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Constructeurs

Luca de Meo : "Il est temps de travailler en équipe et d’investir dans l'innovation"

Publié le 25 septembre 2024

Par Christophe Jaussaud
6 min de lecture
En écho au rapport de Mario Draghi, dévoilé le 9 septembre 2024, sur la compétitivité de l’industrie européenne, Luca de Meo, patron du groupe Renault, a donné sa vision du rôle de l’Europe dans une tribune publiée dans un journal italien. Extraits.
Luca de Meo tribune industrie automobile européenne
Luca de Meo, patron de Renault, a publié une tribune dans le journal italien Il sole 24 ore ©JA

Le 9 septembre 2024, Mario Draghi, ancien président du Conseil italien et de la Banque centrale européenne, a remis à la Commission européenne un rapport pointant notamment la baisse de compétitivité de l’industrie du continent. N’épargnant pas non plus les décisions de l’exécutif européen.

 

L'analyse porte sur près de dix secteurs industriels. Si l'énergie, les nouvelles technologies en passant par l'espace ou encore l’industrie pharmaceutique y occupent une place de choix, l'automobile n'est pas en reste. À chaque fois, le même constat : celui de la "lente agonie de l'industrie européenne".

 

C'est en jouant un sport d'équipe que les États-Unis, lors de la révolution numérique, et la Chine, dans cette transition vers la voiture électrique, ont gagné la partieécrit Luca de Meo

 

Naturellement soucieux de la compétitivité européenne, Luca de Meo, le patron de Renault, a en quelque sorte poursuivi l’œuvre de Mario Draghi en publiant une tribune dans le quotidien italien Il sole 24 ore.

 

"Pour que l'Europe sorte la tête haute de la phase délicate où elle se trouve, il est temps de travailler en équipe et d’investir dans l'innovation. Voilà, pour faire court, le message que je voudrais passer", débute Luca de Meo.

 

Le président ne manque pas de rappeler le poids de l’industrie automobile en Europe : "L'industrie automobile reste « l'un des moteurs industriels de l'Europe ». On parle ici de 8 % du PIB de l'UE, d'1/3 des dépenses privées de R&D et de 13 millions d'emplois."

 

Le problème de compétitivité est réel mais multifactoriel selon le président de Renault : "Notre manque de compétitivité n'est pas seulement dû aux coûts de l'énergie et du travail : le système européen investit deux à trois fois moins dans l'innovation technologique que nos concurrents, nous le faisons de manière moins coordonnée et moins convergente vers de grands projets."

 

Comme le soulignait le rapport Draghi : "L'absence d'un marché unique des capitaux nous rend moins attrayants pour les investisseurs et l'argent des Européens va trop souvent vers d'autres centres financiers." De quoi appeler selon Luca de Meo a plus de collaboration à tous les niveaux. "C'est en jouant un sport d'équipe que les États-Unis, lors de la révolution numérique, et la Chine dans cette transition vers la voiture électrique, ont gagné la partie", explique le président.

 

25 % des ressources en R&D pour se conformer aux règlementations

 

L’urgence est donc à une vraie stratégie industrielle pour Luca de Meo. "Dans un monde où les États-Unis ont su stimuler l'innovation et où la Chine a su la planifier, l'Europe s'est souvent contentée de la réglementer", pointe-t-il.

 

Même si l’innovation reste "avant tout" de la responsabilité des entrepreneurs, Luca de Meo réclame un changement de paradigme. Il milite pour une "vision holistique où le plan, l’incitation et les règles du jeu prennent une importance égale." Rappelant ensuite que cela n’avait pas été le cas "ces cinq dernières décennies."

 

A lire aussi : Luca de Meo, président de l'ACEA, souhaite un choc réglementaire en Europe

 

Il prend un exemple : "La prolifération excessive et le caractère parfois punitif des réglementations, qui nous obligent à consacrer jusqu'à 25 % de nos ressources à la R&D pour nous y conformerOn ne peut que saluer la proposition de Mario Draghi de simplifier et de vérifier la cohérence de toutes les réglementations affectant le secteur automobile, selon un calendrier pertinent."

 

Des normes CAFE sans aucun mécanisme d’ajustement

 

L’occasion d’argumenter avec la règlementation CAFE (Corporate Average Fuel Economy) "adoptée sans étude d'impact, sur la base de données datant de 2016 et d'hypothèses très optimistes de croissance du marché électrique". Mais selon le dirigeant, le texte ne prévoit "aucun mécanisme d'ajustement."

 

"Je vous assure qu'aucun de mes collègues à la tête d'entreprises automobiles ne remet en cause l'objectif de décarbonation des transports : la meilleure preuve en est que nous investissons 250 milliards d'euros d'ici 2030 dans la transition écologique."

 

"Nous abordons 2025 avec un marché de la voiture électrique qui est à la moitié de ce qu'il devrait être, et ce sans visibilité sur les mesures de stimulation de la demande, et surtout avec l'épée de Damoclès des amendes de plusieurs milliards, alors que nous, l’industrie automobile, sommes sur le point de lancer pas moins de 86 nouveaux modèles de voitures électriques en 24 mois. Voilà un cas concret où l'Europe pourrait donner un signal de pragmatisme et montrer sa capacité à soutenir la transition en regardant l'objectif, et non l'échéance."

 

Le ticket d’entrée a bondi de 60 % en dix ans sur le segment A

 

"En remettant les mots stratégie et industrie au centre du débat, le rapport de Mario Draghi place enfin les autorités dans le rôle de chef d'orchestre qui devrait être le leur" poursuit Luca de Meo. "Parmi les nombreuses bonnes idées, deux me semblent pouvoir avoir un impact particulièrement significatif sur notre industrie : une collaboration étroite entre la science, les régulateurs et les acteurs économiques pour décider des standards technologiques européens sur lesquels travailler et l'encouragement des formes de collaboration intra et inter sectorielles. Cela nous permettrait de gagner en rapidité, en échelle et de réduire les investissements et les coûts. C'est exactement ce que font les Chinois depuis 15 ans."

 

"La deuxième idée est aussi un peu mon combat : si nous voulons réduire l'impact des transports, nous ne devrons pas seulement nous déplacer en électrique, en hybride ou en hydrogène, nous devrons choisir de nous déplacer avec des véhicules plus compacts et plus légers. Le segment des petites voitures est celui qui a le plus souffert des réglementations, à tel point qu'il nous est devenu très difficile de produire des véhicules compacts de manière rentable" rappelle le dirigeant.

 

"L'offre et le segment se réduisent, le prix d'entrée sur le nouveau marché a augmenté de 60 % en dix ans. Ce phénomène explique en grande partie la délocalisation de certaines usines vers le sud de la Méditerranée et en Europe de l'Est, et explique également pourquoi la France, l'Italie et l'Espagne, autrefois grands producteurs d’automobiles, se sont vidées."

 

Et de rappeler l’histoire automobile : "Henry Ford, en lançant la Ford T, la première voiture produite en série au monde, a déclaré : « Il n'y a de véritable progrès que lorsque les avantages d'une technologie sont accessibles à tous ». Il disait cela alors qu'il pouvait, grâce aux bénéfices, payer ses employés jusqu'à 3 ou 4 fois plus que ses concurrents, qui devinrent ses premiers clients. Une grande leçon, d'une grande actualité."

 

En conclusion, Luca de Meo reste toutefois optimiste : "Merci au professeur Draghi d'avoir remis les pendules à l'heure et d'avoir éclairé le tableau. Et maintenant, tous ensemble au travail !"

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