Les constructeurs partent en ordre dispersé dans la bataille contre les normes CAFE
Les constructeurs automobiles sont pris dans un étau. Luca de Meo l’a encore rappelé cette semaine. Dans une interview à plusieurs journaux européens, dont Les Echos, le patron de Renault a tiré la sonnette d’alarme sur l’agenda réglementaire antipollution européen. "Nous avons besoin d'un peu plus de souplesse dans le calendrier", a plaidé Luca de Meo.
Cet agenda va effectivement franchir un nouveau palier en 2025 avec l’abaissement des seuils CAFE. Le Corporate average fuel economy, qui impose une moyenne d’émissions de CO2 sur l’ensemble des ventes d’un constructeur, va passer de 95 grammes au kilomètre par voiture vendue à… 81 grammes.
Jusqu'à 16 milliards d'euros d'amende
En cas de dépassement, les constructeurs seront soumis à une amende de 95 euros par gramme supplémentaire, multiplié par le nombre de voitures vendues. En l’état des ventes (sur la base de l’exercice 2023), l’amende totale pourrait atteindre les 16 milliards d’euros.
Mais cet agenda était connu depuis de longues dates. Dès 2018, l’Union européenne a établi trois paliers : 2021 avec un objectif de 95 grammes, 81 en 2025 et 50 grammes en 2030. En attendant l’interdiction des voitures thermiques neuves en 2035.
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Mais pourquoi les constructeurs se réveillent-ils si tard ? Ils estimaient qu’il fallait être autour de 22 % de ventes de voitures électriques pour être dans les clous. Ils tablaient sur un marché à 16 % en 2024, avant d’arriver à leur objectif dès l’année suivante.
Pour eux, la perspective était à portée de main. D’autant qu’ils s’apprêtent à déployer des voitures électriques plus accessibles avec, notamment, la nouvelle Citroën ë-C3 à prix cassés, ou encore la Renault R5.
“Jusqu’à fin 2023, le scénario qui prédominait était que la courbe de progression des voitures électriques resterait soutenue. Ce n’est que début 2024 que cette hypothèse s’est heurtée au retrait du bonus allemand”, constate Marc Mortureux, directeur général de la PFA (association qui représente la filière automobile française).
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“Le marché des voitures électriques plafonne donc autour de 12 à 13 % du marché… Il faudrait un retournement spectaculaire de tendance pour atteindre les 20 à 25 % nécessaires en 2025 pour être en ligne avec les objectifs CAFE”, prédit-il.
Bruxelles n'a pas pris la mesure du danger
Les constructeurs font pression sur les autorités pour obtenir un assouplissement du calendrier. De source proche du dossier, les lobbyistes de la filière travaillent d’arrache-pied pour sensibiliser les haut-fonctionnaires bruxellois qui n’ont pas pris, d’après eux, la mesure du danger.
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Les constructeurs alertent notamment sur le risque financier que font porter les amendes potentielles. Un lobbyiste ironise d’ailleurs: “ce serait un comble si les constructeurs automobiles européens se retrouvaient à acheter des crédits CO2 aux constructeurs chinois à qui l’Europe vient d’infliger des nouveaux droits de douanes”.
Autre son de cloche chez T&E
Chez Transport & Environment (T&E), c’est l’incrédulité qui domine. “En 2019, au moment du premier palier des normes CAFE, les constructeurs automobiles s’étaient alarmé du même risque, et finalement, ils ont atteint leurs objectifs”, se souvient Lucien Mathieu, directeur voitures chez T&E.
L’ONG dont les études sont très suivies par les autorités européennes, estime que les constructeurs ont également joué avec le feu. “Ils ont attendu la dernière minute pour lancer des voitures électriques accessibles, ils ont jusqu’ici beaucoup misé sur des voitures électriques très premiums”, rappelle Lucien Mathieu.
Autrement dit, les constructeurs n’ont pas totalement joué le jeu avec des produits qui auraient permis de démocratiser la voiture électrique et le sortir de sa dépendance aux subventions publiques. L’ONG rappelle ainsi que le prix moyen d’une voiture électrique est passé de 30 000 à 40 000 euros entre 2021 et 2024.
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D’ailleurs, T&E estime que les constructeurs dramatisent, à dessein, les risques. “En-dehors de l’Allemagne, le marché de la voiture électrique est en hausse partout en Europe”, constate Lucien Mathieu.
L’ONG rejoint toutefois la voix des constructeurs sur la nécessité de maintenir une politique de soutien pérenne et visible sur l’achat de voitures électriques. La politique allemande fait ainsi l’unanimité contre elle.
Enfin, T&E suggère aux constructeurs de faire baisser les émissions de CO2 de ses voitures thermiques. En ligne de mire, l’accent mis sur les SUV, plus lourds, et plus émetteurs de polluants donc.
Huit usines en moins ?
Chez les lobbyistes, le risque est plutôt d’être contraints de baisser les ventes de voitures thermiques tout court, avec le manque à gagner qui va avec. “Il faudrait renoncer à 2,8 millions de voitures thermiques en 2025 si on veut respecter les objectifs CAFE”, explique un négociateur anonyme.
Cela reviendrait à amputer le marché européen d’un bon quart de ses ventes. “C’est l’équivalent de 8 usines automobiles”, explique un bon connaisseur du dossier. Pas terrible pour un marché à qui il manque encore plusieurs millions de véhicules par rapport au niveau d’avant-crise Covid.
Un autre acteur pointe également le fait que cette réglementation risque de pénaliser davantage les constructeurs généralistes, et plus encore les marques d’entrée de gamme qui proposent très peu de modèles hybrides dans leur catalogue.
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Mais les constructeurs automobiles ne sont pas d’accord entre eux sur les revendications à défendre à Bruxelles. Ceux qui ont fourni le plus d’efforts sur les voitures électriques veulent seulement des assouplissements. Ils estiment que le sens de l’histoire reste l’électrification massive du marché.
Ils ne remettent pas en cause la date de 2035 pour sortir des voitures thermiques. “Il n’est pas question de revenir sur la trajectoire de la voiture électrique qui reste dans le sens de l’histoire. Mais on a toujours dit qu’on y arriverait que si on était accompagné dans la durée”, explique Marc Mortureux.
A l’inverse, d’autres constructeurs qui ont raté leur transition vers la voiture électrique plaident pour une remise en cause de 2035. Ils sont d’ailleurs à la manœuvre pour s’engouffrer dans la clause de revoyure de 2026 qui permettrait de laisser de la place aux carburants de synthèse.
En grossissant le trait, ce clivage oppose d’un côté les constructeurs français, et de l'autre les constructeurs allemands.
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