 % des ventes de Toyota en France", poursuit David Gaist. Un plafond de verre pour le distributeur qui s’est donc tourné outre‑Quiévrain pour étendre son partenariat avec le constructeur japonais.
Ces acteurs ne comptent pas s’arrêter là. Car la distribution belge est très fragmentée. "Il existe encore beaucoup d’affaires familiales qui vendent 200 à 300 voitures par an, sachant que les plus grosses ne font guère plus de 800 VN, présente Alain Bogaert, directeur de GCA Belgique. Si l’on prend cas de Toyota qui constitue 5,8 % de part de marché, le pays compte encore 78 concessions. Nous avons donc encore des potentiels de croissance externe."
Une concentration en marche
"La distribution belge est en pleine mutation, constate de son côté Gianni Nobile, directeur des plaques Nissan, Toyota, Lexus et CAR Avenue Selection en Belgique, dont sa famille a vendu ses affaires brabançonnes au distributeur français. Elle connaît de grands mouvements de concentration, poussés par les constructeurs, qui bénéficient en partie aux groupes étrangers. La Belgique est clairement l’arrière‑cour des Français et des Néerlandais."
Outre la physionomie de son réseau, la Belgique dispose d’une spécificité : l’importance prépondérante des véhicules de fonction. En 2022, ils ont représenté 60 % des 366 303 immatriculations belges. "La voiture est d’ailleurs un élément à part entière dans la négociation du contrat de travail car la fiscalité du travail est ici très élevée, résume Renaud Martin, directeur de la plaque Mercedes‑Benz de CAR Avenue Belgique. Les entreprises préfèrent alors mettre à disposition de leurs salariés une voiture de fonction. La société et le salarié sont fiscalisés sur cet avantage en nature, mais le coût pour les deux acteurs est bien moins important que si ce complément de rémunération était en salaire. Si on devait résumer la situation, la voiture, c’est le salaire qui se voit."
Ce qui explique notamment pourquoi BMW est numéro un des ventes en Belgique et que d’une manière générale, les trois constructeurs premium allemands figurent parmi le top 5 des marques les plus vendues. En outre, la fiscalité à l’immatriculation est beaucoup plus faible qu’en France, ce qui permet d’écouler des véhicules disposant de belles motorisations.
Cette situation explique aussi un marché très concurrentiel d’autant plus qu’il n’existe pas de marques nationales comme en France, en Allemagne ou en Italie. "Dans le cadre d’un marché BtoB, ce n’est pas forcément le produit qui fait la différence, mais la qualité du service et le niveau des prestations à forte valeur ajoutée", insiste Renaud Martin.
Les PHEV en force
Cette fiscalité justifie également le fort taux d’immatriculation de modèles hybrides rechargeables (PHEV). En 2022, ils ont représenté 16,2 % du mix, presque deux fois plus qu’en France, alors que celui de véhicules électriques (10,3 %) était relativement modeste. "Jusqu’à présent, le PHEV (< 50 g de CO2) était, tout comme l’électrique, déductible à 100 % pour les entreprises, ainsi que le carburant, explique Gianni Nobile. Les collaborateurs choisissaient donc naturellement ce type de véhicules qui offre plus de possibilités qu’un 100 % électrique."
Mais depuis le 1er janvier 2023, le carburant n’est déductible qu’à 50 %. "Par cette mesure, les pouvoirs publics veulent éviter que les PHEV soient commandés uniquement pour des avantages fiscaux et ne soient pas rechargés régulièrement", poursuit‑il.
Et à partir du 1er juillet 2023, le marché belge risque d’être profondément modifié. Tous les modèles à énergie combustible, y compris les PHEV, vont voir leur déductibilité se réduire d’année en année, tandis que les cotisations sur les émissions de CO2 vont fortement augmenter. "Nous nous attendons à connaître une année 2023 très chamboulée en termes de mix énergétique", résume Gianni Nobile.
Concernant les habitudes d’acquisition et d’entretien, les clients belges se tournent vers leur banque pour financer leur véhicule, d’où la faible pénétration des captives des constructeurs et sont assez peu enclins à se rendre dans les centres‑auto pour l’après‑vente, d’autant plus que le parc est en grande majorité en leasing intégrant l’entretien. "En outre, nous affichons des taux horaires assez contenus", indique Gianni Nobile.
Les spécificités du Luxembourg
Le paysage de la distribution luxembourgeoise est assez similaire à celui que l’on trouve en Belgique, mais dans un pays de seulement 660 000 habitants, grand comme les Yvelines (78) et figurant parmi les pays les plus riches du monde, les problématiques pour les distributeurs ne sont pas les mêmes.
