La guerre des terres rares fait rage

Alors que l'Europe veut reprendre une certaine indépendance sur les terres rares avec un texte sur les matières premières critiques (CRMA) entré en vigueur le 23 mai 2024, le secteur est ultradominé par la Chine.
Elle gère plus de 60 % de l'extraction minière des métaux appelés "terres rares" et 92 % de leur production raffinée à l'échelle mondiale, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), à coups de subventions publiques et de réglementations environnementales accommodantes.
Licence d'exportation obligatoire
En pleine guerre commerciale avec Washington, Pékin impose depuis début avril 2025 aux entreprises chinoises l'obligation de demander une licence avant d'exporter vers n'importe quel pays ces matériaux, dont les aimants aux terres rares indispensables au secteur automobile.
Un assouplissement était attendu après des discussions sino-américaines de haut niveau en mai en Suisse. Mais les autorisations d'exportations n'ont pas repris suffisamment selon les industriels, ce qui a conduit Washington à dénoncer un non-respect de l'accord de Genève.
"Depuis début avril, des centaines de demandes de licences d'exportation ont été soumises aux autorités chinoises, mais seul un quart environ semble avoir été approuvé", a dénoncé le 4 juin l'Association européenne des équipementiers automobiles (CLEPA).
"Les procédures sont opaques et incohérentes d'une province à l'autre. Certaines licences sont refusées pour des raisons de procédure, tandis que d'autres exigent la divulgation d'informations sensibles de propriété intellectuelle", ajoute-t-elle.
Aucune solution à court terme
Certaines terres rares (néodyme, dysprosium...) permettent de fabriquer de puissants aimants, dont la Chine assure 90 % de la production mondiale. Ces aimants ont "un rôle essentiel dans les moteurs électriques, capteurs de direction assistée, systèmes de freinage régénératif, entre autres fonctionnalités avancées des véhicules", détaillent les experts du cabinet BMI.
La situation met en lumière la forte dépendance du reste du monde : l'Europe importe de Chine 98 % de ses aimants aux terres rares, selon BMI. Et, note-t-il, si l'UE cherche à doper sa production de terres rares, "ces activités en Europe peinent à concurrencer les producteurs chinois en termes de coûts" et sont loin de pouvoir satisfaire l'appétit du secteur automobile.
"Les efforts déployés en Europe pour diversifier les approvisionnements (...) n'offrent aucune solution à court terme", insiste la CLEPA.
Une solution serait de fabriquer les moteurs automobiles en Chine avant même de les exporter – "mais les équipementiers devraient réaligner leurs chaînes d'approvisionnement et cela pourrait nécessiter de nouvelles homologations", préviennent les experts de Jefferies.
Des productions déjà perturbées
L'industrie souffre déjà. "Avec une chaîne d'approvisionnement mondiale profondément imbriquée, ces restrictions paralysent déjà la production des équipementiers européens", insiste Benjamin Krieger, secrétaire général de la CLEPA.
Cette fédération fait état "d'importantes perturbations" en Europe, où ces restrictions "ont entraîné la fermeture de plusieurs lignes de production et usines [...] De nouvelles répercussions sont attendues dans les semaines à venir avec l'épuisement des stocks", avertit-elle.
"La lenteur des formalités douanières (en Chine) constitue un problème. Si la situation n'évolue pas rapidement, des retards, voire des pertes de production, ne sont plus à exclure", confirme à l'AFP Hildegard Müller, présidente de la fédération de l'automobile allemande VDA.
Le constructeur Mercedes-Benz, sans faire état de "restrictions directes", assure être en "contact étroit" avec ses fournisseurs dans une situation de "grande volatilité". Au Japon, Suzuki a annoncé le 5 juin "avoir cessé la production de certains modèles en raison d'une pénurie de composants", de terres rares selon le quotidien Nikkei.
Aux États-Unis, Ford a dû stopper son usine de Chicago produisant le SUV Explorer pendant une semaine en raison des pénuries, rapporte Bloomberg. Interrogé par l'AFP, Ford se refuse à "tout commentaire sur les problèmes d'approvisionnement".
En Inde, le fabricant de scooters Bajaj Auto a averti que les restrictions chinoises pourraient affecter sa production en juillet. "La lenteur du traitement des demandes (d'exportation) semble entraîner d'importantes pénuries", indique Cornelius Bähr de l'institut économique IW, appelant "à prendre au sérieux" les risques d'épuisement des stocks d'ici fin juin dans les entreprises allemandes.
L'électronique, grande consommatrice de terres rares, pourrait aussi en pâtir : "L'inquiétude grandit à vue d'œil, de nombreuses firmes ne disposant que de ressources pour quelques semaines ou mois", explique Wolfgang Weber, président de la fédération allemande du secteur (ZVEI).
Des négociations entre Donald Trump et Xi Jinping
Toutefois, un entretien entre Donald Trump et son homologue chinois Xi Jinping le 5 juin semble ouvrir la voie à un assouplissement. "Il ne devrait plus y avoir de questions concernant la complexité (pour l'exportation) des produits à terres rares", a déclaré Donald Trump.
Si une résolution rapide du conflit commercial demeure incertaine, les comptes-rendus de l'entretien indiquent qu'"un accord a été trouvé pour surmonter les obstacles immédiats, notamment sur les minéraux critiques", note Wendy Cutler de l'Asia Society Policy Institute. (avec AFP)
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