"Le principal écueil est le prix de l’immobilier qui grève de façon très forte la rentabilité d’une affaire, d’autant plus que les volumes par site se comptent seulement en quelques petites centaines d’unités", souligne Pascal Driant, directeur général de CAR Avenue Luxembourg. Cette physionomie n’empêche pas les groupes étrangers de s’y développer. "Jusqu’au milieu des années 2010, la distribution était familiale, avec des concessionnaires qui avaient seulement un ou deux garages", poursuit‑il.
Des acteurs internationaux
Depuis quelques années, outre CAR Avenue, d’autres acteurs européens sont venus s’installer dans le grand‑duché de Luxembourg, comme le néerlandais Van Mossel (aussi très présent en Belgique), le suédois Bilia depuis son partenariat avec le belge Philippe Emond qui distribue BMW et Mini ou le suisse Merbag, un important distributeur Mercedes‑Benz. Le principal acteur luxembourgeois est le groupe Losch, à la fois importateur et distributeur des marques du groupe Volkswagen.
En 2022, le grand‑duché de Luxembourg a immatriculé 42 094 voitures, en baisse de 5,13 %. Les trois premiers acteurs sont Volkswagen, Mercedes‑Benz et Audi, sachant que BMW talonne ce dernier. "Avec le pouvoir d’achat, le marché est très tourné vers les produits haut de gamme", analyse Pascal Driant.
Un revenu médian élevé
Selon le journal luxembourgeois francophone L’Essentiel, reprenant des statistiques publiées par Eurostat en 2021, le revenu médian net est de 3 540 euros. Pour rappel, le revenu médian indique que la moitié des salariés travaillant au Luxembourg gagne moins et l’autre moitié gagne plus.
À titre de comparaison, il est de 2 155 euros en Belgique, 2 085 euros en Allemagne et 1 890 euros en France. Si l’on parle de salaire moyen net, ce dernier est de 4 018 euros par mois. En outre, comme en Belgique, la fiscalité sur les véhicules est assez basse. Ici, pas de malus qui assomme les motorisations puissantes.
Un SAV dynamique
"Les Luxembourgeois sont très fidèles à la marque, mais surtout au garage pour l’après‑vente, souligne Pascal Driant. La garde des véhicules est ici très faible, entre quatre et cinq ans, au maximum. Les clients font entretenir leur voiture dans le réseau, les centres‑auto sont ici très peu présents. C’est pourquoi la qualité du service, encore plus qu’en France, doit être irréprochable, surtout pour la clientèle BtoC. C’est également un levier pour nous distinguer dans un marché très germanique et haut de gamme. Il faut aussi être très intégré localement car le démarchage téléphonique, l’achat de fichiers sont extrêmement réglementés pour ne pas dire interdits. On s’appuie donc beaucoup sur la communication digitale, ainsi que sur la presse quifonctionne ici très bien."
Comme en Belgique, le marché est soutenu par les entreprises. "Elles couvrent 60 % du marché et sur ce canal, 80 % des voitures sont financées par des loueurs comme Arval ou Leaseplan, commente le directeur. Ce qui explique, outre le pouvoir d’achat, la part de marché des marques premium. La fiscalité sur les salaires étant ici importante, la voiture de fonction est un élément indispensable de la rémunération."
Quant au canal BtoC, il est principalement financé par les banques, les captives des constructeurs étant quasiment existantes. Mais depuis deux ou trois ans, "avec le développement du véhicule électrique, les leasers se sont lancés dans la LLD auprès des particuliers", analyse Pascal Driant.
Transhumance
Autre particularité du Luxembourg, sa transhumance de frontaliers. Chaque matin, 200000 personnes, dont 120000 Français, traversent la frontière pour aller travailler. "90 % des 200 collaborateurs de notre site à Leudelange n’habitent pas au Luxembourg", illustre‑t‑il. Cela entraîne de nombreux bouchons quotidiens sur les autoroutes. "Le covoiturage est très utilisé, nous avons nous‑mêmes mis en place des navettes pour nos collaborateurs français et avons ouvert les ateliers de 6 heures à 21 heures afin de faire travailler les techniciens en horaires décalés. Cette amplitude horaire permet aussi à CAR Avenue d’offrir une grande qualité de service à nos clients."
* Cette zone est également appelée la Grande Région. Elle regroupe les länder allemands de la Sarre et de la Rhénanie‑Palatinat, l’ancienne région française de Lorraine, toutes les provinces belges de Wallonie et le grand‑duché de Luxembourg. Il s’agit d’un espace de coopération économique entre ces régions.
Les dix premiers distributeurs de Belgique
Selon un article paru dans la revue interne de Car Garantie et réalisé en partenariat avec le néerlandais Aumacon, un bureau d’études de marché sur le secteur de la mobilité, les dix premiers distributeurs ont couvert en 2021 (derniers chiffres connus pour cette étude) 25,2 % des 454 686 immatriculations du pays, alors que leur part de marché était de 15,5 % en 2018.
Cité dans cet article, Clem Dickmann, CEO d’Aumacon, analyse qu’"en Belgique, on observe un grand nombre de reprises et de fusions dans le secteur. Le commerce automobile y est de plus en plus concentré [...], une évolution que l’on observe dans de nombreux pays européens". Le premier acteur belge est le groupe D’Ieteren Automotive qui a commercialisé, en 2021, 23 509 véhicules, suivi par le néerlandais Van Mossel Automotive Group qui a vendu 21 374 véhicules.
Le troisième acteur, A&M Invest, plus local, car présent principalement dans la province du Limbourg, au nord‑est de la Belgique, est beaucoup plus loin. Il a écoulé 13 430 unités. Le suisse Emil Frey (Autosphere) se positionne à la quatrième place (9 437), précédant le groupe familial liégeois Schyns, important distributeur des marques ex‑PSA et Opel, avec 9 310 véhicules.
En sixième et en huitième position, se trouvent deux filiales, Stellantis & You (8 600) et Mercedes‑Benz Retail (7 410). Selon nos informations, le constructeur allemand a une stratégie de vente de ses filiales. Entre les deux, le flamand Valckenier, distributeur des marques du groupe Renault, ex‑PSA et Kia, a commercialisé 7 734 unités. Enfin, en bas du classement, se trouvent le groupe Goeyens, acteur dans le sud de la Belgique (7 170), et le suédois Hedin Automotive (6 560).
Stéphane Bailly, président du groupe CAR Avenue
"L'Europe fait partie de notre ADN"
Journal de l'Automobile : Pourquoi le groupe CAR Avenue a‑t‑il investi en Belgique et au Luxembourg ?
Stéphane Bailly : Notre déploiement correspond à la réalité d’une région Grand Est, qui vit au cœur de l’Europe et qui pense, depuis plusieurs décennies, son développement dans un vaste espace transfrontalier de coopération, regroupant la Lorraine, le grand‑duché de Luxembourg, la Wallonie pour la Belgique et les länder de Sarre et Rhénanie‑Palatinat pour l’Allemagne, appelé la "Grande Région". C’est dans cet espace européen, qui a toujours été considéré comme un carrefour du commerce international que CAR Avenue et ses 2 600 collaborateurs évoluent.
Tous les jours, ce sont plus de 200 000 personnes qui traversent les frontières de ces pays pour travailler. De nombreuses entreprises clientes investissent et se développent sur ces bassins de vie. Il était logique d’accompagner la dynamique de la Grande Région, d’en être partie prenante car l’Europe fait partie de notre ADN.
Bien sûr, si les échanges qu’offre la Grande Région sont une opportunité, les disparités entre les réglementations notamment au niveau des charges sociales, la question du réimport peuvent pour certains constituer des freins. Pour notre part, nous avons fait le choix de transformer ces menaces en opportunités, de nous adapter plutôt que subir, de rester proches de nos clients et de nos équipes sur ces territoires que nous connaissons bien.
J.A. : Quelle est la stratégie à court et à moyen terme de CAR Avenue concernant le développement dans cette région et à l’international ?
S.B. : Toujours dans cette logique territoriale, nous n’excluons pas une extension de nos activités en Allemagne dans les länder de Sarre et de Rhénanie‑Palatinat. Je le dis souvent, nous faisons un métier de retail. Il est fondamental pour nous de rester proches de nos clients, de nos équipes et des territoires où nous sommes installés. J’aborde les opportunités de croissance sous cet angle de la proximité et de la complémentarité des marques que nous commercialisons sur ces territoires dans une véritable logique d’intégration. J’insiste sur le mot d’intégration qui doit nous permettre, lors de chaque acquisition, une plus grande efficacité opérationnelle. La croissance n’est pas une fin en soi pour moi.
Le salon de Bruxelles et l'Auto Festival, des moments incontournables
Le salon de Bruxelles, qui se tient en janvier, est une date clé dans la vie automobile belge. C’est, en effet, pendant cette courte période qu’environ 30 % des ventes annuelles sont réalisées. Près du célèbre Atomium, les constructeurs et les importateurs exposent les véhicules et prennent les leads qui sont ensuite distribués auprès des concessionnaires en fonction des régions de résidence des prospects.
Au Luxembourg, dans un pays où les portes ouvertes n’existent pas, pas de salon à proprement parler, mais un événement appelé Auto Festival. Ce dernier est organisé par tous les concessionnaires deux semaines, début janvier, sensiblement à la même période que le salon de Bruxelles.
"La communication est globale à toutes les marques, les concessions sont ouvertes le dimanche, tout comme les banques afin que les clients puissent faire financer leur véhicule", présente Pascal Driant (CAR Avenue). Ces deux semaines et celles qui suivent peuvent représenter jusqu’à 40 % des ventes annuelles.
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